mercredi 1 avril 2015

Émotions londoniennes : le quatuor Van Kuijk au zénith !


Chaque année, cela revient avec le printemps : nous courrons les concours de quatuors à cordes. Pour le moment, "certains" travaillent encore chez les Michelais and Co, et nous nous contentons du triangle Reggio, Bordeaux, Londres ! Cette année, c'était Londres. 12 quatuors annoncés, dont les Girard, découverts il y a quelques années dans une petite église saintongeaise, suivis avec un peu de déception à Bordeaux en 2013, où ils n'arrivèrent pas en demie-finale et retrouvés plus détendus, presque souriants à Fayence à l'automne 2014, où ils préparaient Londres avec Miguel da Silva, l'ancien altiste du quatuor Ysaÿe. Donc, dans notre esprit, nous allions "soutenir" les Girard, quitte à se montrer si nécessaire un peu chauvins, car gagner à Londres est de première importance pour un quatuor débutant.
Or voilà qu'en arrivant, nos amis bordelais, déjà à pied d'oeuvre depuis le premier jour à la première heure, nous annoncent que les Girard ont déclaré forfait, pour cause de tendinite... le genre de mésaventure qui trahit l'anxiété qui ne les a finalement jamais quittés et qui risque de plomber durablement leurs chances de carrière. Qu'à cela ne tienne, un rapide coup d’œil au programme nous rassure : un autre quatuor français, inconnu au bataillon mais forcément méritant, est présent et nous allons pouvoir donner de la voix. Avec mesure, rappelons que nous sommes dans les murs de la Royal Academy of Music, mais c'est toujours agréable d'avoir des favoris.


Les jours passent, et forcément, la tension monte : à Londres, le premier tour permet aux formations de présenter 4 œuvres, un Haydn, un Mozart, une oeuvre moderne (Bartok, Yanacek ou autre) et un quatuor contemporain imposé. En l'espèce "Contusion", une pièce très sombre écrite par Turnage en hommage à Sylvia Plath. Cette dernière, auteure américaine née dans les années 30 aux environs de Boston, était romancière, novelliste et poète. Durant sa courte vie, elle écrivit aussi des livres pour enfants et quelques essais. Marquée au fer rouge par le décès prématuré de son père, alors qu'elle n'avait que 8 ans, brillante et douée, elle décida très tôt de se consacrer à l'écriture. Pourtant, dès l'université, elle fait une première tentative de suicide et souffrira tout sa vie d'adulte de troubles bipolaires graves. Dans son roman autobiographique, La Cloche de détresse, elle décrit l'épisode dépressif qu'elle a traversé en 1953, et qui lui valut un séjour en institution psychiatrique. Sa beauté et son humour lui valent d'être unanimement appréciée mais elle se sentira toujours prise en étau entre le conformisme ambiant et l'impérieux besoin de liberté et d'indépendance qui l'anime, oscillant constamment entre la plus grande joie et le plus noir découragement.

En 1956, elle rencontre Ted Hughes, un jeune poète anglais dont elle s'éprend et qu'elle épouse rapidement. La vie est difficile car les jeunes gens veulent vivre de leur plume mais les soucis matériels sont nombreux. Frieda, leur premier enfant, naît en 1960, et leur fils Nicholas en 1962. Sylvia publie son premier recueil de poèmes, The Colossus, en 1960. En février 1961, elle fait une fausse couche, événement qui hantera par la suite bon nombre de ses poèmes. Le couple bat de l'aile, et ils se séparent dès 1962. Cette séparation s'explique principalement par les troubles psychiatriques dont souffre Sylvia, et par la liaison de Ted Hughes avec l'épouse d'un ami poète. Sylvia brûle alors des lettres et des manuscrits de Ted. Paradoxalement, cette période de colère et de désespoir est particulièrement productive pour sa vie d'écrivain.
Sylvia Plath s'installe  à Londres avec ses enfants, où elle loue un appartement dans une maison autrefois occupée par le poète irlandais William Butler Yeats : elle considère cela comme un bon présage et semble heureuse. Mais l'hiver 1962/1963 est l'un des plus rudes du siècle à Londres et, le 11 février 1963, au petit matin, malade et dépressive, Sylvia ouvre le gaz de sa cuisinière après avoir calfeutré la porte de la cuisine et mis ses enfants à l'abri. Abrutie de somnifères, elle meurt asphyxiée. Sa mort est une tragédie pour son mari, Ted Hughes, mais encore plus pour ses enfants qui ne s'en sont jamais remis. D'ailleurs Nicholas, souffrant de dépression, se suicide par pendaison en 2009, à l'âge de 47 ans. Sylvia Plath se verra accorder, pour son oeuvre poétique, le Prix Pulitzer à titre posthume, en 1982.



Contusion est un de ses derniers poèmes, écrit peu de jours avant son suicide. Poignant, concis et sombre comme le ressac, il est traduit en musique par Turnage sous la forme d'un cri angoissant qui ne laisse place à aucun espoir.

Color floods to the spot, dull purple. 
The rest of the body is all washed-out, 
The color of pearl. 

In a pit of a rock 
The sea sucks obsessively, 
One hollow thw whole sea's pivot. 

The size of a fly, 
The doom mark 
Crawls down the wall. 

The heart shuts, 
The sea slides back, 
The mirrors are sheeted.

Jouée 11 fois au premier tour et de façon parfois fort différente, la pièce nous semblait à chaque fois plus noire, plus agitée. Ce sont les anglais qui, on s'en doute, ont emporté le prix récompensant la meilleure lecture de cette partition glaciale.


Passé ce premier tour, premier moment d'incertitude : vendredi soir c'était la proclamation de la première sélection : seuls 6 noms restaient de demie-finale où chacun devait jouer un quatuor de Beethoven. Nos français en étaient et leur interprétation du quatuor numéro 1 nous a fortement séduits : intense, distillée, la partition était parfaitement lisible et leur jeu sans défaut. Nous nous pensions partiaux et ne voulions pas trop croire en leur possible victoire, du coup la joie fut grande, samedi soir, de les savoir en finale. Là, nous étions persuadés que les anglais, favoris du public et se présentant depuis plusieurs années aux différents concours, allaient l'emporter. C'était compter sans l'impartialité parfaite du jury. Et le talent évident des Van Kuijk. Nous nous sommes réjouis quand nous avons vu que les autres concurrents avaient, drôle d'idée pour des américains, choisi Debussy et Ravel, car nous avions une totale confiance dans la capacité des français de rendre Debussy beaucoup plus limpide et lumineux. Et, de fait, à l'audition, il n'y avait pas photo ! Ils étaient, dans ce répertoire, totalement à l'aise et plus que crédibles. Mais là encore, comment imaginer que les petits anglais seraient, chez eux, privés du premier prix ? Nous les trouvions moins bons, d'autant qu'ils nous avaient asséné un Dvořák considérablement ennuyeux, mais étions prêts à admettre que le jury récompenserait leur assiduité !


Les délibérations nous parurent d'autant plus longues que l'ambiance était, forcément, électrique.
- Les gens ne sont pas contents à cause du nom qu'ils ont choisi, nous déclara sans sourire une voisine, passionnée de quatuors à cordes mais pas aimable pour autant. 
- ?? Parce qu'ils ont pris le nom du premier violon peut-être ? C'est trop personnel ??
- Non, parce que cela ne fait pas français. Et on se demande quelle est leur vraie nationalité.
Et nous de lui assurer que si, si, c'était bien des français et qu'on a chez nous, parfois, des noms à consonance étrangère : nous avons eu nos vagues d'immigrés que diable, et ce n'est pas Marine qui va changer tout ça !
Tout cela sans l'once d'une trace d'humour. On a beau être à Londres, pas question de batifoler. Il faut être strict et s'appeler Van Kuijk quand on se prétend français, l'affaire, pour un anglais, est louche. Mais, mis à part cette modeste réserve, très propre à démontrer que nous paraissons souvent bien inconséquents à nos voisins d'outre-manche, il faut leur reconnaître un immense fair-play. Et quand, après une proclamation des résultats ébouriffante, nous avons quitté, hilares, les fauteuils rouges de Wigmore Hall, tous se pressaient pour nous féliciter de la victoire de nos compatriotes. Comme si nous étions en quoi que ce soit responsables de leur triomphe !


Car triomphe ce fut, et mérité de surcroît ! Prix Esterhazy pour la meilleure interprétation Haydn, ce qui n'est pas une mince affaire car il faut beaucoup de rigueur pour jouer les œuvres du "père" du genre, basé sur l'équilibre de quatre voix indépendantes, égales en importance mais fortement imbriquées, et leur donner leurs lettres de noblesse, en les dépouillant de tout "romantisme" complaisant. Prix Bram Eldering pour l'interprétation d'un quatuor de Beethoven : là encore, il faut une technique au-dessus de tout soupçon et une maturité que peu de "jeunes" quatuors possèdent à ce niveau en début de carrière.
Et enfin, après une magistrale interprétation du difficile quatuor de Debussy qui peut être, selon la qualité de jeu, soit profondément ennuyeux soit carrément magique, ils se virent attribuer, presque incrédules, le premier prix du concours de Londres ! Le Graal pour une jeune formation qui, outre quelques espèces sonnantes et trébuchantes, une couronne de lauriers ô combien précieuse pour "vendre" ses futures prestations, des semaines de formation de-ci, de-là dans de prestigieuses institutions, se voit offrir une tournée de concerts et un démarrage rapide et sûr de carrière.
Alors certes, quand ils ont joué, nous avons crié un peu plus fort que les autres, fallait bien faire entendre notre plaisir et saluer dignement leur performance. Mais tout le public a largement salué leurs interventions et il faudra compter, désormais, avec un nouveau quatuor de talent dans les festivals de l'Hexagone, et d'ailleurs ! Entraînez-vous à le dire : vous verrez, ce n'est pas si difficile à prononcer : bravo les Van Kuijk !!

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