vendredi 12 juin 2015

Il Bel Paese : exposition à Ravenne

Ravenne, capitale italienne de la culture en 2015, a décidé de célébrer ce titre en organisant une exposition très "italienne". " Il Bel Paese. L’Italia dal Risorgimento alla Grande Guerra, dai Macchiaioli ai Futuristi” se proposait, à travers la représentation du "paysage" italien de retracer l'évolution de l'art dans la péninsule depuis son unification.

L'épopée du Risorgimento

Georges Housman Thomas (Londres 1824- Boulogne-sur-Mer 1868)
Garibaldi au siège de Rome, 1854

Et forcément, elle commençait par une importante section dédiée aux temps héroïques du Risorgimento et à l'école qui s'est le mieux fait l'écho de cette période remplie d'espoirs et de rêves nouveaux, les Macchiaioli. Pendant que des peintres conventionnels et académiques faisaient dans le chevaleresque à bon marché, comme ce Garibaldi d'image d’Épinal...

Peintre anonyme italien XIXe
La vivandière

... cette cantinière d'opérette ...

Domenico Induno (Milan 1815-1878)
Saccage d'un village

... ou que d'autres s'employaient à faire pleurer les foules avec des sujets dignes du plus mauvais Goupil ...

Giovanni Fattori (Livourne 1825- Florence 1908)
Grandes manoeuvres

... les rebelles florentins réinventaient un art plus mordant, à la fois naturaliste et réaliste, réinventant les rapports entre lumière et couleur et introduisant dans leurs toiles une dimension poétique proche de l'impressionnisme. Giovanni Fattori a beaucoup peint l'armée et sait donner à ce sujet trivial une dimension épique qui vient de la simplicité de la mise en page et du très fort effet de lumière qui sculpte les hommes et leurs bêtes.

Silvestro Lega (Modigliana 1826 - Florence 1895)
Bersagliers qui conduisent des prisonniers autrichiens, 1861

Lega ajoute au traitement particulier de la couleur et du clair-obscur par les Macchiaioli une dimension sociale et humaine qui fait tout son charme.

Il bel paese ... ch'Appennin parte, e 'l mar corconda et l'Alpe 
(Pétrarque, Il Canzoniere, chant 146, vv 12-14)

Petrus Henricus Theodor (Amsterdam 1831 - Milan 1908)
Vue fantastique des principaux monuments d'Italie

Le paysage italien, référence, sujet principal de préoccupation de générations d'artistes occupés à faire le "Grand Tour" ou soucieux de dire les beautés de leur pays.


Certains le fantasment complètement comme Théodor, ce hollandais installé à Milan qui invente un sorte d'Italie miniature avant l'heure, mêlant joyeusement coupoles, églises et ruines antiques, créant une vision idéale qui serait presque crédible si les monuments représentés n'étaient pas si aisément identifiables, surgis des 4 coins de la péninsule.

Rafaello Sernesi (Florence 1838 - Bolzano 1866)
Marine à Castiglioncello, 1864

Rafaello Sernesi (Florence 1838 - Bolzano 1866)
Paysage toscan

Télémaque Signorini (Firenze 1835 - 1901)
Végétation à Rio Maggiore, 1894

Télémaque Signorini (Firenze 1835 - 1901)
La place de Settignano à l'ombre, 1889

Mais on comprendra à mes choix, que là aussi, ma préférence va aux Machiaioli et à leurs paysages moins pittoresques, plus proche d'un ressenti presqu'amoureux du pays par ces peintres qui vouaient à la nature une passion jamais prise en défaut.

Filippo Palizzi Vasto 1818 - Napoli 1899
Jeune fille sur une roche à Sorente, 1871


Alors certes, d'autres toiles sont attachantes dans le paysage artistique de cette fin de XIX, comme cette toile délicieuse du napolitain Palizzi, considéré comme un précurseur du vérisme.
Dans le sillage de la Scuola di Posillipo il s'oriente progressivement vers l'observation détaillé du « vrai ». Il fut d'ailleurs parmi les tout premiers peintres à s'intéresser à la photographie et à la pratiquer à partir de solides connaissances techniques. Dès 1850, il était capable de préparer seul ses plaques photographiques et utilisait couramment ses propres images photographiques comme modèles pour ses peintures.

Le pays de la beauté

Giacomo Favretto (Venise 1849-1887)
Le balcon du Palais Ducal, 1881

Ippolito Caffi (Belluno 1809-Lissa 1866)
Venise, régate sur le Grand Canal, 1844-49

Les artistes, en particulier ceux qui réalisaient le Grand Tour, aimaient évoquer dans leurs toiles les lieux consacrant traditionnellement la beauté antique et classique, Roma, Caput Mundi, ou d'autres, tout aussi mythiques, comme Venise qui reste pour tous une référence rêvée. Et tant pis si l'inspiration est un peu trop manifestement celle de Claude Lorrain, ou de Canaletto, ne renouvelant guère le langage artistique, cela plait toujours !

Télémaque Signorini (Firenze 1835 - 1901)
Le Ghetto de Florence, 1892


Moins conventionnels dans leurs choix, les Macchiaioli aiment, eux, peindre la Toscane, comme cette superbe vue du ghetto de Florence, instantané de réalité quotidienne de la ville, particulièrement évocateur, avec le coup de génie de cette tranche de lumière qui structure la toile en deux parties plus sombres, celle de droite consacrée aux passants, et l'autre aux anecdotes et à la vie de la rue...

 Télémaque Signorini (Firenze 1835 - 1901)
Faubourg de Porte Adriana à Ravenne, 1875


... ou cette très sobre vue des banlieues de Ravenne, encore peu construites et tellement imprégnées de soleil et de mouvement que la lumière vibre et poudroie.

Fare Memoria di "come eravamo"

Une importante section de l'exposition, soucieuse de faire mémoire et de dire "comment nous étions", offre une belle collection de photographies, de son apparition à sa progressive affirmation comme source de témoignage visuel.

Rites et coutumes d'une société qui change

Antonio Mancini (Rome 1852 - 1930)
Les bulles de savon - 1877

Ettore Tito (Castellammare di Stabia 1859 - Venezia 1941)
Retour de chasse - 1909


Quoiqu'unifiée en 1861, l'Italie restait, à la fin du XIX bien enracinée dans ses traditions locales. À travers la peinture de diverses activités intimes ou sociales, les jeux des enfants, les distractions de ouvriers ou des bourgeois ... les peintres de cette fin de siècle se font les chantres d'un monde qui évolue trop vite. Quoiqu'encore majoritairement rural, il va devenir bientôt industriel, et perdre certains de ses repères qui font déjà figure de souvenirs nostalgiques.

Gioacchino Toma (Galatina 1836 - Napoli 1891)
Les pensionnaires au choeur - 1878


Les jeunes filles de bonne famille sont élevées pour tenir leur rang, ce sont les soeurs qui se chargent de leur apprendre à se tenir en société, elles brodent, font de l'aquarelle et chantent à ravir !! Et elles apprennent, dès leur plus jeune âge, à faire la charité avec bienséance !

Ettore Tito (Castellammare di Stabia 1859 - Venezia 1941)
Ma rose - 1888

Guiseppe Vizzotto Alberti (Oderzo 1862 - Venezia 1931)
Chardon Sauvage - 1895

Les femmes sont mélancoliques, sensuelles et doucement séductrices... et on les représente  volontiers avec un sentimentalisme de bon aloi, qui frise parfois la mièvrerie...

Enrico Lionne (Napoli 1865 - 1921)
Les gros et les maigres - 1899

Certains se permettent, avec une certaine discrétion, une critique sociale qui montre combien une classe se goberge pendant que l'autre tire le diable par la queue ! Mais on est déjà en 1899 et le nouveau siècle, avec ses idées sociales et les changements parfois dramatiques qui vont le caractériser, pointe son nez.


Moments de vie rurale

Eugenio Spreafico (Monza 1856 - Magreglio 1919
Le séchage du linge - 1904

En Italie, dans ces années à cheval entre la fin du XIXe et le début du suivant qu'on appellera le "Siècle bref", de nombreux artistes se sont attachés à représenter le monde rural. Encore très présent dans la péninsule de cette époque, très en retard pour l'industrialisation par rapport aux autres pays d'Europe. Les thèmes, récolte des olives, femme à la fontaine ou, comme ci-dessus, la lessive sont traités pour donner dignité à cette vie que les artistes considèrent comme authentique et à préserver.

Silvestro Lega (Modigliana 1826 - Florence 1895)
Procassina del Gabbro - 1885
Gabbro : sur le territoire de la comune Rosignano Marittimo - (Livourne) 

Cette peinture de la vie des campagnes, loin des villes qui ne cessent de grossir à leur détriment, ne cache ni la pauvreté, ni la dureté de ces existences rustiques mais en exalte la permanence. Elle rassure et flirte avec la nostalgie qui s'annonce : on pressent qu'elle va bientôt disparaître. Lega ainsi, donne à sa lavandière une gravité presque solennelle, qui transcende la misère.

Albums de famille : le portrait

Boldini (Ferrare 1842 - Paris 1931)
Portrait de femme aux fleurs - 1870

Il y a loin de la verve virtuose d'un Boldini, aux représentations plus austères des Macchiaioli. Le premier, pourtant, lorsqu'il peint ce portrait de femme aux fleurs, est encore proche de son expérience toscane et pas encore imprégné de frivolité parisienne.


La toile est élégante mais encore "provinciale", la pose pensive, visage en léger contre-jour pour l'imprégner de mystère, et les fleurs négligemment posées sur la robe virginale font de cette scène intime une pochage champêtre de bon aloi.

Silvestro Lega (Modigliana 1826 - Florence 1895)
La Gabbriana debout - 1888

Avec Lega, les femmes sont humbles mais fières, leur allure est vigoureuse, non dénuée d'une certaine noblesse. Sa villageoise est fièrement campée face au spectateur, elle l'interpelle d'un regard un peu sombre et sans servilité : elle n'a pas mis ses "habits du dimanche, son tablier est relevé comme celui d'une femme en train de cuisiner, et son fichu n'a rien de coquet ou de décoratif : il est là pour retenir son abondante chevelure brune. En fond, le village est vide, insignifiant, nulle concession à la joliesse ou à l'exotisme. C'est rude et franc.

Silvestro Lega (Modigliana 1826 - Florence 1895)
Dans la roseraie - 1892

Et même dans la roseraie, quoique plus gaie, la scène n'est pas anecdotique : le pinceau de Lega est toujours immensément grave, et s'il joue avec maestria de la lumière, pose avec esprit ici une touche rouge, là une autre d'un jaune brillant, l'ensemble reste sévère, posé et silencieux. Il n'y a aucune futilité chez le chef de fil des Macchiaioli !

Francesco Hayez (Venise 1791 - Milan 1882)
Femme priant - 1869

Mais ce qui plait sans doute le plus à la clientèle fin de siècle de cette Italie naissance, c'est ce qui lui rappelle son passé artistique glorieux, et, à cet égard, Hayez - vous savez, l'auteur de l'inénarrable Baiser des amants de Vérone, qui fait encore fortune aujourd'hui en carte postale !! - fut sans doute l'un des plus fervents défenseurs d'un classicisme à toute épreuve, rassurant en somme !

Carlo Cosri (Nice 1879 - Bologne 1966)
Silhouette à l'ombrelle - 1915

Domenico Baccarini (Faenza 1882 - 1907)
Portrait de femme assise -1906

D'autres prennent prétexte à l'art un peu mondain du portrait, pour s'essayer à quelques audaces de style, couleurs franches, coups de pinceau audacieux, proche du fauvisme, ou tentative de pointillisme, l'art italien tente de rattraper son retard !

Anselmo Bucci (Fossombrone 1887 - Monza 1965)
Autoportrait chez le barbier - 1916

Mais le plus réussi est pour moi ce très original autoportrait de Bucci, dont la mise en scène hardie, en miroir, est mise en valeur par une touche ferme et audacieuse. Le peintre, au lieu de se représenter face à une toile et palette à la main, s'est mis dans les mains d'un barbier, et suit, un peu inquiet, la progression du sabre sur sa joue !


L'homme, aux traits fins et le visage encore couvert de mousse, est coiffé en pétard ! On a commencé par la babre ! Et le miroir, dans un scintillement de couleurs chaudes, reflète l'intérieur du salon et son ambiance un peu embuée. Au premier plan, le coude du coiffeur, sculpté, tendu dans l'effort, occupe presque un quart de la toile sans que cela semble démesuré.

Felice Casorati (Novara 1883 - Torino 1963)
Cesare Lionello - 1911

Dernier reflet d'une époque paisible, ce délicieux portrait d'enfant réalisé en 1911 par Felice Casorati. Le 7 avril de cette année-là, le peintre écrivait à une amie "J'ai fait, ces jours-ci, un petit portrait rouge et bleu clair d'une enfant de trois ans, très sain, grosses joues rondes, coloré comme un fruit de printemps, la tête couronnée de boucles d'or ..."(1)


Et, de fait, Lionel César V, comme le nomme pompeusement le peintre, présenté en pied sur un précieux tapis digne de son "rang", bouille ronde et air boudeur, pose sagement, plus précoccupé de ses jeux que du peintre qui lui rend joyeusement hommage !

"Non v'è più bellezza se non nella lotta"

Giacomo Balla (Torino 1871 - Roma 1958)
Les quatre futuristes - 1915

"Il n'y a pas de beauté sans la lutte" disait le poète Filippo Tommaso Marinetti fondateir du mouvement futuriste en Italie, ajoutant "Toute oeuvre qui n'a pas un caractère agressif, ne peut être un chef-d'oeuvre". La conclusion de ce parcours est une synthèse des diverses sections, et présente des œuvres réalisées entre la première et la seconde décennie du XXe siècle.

Girogio de Chirico (Volos 1888 - Roma 1978)
Énigme du départ - 1914

Œuvres qui abordent les prémices du divisionnisme et l'avènement du futurisme, dont les premiers représentants italiens sont Filippo Tommaso Marinetti, Boccioni, Balla, Depero, Carrà, Russolo, tous décidés à évacuer les restes de la sensibilité et de la culture XIXe, avant que la Grande Guerre, vraie ligne de partage des eaux entre les deux siècles, ne vienne marquer profondément les utopies modernistes du mouvement.

Giacomo Balla (Torino 1871 - Roma 1958)
Paysage et voile de veuve (pour mieux comprendre l'étrangeté du titre, il faut connaître l'année de cette toile : 1916)

Le fil conducteur des idées de ces artistes était l'éradication des valeurs XIXe de la société italienne pour permettre au mythe du progrès, de la prééminence de la machine et du dynamisme de vaincre. Dès lors, l'art se devait de révolutionner les anciennes références, d'utiliser des matériaux nouveaux, même vulgaires, de réinventer les normes. Mais dès lors, une certaine angoisse commence à habiter l'art transalpin et les douces nostalgies du XIXe sont bien mortes. Une ère nouvelle s'ouvre pour le paysage esthétique.

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(1) “Ho fatto in questi giorni un ritrattino rosso e azzurro di un bambino di tre anni, molto sano-grosso tondo colorito come un frutto di primavera, con il capo fiorito di riccioli d’oro….” (G. Bertolino, F. Poli, Catalogo generale delle opere di Felice Casorati, Vol. I, pag. 190, Società Editrice Umberto Allemandi & C., Torino, 1995).

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