mardi 23 juin 2015

La complainte sur le Christ mort de Niccolo dell'Arca


L'exposition de Cimabue à Morandi, qui se tient à Bologne jusqu'à la fin du mois d'août, dont j'ai largement parlé en ces pages, proposait, pour compléter le parcours muséologique, de découvrir quelques oeuvres restées "in situ" dans les églises de la ville. Parmi elle, et parce que les deux bustes de Saint Dominique présents au Palazzo Fava nous avaient éblouis, la déposition du Christ réalisée par Niccolo dell'Arca réalisée à partir de 1463 et jusqu'en 1490 environ. Ces très belles terres cuites présentant des traces de polychromie qui prouvent qu'elles étaient colorées se trouvent dans l'église Santa Maria della Vita, riches de plusieurs merveilles (1).


La signature du sculpteur est lisible sur le coussin posé sous la tête du Christ : Opus Nicolai de Apuglia. Conçus comme des tableaux vivants, avec des personnages quasi grandeur nature, ces dépositions de croix sont assez fréquentes dans l'art de la fin du XVe, début du XVIe en Italie ... je me souviens de la superbe composition de Guido Mazzoni vue récemment à Ferrare... mais aussi en France : que l'on pense à celle de Verteuil sur Charente, déjà montrée dans ces billets. On parle en italien de compianto, qu'on pourrait traduire par déploration : en effet ce n'est pas, à proprement parler, une déposition, cette dernière relatant le moment où le Christ est descendu de la Croix.


Celle de Niccolo dell'Arca, d'un réalisme poussé à l'extrême, est particulièrement frappante : on pense que le sculpteur prit comme modèles de ses figures des malades hébergés dans l'hôpital proche. Les hommes sont dignes : Joseph d'Arimatie, agenouillé, semble défier le triste sort. Il tient encore les instruments qui lui ont permis de détacher le cadavre de la croix, tenaille et marteau disent toute l'horreur du supplice subi par Jésus.


Jean manifeste une peine retenue : seuls, son geste de recul et ses yeux plissés indiquent la force de son désespoir. 


A l'inverse,  les femmes forment un impressionnant cortège de pleureuses méridionales. Elles gémissent, hurlent même, et, comme Marie-Madeleine, tous voiles au vent, se précipitent vers le corps du crucifié.


Leurs bouches s'ouvrent en cris désespérés ...


... et leurs mains se tordent, se serrent convulsivement ou, dans un geste de refus, tentent de repousser l'inéluctable.
La scène, dès qu'elle fut réalisée, attira grand nombre de pèlerins et de visiteurs, impressionnés par son aspect proche du vivant et par sa dramatisation excessive. Il semble que les célébrations pascales en particulier, aient eu comme fond cette mise en scène vibrante de douleur et de piété. Du coup, cette oeuvre "rapportait" au sanctuaire des dons et des subsides conséquents qui permettaient d'entretenir l’hôpital dont je parlais.

Madeleine pleurant d'Ercole de' Roberti

Le drame et le pathos de ces figures sont exceptionnelles dans la culture italienne de l'époque, et l'on s'est interrogé sur les influences qui ont pu inspirer Nicolo dell'Arca : on a ainsi suggéré qu'il ait pu être inspiré par l' humanisme gothique d 'au-delà des Alpes et aussi par Donatello dont l'hyper réalisme dans l'expression de la douleur est particulièrement frappant. Mais il semble que la source d'inspiration la plus proche ait été une peinture d'Ercole de' Roberti, conçue pour la chapelle Garganelli de la cathédrale Saint Pierre de Bologne et aujourd'hui disparue. Le ferrarais maniait, en effet, cet expressionnisme marqué qui n'hésite pas à exagérer les traits et les postures pour traduire la tristesse.

(1) Voir autre article

5 commentaires:

  1. "Epoustouflantes" de vérité ces statues! Il me semble les entendre...

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  2. Je me suis fait volé le mot époustouflantes toutes ces statues...

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  3. Que dire de plus ?? criantes de vérité !!! Merci à toutes deux ...

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  4. Il semble que je puisse à nouveau écrire un commentaire ! c'était très frustrant ces blocages. tu es toujours aussi prolixe et passionnante.

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  5. Merci Robert, un peu trop prolixe sans doute, mais tout cela est tellement passionnant !

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