dimanche 2 février 2014

UN VILLAGE OÙ IL NE SE PASSE JAMAIS RIEN ???


Certains, curieux du nom de cette bourgade impossible à épeler sauf à insister "oui, oui, M.E.S.C.H.E.R.S... Meschers, comme mes chers amis", ont peut-être tenté de situer un jour le lieu sur Google Map, et, découvrant un petit bled perché au-dessus de l'estuaire, situé loin de tout grand centre, se sont dit "Ah, Michelaise, elle habite dans un coin tranquille, à l'écart de l'agitation et des vicissitudes du monde moderne. Pas étonnant que ses billets soient toujours un peu décalés : isolée comme elle l'est, un rien l'émerveille, une broutille la fait s'esbaudir et elle s'extasie devant une paille en croix(1)". Erreur, mes amis, grave erreur : non content de devenir durant le mois d'août une annexe des certaines banlieues au nom abrégé par deux chiffres avec un "point" au milieu, ce qui nous donne une ambiance carrément "exotique", le lieu n'est pas, loin s'en faut, aussi désert et aussi calme que vous pourriez l'imaginer naïvement. Témoin ce coup de téléphone reçu l'autre matin de la part d'un voisin qui s’enquerrait de savoir si nous avions observé pendant la nuit des mouvements suspects.
- Non, tu sais, on dormait, on n'a rien entendu de spécial.
- Parce qu'on a volé devant chez moi le tractopelle utilisé pour les travaux.
Comment on vole un tractopelle, cela je ne saurais vous le dire, n'ayant rien vu bien sûr. Il semble que le trafic d'engins de chantier, à destination, nous dit-on, des pays de l'Est (il faut bien entretenir leur triste réputation), ne soit pas rare, loin s'en faut. Mais avec Meschers pour plaque tournante, voilà qui nous a laissés pantois. Mais comment emporte-t-on pareil matériel ? Sur un camion avec un plateau... ben voyons ! Et qu'en fait-on ensuite ? Là, nous n'avons rien appris sur les lieux de stockage de ces équipements manquant singulièrement de discrétion.


Tout cela pour vous raconter que ce week-end Meschers était le lieu de rendez-vous de tous les badauds de la côte. Responsable, un petit entrefilet paru ce matin sur Sud-Ouest et narrant en quelques phrases courtes l'événement qui m'a occupée tout l'après-midi de vendredi. J'étais face à ce paysage idyllique qui illustre mon article, en train de me dire que j'avais des copies à corriger, quand soudain mon horizon fut envahi par une épaisse fumée venant de l'Est. Inquiète, je sors sur le balcon et aperçois, derrière les chênes verts un peu sauvages qui me séparent de mes voisins, d'immenses flammes aux ondulations agressives. Pensant que cela provient d'une maison "en friche", je me dis "Ils sont dingues de faire un pareil feu, cela va flanquer le feu à la maison d'à côté". Je cours m'assurer que ce feu ne menaçait pas mon plus proche voisin, et me heurte à un monsieur affolé : "Mettez-vous à l'abri, la maison des M. flambe". Et, de fait, les vitres explosaient, les flammes sortaient par les fenêtres et un vilain petit vent d'Est dirigeait tout cela vers chez moi de façon fort inquiétante.


Forcément, je n'avais aucune idée du numéro à composer pour joindre les pompiers, et appelai donc la police municipale afin qu'ils le fassent à ma place. Entre temps, fort heureusement, des promeneurs avaient déjà prévenu le 18. Meschers est équipée, pas en l'honneur de ses 2900 habitants, la suite allait le démontrer, mais sans doute pour faire face à décuplement de sa population estivale, d'une superbe caserne, située à quelques centaines de mètres de la maison (autant dire au bout de la rue !), toute neuve et fort équipée en camions si l'on en juge par les manœuvres qui, parfois, y ont lieu.



Je pensais donc candidement, en regardant le feu s'amplifier et se faire, de minute en minute, plus intense, que nos sauveurs allaient bientôt arriver et mettre fin à cet tourbillon menaçant. Que nenni !! Les policiers municipaux étaient déjà là, mais de camion rouge point ! Les gens qui avaient appelé le 18 arrivèrent, d'un pas nonchalant et m'avertirent qu'il ne fallait pas se faire d'illusion : ils avaient eu La Rochelle (145 km) qui devait prévenir Royan (13km), qui se ferait seconder par Saujon (17km). Autant dire que pendant 40 longues, très longues minutes, nous avons contemplé les flammes faire leur besogne, destructrice, dévastatrice même, et plus le temps passait, plus l'angoisse de voir le brasier gagner les résineux et mon propre domicile me serrait la gorge. Et quand, enfin, la sirène se fit entendre, l'attente était loin d'être terminée : il fallut aux hommes de l'art débarquer leur matériel, dérouler les tuyaux, se brancher sur une bouche d'eau, attaquer à la tronçonneuse la porte l'entrée, bref tout une mise en place durant laquelle la fournaise continueait à ronfler, léchant les pins et nous enfumant comme des harengs hébétés.

Loin de moi l'idée de critiquer les pompiers, ou leur promptitude : je n'ai pas la moindre idée du temps moyen de ce genre d'intervention, mais la seule chose que je puisse vous affirmer, c'est que ces minutes-là paraissent immensément longues, et que l'impuissance pèse devant les ravages de l'incendie qui, lui, ne perd pas une minute pour faire son oeuvre. Une grosse heure après le début de l'incendie, tout le monde était enfin à pied d'oeuvre et, dès lors, leur efficacité fut impressionnante. J'imagine que cette fâcheuse impression que tout est hyper lent est courante, voire systématique dans ce genre de situation.


Il ne restait malheureusement rien de sauvable après leur départ, et mes malheureux voisins auront fort à faire avec les assurances pour obtenir un dédommagement correspondant aux dommages subis. Fort heureusement ce n'est "qu'une" maison secondaire, personne ne fut blessé, personne n'est sans abri et ma maison n'a pas été touchée, ce qui est plutôt une happy-end. Il semble que l'origine du feu, non encore officielle, soit imputable à quelques squatteurs indélicats ou pire. Comme le dit l’entrefilet de Sud-Ouest, "une enquête est en cours" et après le bruyant ballet des camions de pompiers, nous avons depuis deux jours celui des voitures de gendarmerie, et surtout, un défilé incessant de badauds.


Ce sont eux qui, d'ailleurs, vous valent cet article : je n'arrive pas à concevoir comment des gens, normaux, censés, enfin des citoyens ordinaires, peuvent, de bon matin, ayant lu le journal, prendre leur voiture pour aller visiter "les lieux du drame". Une telle curiosité, malsaine, me sidère, me coupe l'entendement, et me laisse, comme souvent, ahurie ! Talvolta, non ci capisco un'acca, e lo dico (2) !! Michel de Lyon, en général se gondole devant mon ingénuité, mais il n'empêche que cela me dépasse.


Ceci étant, nous n'avons toujours pas compris à quoi sert la superbe caserne entretenue par la commune !!! Certes occupée par des pompiers volontaires, comme c'est souvent le cas en "campagne", mais j'ai connu des casernes plus petites qui intervenaient, avec leurs volontaires, en première urgence pour tenter de limiter les dégâts avant l'arrivée des professionnels. J'imagine que quelque bienheureux principe de précaution, ou autre redéfinition des compétences leur a enlevé ce rôle, les réduisant à des interventions mineures, et soigneusement codifiées. Voilà qu'encore une fois, non ci capisco un'acca.

-------
(1) S'extasier devant une paille en croix était une expression de maman, qui voulait ainsi signaler l'extrême naïveté de celui qui s'adonnait à de tels étonnements.
(2) Parfois je n'y comprends goutte (littéralement pas un "h") et je le dis (le sous-titre de ce blog)
Pas vraiment de photos de l'événement, j'avoue que j'avais la tête ailleurs qu'au réflexe déclencheur !!

16 commentaires:

  1. j'imagine bien un vent de panique quand le feu gronde dans le voisinage...
    saine et sauve Michelaise, nous sommes rassurées

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Josette !! La maison du voisin, par contre, est dans un état terrible. Quelle horreur quand ils vont découvrir cela.

      Supprimer
  2. On ne peut qu'etre d'accord avec toi, chère Michelaise heureusement "scampata al pericolo", à propos de cet affreux tourisme des lieux du drame, que moi aussi je trouve incompréhensible et inacceptable.
    Mais par contre j'ai l'impression que tu es trop indulgente vis-à-vis de ces 40 minutes d'attente : 40 minutes, mais tu te rends compte ??!! C'est peut-etre la belle image de Daumier illustrant la malsaine curiosité publique qui m'inspire, mais je crois que l'intervention de quelque genre de pompiers aurait été plus rapide meme au XIX siècle...
    Fuori dai denti, je me demande si votre superbe caserne au bout de la rue n'est occupée, n'existe pour ainsi dire, qu'en été, à l'honneur des touristes, mais constamment, dangereusement vide le reste de l'année.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. A moins qu'elle ne soit squattée, l'hiver, puisque cela se répand chaque année un peu plus ici, dans les logements vidés par les touristes.
      oui 40 minutes, c'est immensément long et tout a eu le temps de flamber. Mais mon indulgence va aux pompiers qui sont intervenus, eux ont fait le plus vite possible. Par contre, je peste contre les règlements administratifs qui font passer les appels par La Rochelle et qui nous envoie des pompiers depuis Royan. Quand nous habitions un petit village, il y avait des pompiers volontaires qu'on appelait avec la sirène, et qui intervenaient presque immédiatement, le temps que les pompiers de la ville proche (15km aussi) arrivent. J'imagine qu'on a dû changer tout cela pour des problèmes sécuritaires, ce qui est paradoxal !!

      Supprimer
  3. Ton paragraphe de conclusion reprend la question que je me posais : à quoi sert une si belle caserne si les pompiers, eux tout volontaires qu'ils soient, ne servent à rien? Et ton histoire de badauds m'a rappelé un épisode de l'été dernier : les infos avaient annoncé qu'un chef de la mafia venait d'élire domicile un peu plus haut, sur la rue qui fait l'angle avec ma maison, sur la portion de la terre de mon grand-père qui a été vendue et où il y a maintenant un développement immobilier. Pendant que nous travaillions dans nos jardins respectifs, de part et d'autre de cette petite rue, mes tantes et moi avons conclu que nous ferions fortune en installant une petite table pour faire payer un prix de passage, car tu aurais vu le défilé de voitures! Incroyable!

    Bonne correction, car j’imagine que les copies sont restées en plan avec ces événements...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai eu la même idée, me disais qu'une obole serait la bienvenue pour mes voisins !! Oh les copies, beurk !!

      Supprimer
  4. Effectivement c'était chaud !!! Le délais d'intervention me semble incroyable voila un beau sujet pour les futures réunions électorales.
    Les badauds... pas étonnant nous sommes dans une civilisation télé du fait-divers dramatique.
    Sais tu que parfois des mafieux brulent les maisons achètent les terrains et construisent des buildings...le vent venait de l'est dis tu.....!!!!!
    Bonne soirée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah voilà qui est bien observé Robert, je n'avais pas réalisé !! En tout cas, même en ruine, je sais que mes voisins ne vendront pas leur maison. Et puis tu sais, l'Ouest est vraiment loin de tout !!! Les mafieux ne sont pas encore arrivé je crois ... quoique !!!

      Supprimer
  5. J'imagine ta frayeur. Je ne savais pas! Je sais qu'à présent effectivement quand on appelle le 18, c'est la plateforme de La Rochelle qui "dispatche"...Savent-ils effectivement où est Meschers?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crains qu'il ne leur faille une carte pour trouver !! Mais sans plaisanter, tu ne trouves pas frustrant le fait que notre belle (?? oui pour un bâtiment industriel c'est plutôt réussi) caserne ne serve à rien ? ou l'hiver ne compte-t-on chez nous que des citoyens de seconde zone ?? Comme l'agenda offert par la mairie qui ne comprend les horaires des marées que pour les mois de juin à août : cela m'a fait hurler de rage ou de rire !!!

      Supprimer
  6. Bonsoir Michelaise. Quand je pense que la dernière fois que je suis venue sur ton blog j'ai commencé à lire un passionnant article sur Cézanne... Dérangée dans ma lecture, je me suis dit que j'allais revenir... je n'en ai pas encore trouvé le temps et je vois aujourd'hui que tu as publié un nombre d'articles impressionnants depuis cette parution...
    Je dois fonctionner comme la caserne de pompiers de Meschers... Il me faut beaucoup de temps pour intervenir...
    Je plaisante, mais c'est vraiment moche d'avoir une caserne à deux pas et de devoir attendre si longtemps pour que l'information se transmette et que les secours arrivent...
    Heureusement que personne n'a été blessé, mais ça aurait pu être dramatique.
    Te savoir déjà transformée en hareng fumé est une drôle d'impression, mais quelle panique cela doit représenter quand même.
    Quant au lieu de balade des badauds... je me rappelle avoir été très choquée par la réflexion d'un de mes élèves de maternelle il y a très longtemps. Il y avait eu un grave accident de voiture non loin du village pendant le week-end et le lundi matin un des enfants m'a dit : "Avec papa et maman on a été voir l'accident"... Je t'avoue avoir été horrifiée d'imaginer que des parents choisissent un tel lieu de balade pour des enfants...
    Bon courage pour la reprise des copies après cette interruption et bonne semaine à toi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il est à craindre, Oxy, que la "badauderie" ne soit un phénomène ni récent, ni prêt à disparaître : se repaître du malheur d'autrui permet, au moins, de se rassurer sur sa propre médiocrité.
      Signé : le hareng fumé !!

      Supprimer
  7. Je suis terriblement inquiète quand je vois un incendie. Et encore davantage depuis que j'ai une cousine germaine qui a péri dans l'incendie de son appartement à Tours. En quelques minutes. Nous n'avons jamais su la cause du départ du feu. La police a juste constaté que ce n'était pas criminel. Les pompiers sont arrivés dans des délais normaux mais trop tard.
    Dans le cas de ton village iil faudrait savoir ce qui les a retardés ainsi. Mais avec une aussi belle caserne, comment n'avez-vous pas le personnel qui va avec?
    Je me demande aussi si les pompiers ne sont pas trop sollicités pour des interventions qui ne devraient pas relever d'eux. Un peu comme le service des urgences dans les hôpitaux où les gens se rendent au moindre bobo au lieu de laisser le personnel se consacrer aux cas graves.
    Bonne soirée Michelaise!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le personnel, c'est pour l'été, la commune est trop petite pour les entretenir toute l'année. Ceci étant, ce jour-là il y avait tempête, alerte orange, forte marée, et si pourtant cela fut calme (peu d'interventions de montée des eaux) les pompiers devaient être pris par d'autres bobos en effet !!
      Je t'avoue que je n'avais jamais vu d'incendie et que cela m'a un peu traumatisée de voir à quelle allure cela prend une ampleur contre laquelle on ne peut plus rien que regarder le mal se faire.

      Supprimer
  8. Comme quoi on peut vivre dangereusement tout en restant chez soi. Je compatis à tes angoisses enfumées ! Bonne soirée quand même !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cela progresse tellement vite, et étant entourée de pins, je n'en menais pas large.

      Supprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...