Les apprêts d'un festin
Plumes du peintre
Ce sont de tous jeunes quadragénaires, nourris de mets sans doute trop aseptisés pour leur faire apprécier, comme nous, les saveurs relevées du gibier faisandé, des cuissons mijotées et des fumets corsés. Ils ne semblent pas vraiment passionnés par nos recettes et nous laissent bien volontiers le produit de leur chasse pour en faire nos agapes post-festives. C'est l'électricien qui nous a remontré, pour la troisième (et dernière fois, Alter a juré qu'il saurait désormais les trouver seul), comment trouver dans le plumage mordoré les précieuses plumes du peintre qui sont recherchées, nous dit-on, par les aquarellistes, et que les chasseurs parfois collectionnent en guise de trophée.
Le pain toasté placé sous la bécasse, tartiné dans un premier temps de foie gras, puis du mélange de déglaçage de cuisson.
Si vous saviez quel festin nous ont valu les bécasses dégustées religieusement à leur santé. Inutile d'en redire la recette, celle mon ami Marc, grand amateur de ces petits oiseaux devant l'Éternel : elle est là et je n'ai pas même eu besoin de la relire tant elle simple, évidente et savoureuse. J'ai simplement, en plus, tartiné les toasts de présentation de la bête de fois gras, en lieu et place du beurre salé préconisé par Marc, et rajouté aussi quelques copeaux de fois lors du déglaçage de la marmite, pour le plus grand bien de la préparation aux entrailles dont on tartine le pain placé sous la bécasse pour le service.
Nos oiseaux étaient, cette fois-ci, accompagnés de pleurotes. Maison ... si, si !! La pleurote était le cadeau tendance cette année, et les nôtres ont été précédées d'une anecdote qui mérite le récit, dans l'esprit des contes d'un auteur bien connu (1). Alter, qui s'en remet volontiers à moi pour toutes les opérations cadeaux des fêtes de fin d'année, aime bien cependant avoir une ou deux idées personnelles pour ses filles et, durant le mois de décembre, un jour, il me parla d'un produit marrant qu'il avait envie d'offrir à Koka : un kit de pleurotes en prêt à pousser. J'approuvai vivement et lui laissais le soin de concrétiser son idée. Or, alors que nous étions fin décembre, en train de faire la queue au musée Jacquemard-André, je surpris la conversation de deux dames très démonstratives, qui évoquaient leurs trouvailles en matière d'idées cadeaux. Et l'une, toute fière, expliquait à l'autre qu'elle avait trouvé un truc super, des pleurotes en prêt à pousser. Je pris alors Alter à part (nous étions avec Koka) pour lui demander s'il avait bien reçu les siennes, n'ayant pas souvenir de les avoir emballées. Sa mine s'allongea et il m'avoua, déçu, qu'il avait "zappé" : d'une page internet à l'autre, il avait carrément oublié de passer sa commande. Dommage, mais l'idée restait bonne, il lui en offrirait l'an prochain ! Quelques instants plus tard, je reçus un sms "Mais moi, je n'ai pas oublié ;-)"... la missive venait de Koka, à qui nos conciliabules n'avaient point échappé, et qui avait prévu très exactement le même cadeau pour son papa. Je vous laisse imaginer note fou rire ce jour-là, au grand dam des deux parisiennes qui nous trouvèrent fort inconvenantes, et la tête étonnée et ravie du sus-dit papa quand il ouvrit son présent le jour de Noël !
Champignons des temps modernes
Tout content, quoiqu'un peu contrit, il n'eut de cesse au retour que de mettre "ses" champignons en culture, suivant avec une précision admirable mode d'emploi et instructions. Et la récolte s'annonçant sympathique, il fut décidé que les pleurotes accompagneraient fort à propos nos superbes bécasses.
Ainsi fut fait : escorté par un Château Carbonnieux tout à fait digne de l'événement, le festin n'avait plus qu'à être dégusté. Sans serviette sur la tête pour en emprisonner les arômes comme le préconise Brillat-Savarin pour les ortolans, mais en goûtant, comme il le dit joliment "un plaisir inconnu du vulgaire". Le dîner s'est achevé dans la joie, par une pensée émue pour le peintre et ses trois chiens, les congratulations réciproques au caviste et à la cuisinière, et une profonde méditation sur les bienfaits et les justesses de la Création devant une belle flambée, digne de notre auteur normand.
Article dédié à Koka
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(1) Extrait de l'introduction des Contes de la Bécasse du Maupassant :
Mais il existait dans la maison une vieille
coutume, appelée le « conte de la Bécasse ».
Au moment du passage de cette reine des
gibiers, la même cérémonie recommençait à chaque dîner.
Comme il adorait l’incomparable oiseau, on en
mangeait tous les soirs un par convive ; mais on
avait soin de laisser dans un plat toutes les têtes.
Alors le baron, officiant comme un évêque, se faisait apporter sur une assiette un peu de graisse, oignait avec soin les têtes précieuses en les tenant par le bout de la mince aiguille qui leur sert de bec. Une chandelle allumée était posée près de lui, et tout le monde se taisait, dans l’anxiété de l’attente. Puis il saisissait un des crânes ainsi préparés, le fixait sur une épingle, piquait l’épingle sur un bouchon, maintenait le tout en équilibre au moyen de petits bâtons croisés comme des balanciers, et plantait délicatement cet appareil sur un goulot de bouteille en manière de tourniquet. Tous les convives comptaient ensemble, d’une voix forte : – Une, – deux, – trois.
Et le baron, d’un coup de doigt, faisait vivement pivoter ce joujou. Celui des invités que désignait, en s’arrêtant, le long bec pointu devenait maître de toutes les têtes, régal exquis qui faisait loucher ses voisins. Il les prenait une à une et les faisait griller sur la chandelle. La graisse crépitait, la peau rissolée fumait, et l’élu du hasard croquait le crâne suiffé en le tenant par le nez et en poussant des exclamations de plaisir. Et chaque fois les dîneurs, levant leurs verres, buvaient à sa santé. Puis, quand il avait achevé le dernier, il devait, sur l’ordre du baron, conter une histoire pour indemniser les déshérités.
Alors le baron, officiant comme un évêque, se faisait apporter sur une assiette un peu de graisse, oignait avec soin les têtes précieuses en les tenant par le bout de la mince aiguille qui leur sert de bec. Une chandelle allumée était posée près de lui, et tout le monde se taisait, dans l’anxiété de l’attente. Puis il saisissait un des crânes ainsi préparés, le fixait sur une épingle, piquait l’épingle sur un bouchon, maintenait le tout en équilibre au moyen de petits bâtons croisés comme des balanciers, et plantait délicatement cet appareil sur un goulot de bouteille en manière de tourniquet. Tous les convives comptaient ensemble, d’une voix forte : – Une, – deux, – trois.
Et le baron, d’un coup de doigt, faisait vivement pivoter ce joujou. Celui des invités que désignait, en s’arrêtant, le long bec pointu devenait maître de toutes les têtes, régal exquis qui faisait loucher ses voisins. Il les prenait une à une et les faisait griller sur la chandelle. La graisse crépitait, la peau rissolée fumait, et l’élu du hasard croquait le crâne suiffé en le tenant par le nez et en poussant des exclamations de plaisir. Et chaque fois les dîneurs, levant leurs verres, buvaient à sa santé. Puis, quand il avait achevé le dernier, il devait, sur l’ordre du baron, conter une histoire pour indemniser les déshérités.
Tout ceci, chère Michelaise, est une nouvelle preuve de l'existence de Dieu ! En effet si Dieu n'existait pas, les bécasses n'existeraient pas, Château Carbonnieux non plus et votre article se serait réduit à deux bises au peintre pour son excellent travail (de peintre). Alors que, Dieu existant, le peintre chasse et cela nous vaut un article qui rend ridicules toutes nos petites préparations culinaires. Je sais, mon argument est spécieux et ma démonstration faible : il n’empêche que même depuis Lyon; l'odeur de vos casseroles nous arrive avec les vents d'ouest. Heureux pays de cocagne que votre estuaire (...bienfaits et justesses de la création.....- j'aime bien l'expression).
RépondreSupprimerTranquillisez votre foie et recommencez sous peu... on aime bien lire vos divagations culinaires depuis Lyon .
Ah Michel, je me doutais bien que le fumet de "mes" bécasses vous attireraient ... il faut dire que l'affaire est d'importance !! N'empêche que vous avez raison, "mon" peintre mérite une bise pour un tel cadeau, avouez que ça vaut le coup de faire des travaux quand on a la chance d'avoir des artisans aussi généreux (et en outre, j'insiste, très compétents dans leur boulot). Suite de l'histoire, l'électricien, celui qui m'a déniché les plumes du peintre, un peu marri de n'avoir pas encore réussi à en piéger une cette année, s'est remis en chasse et l'autre jour, a eu, enfin, la sienne. Et lui, vous savez comment il la fait cuire (ce n'est pas une question, je sais que, forcément, vous le savez) : pendue au bout d'une ficelle, tournant devant l'âtre. Nous n'avons pas encore osé pareil mode de cuisson, mais un jour, qui sait !!
RépondreSupprimerQuant à mon foie, le pauvre, il fait face, vaille que vaille !
Mais comment fais tu pour trouver de si bons artisans !!!!
RépondreSupprimerj'imagine la dégustation....
après cela il faudra faire un tour à la cave....la nouvelle !
eh eh !! Robert, tu as de bonnes idées ... mais on risque de "couler" !
RépondreSupprimerAussi appliqué au boulo qu'à la chasse ce garçon car j'ai eu la chance d'avoir une oie que j'ai cuisiné à noël un délice!
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