samedi 21 mars 2015

Le goût artistique des négociants de Cognac (2)





Nous l'avons vu, le musée se distingue par un ensemble remarquable de peintures des Écoles du nord, qui témoigne des liens historiques entre la Charente et les Pays-Bas à la suite de l'exil d'un certain nombre de négociants cognaçais vers les terres plus hospitalières aux gens de la religion réformée. On trouve dans ce fond, constitué grâce aux dons des fondateurs, quelques belles toiles des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, notamment le magnifique «Loth et ses filles» de Jan Massys (ou Matsys) (Anvers 1509-1575). Il est le fils de Quentin Matsys, le frère de Cornelius Matsys, et le père de Quentin Metsys le jeune. 



Le thème de cet épisode biblique un peu scabreux a souvent inspiré les artistes de la fin de la Renaissance. Après la destruction de Sodome et Gomorrhe, et laissant derrière lui son épouse statufiée par le sel, Loth et ses deux filles Loth et ses filles se réfugient dans une caverne. 




L'aînée, s'inquiétant de ne pas trouver d'hommes dans le pays pour s'unir avec eux et assurer leur descendance, enivre son père pour s'accoupler avec lui sans qu'il le sache, et incite sa cadette à faire de même. De ces unions naquirent Moab, le père des Moabites, et Ben-Ammil, le père des Ammonites. 



La touche est claire et très travaillée. Les transparences sont légères et vibrantes et le paysage qui clôt cette scène incestueuse et vaguement impudique est d'une luminosité presqu'italienne. Il s'agit de la ville de Sodome qui brûle tandis que (en bas à gauche) des anges guident Loth et les siens pour les sauver du désastre. On distingue très nettement la silhouette figée de la femme qui vient de se retourner, enfreignant l'ordre divin et punie sans appel.



La toile se décline sur une gamme chromatique de bruns et d'ors, qui mettent fortement en valeur la chair pâle des femmes. Les filles de Loth sont parées de perles, nées de la mer comme Vénus, et dont l'allusion galante est presque la seule évocation érotique du tableau. 



Un autre symbole rappelant la teneur sensuelle de la toile, est bien sûr celui de la pomme, évocation du pêché originel, jointe ici aux raisins qui nous rappellent que pour arriver à leurs fins les jeunes femmes ont enivré leur père. L'une d'elle lui tend d'ailleurs une coupe aux reflets tentateurs.



D'autres toiles du XVI au XVIIIe méritent attention :


Ainsi, ce «Portrait de femme en rouge» attribué à Scipione Pulzonne dit «Il gaetano» (Gaète, avant 1550 - Rome, 1598). Plus connu sous le nom de "il Gaetano", ce disciple de Jacopino del Conte fut actif à Rome de la fin du maniériste de la Contre-Réforme. Il fut aussi influencé par les peintres vénitiens et flamands et par son confrère Sebastiano del Piombo.



Il est surtout connu pour ses portraits, en particulier ceux de la famille Farnèse. À partir de 1570, ses sujets sont de plus en plus religieux, dans un esprit directement lié à la Contre-Réforme et à sa rencontre avec le Jésuite Giuseppe Valeriano. Il appartient à une tendance que la critique nomme "art intemporel" : peinture de scènes sans véritable contexte historique, qui doivent susciter chez les spectateurs des sentiments de la piété, de dévotion et favoriser la méditation religieuse. Un peintre que nous avons découvert très récemment à l'occasion d'une exposition qui lui était consacrée dans sa ville natale, Gaeta.


La collection comporte de nombreuses œuvres du siècle des Lumières, de plus modeste intérêt artistique : natures mortes, paysages et portraits de notables locaux, comme ce très conventionnel portrait de Jean Fé de Ségeville, seigneur de la Font (1715-1790). D'un auteur anonyme, il rappelle que les négociants des Charentes, une petite bourgeoisie terrienne qui était parvenue à se hisser dans l'échelle sociale par le commerce, les charges et les alliances, avaient à cœur d'être, comme les puissants, portraiturés.

À suivre : Le goût artistique des négociants de Cognac (3)

2 commentaires:

  1. J’ai bien aimé la description du tableau de la fuite de Loth, tu mets le doigt sur des détails difficilement accessibles à nos yeux sur la photo. Merci Michelaise!
    Mais, connaissez-vous les prénoms de ses deux filles ? toujours nommées comme l’aînée et la cadette ! il semble qu’elles ne le soient nulle part…alors que leurs fils le sont et qu’à partir de leur noms partent deux descendances…encore une fois la femme est l'avenir de l'homme mais la postérité est masculine !

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  2. Mince alors ! je n'avais pas remarqué que ces malheureuses n'étaient pas nommées ... sacrifiées sur l'autel de la renommée ... faut dire qu'après une telle aventure, elles sont un peu marquées au fer rouge !
    Merci monsieur Philff de ta fidélité

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