Vous avez l'habitude de nous entendre parler de votre grand-mère et de sa passion pour sa maison avec une condescendance un peu exaspérée, car elle y attache une importance qui nous semble démesurée dans notre style de vie, enfin un peu décalée dans le monde actuel... Le statisme, l'immuabilité, la perpétuation de supposées traditions nous semblent d'autant plus pesants qu'ils ne s'accompagnent dans son cas d'aucun véritable caractère de "maison de famille"...
C'est en effet la maison qui appartient à la famille depuis un siècle et demi, mais cette maison n'est pas celle des enfants joyeux, des kyrielles de cousins, des bêtises partagées, des fous rires et des bagarres, ce n'est ni Tchékov ni la comtesse de Ségur. Pour nous, cela a toujours été une maison de vieilles personnes, vide de rires et de jeux, aux règles immuables et pesantes, l'exact contraire du Peyrou, la maison du bonheur de Maf et Dadou... Mais Maf et Dadou, ils la construisent savamment et surtout amoureusement leur maison du bonheur, ils la "travaillent" toute l'année, préparant avec patience et générosité cette ambiance délicieuse qui y règne en maître durant les 2 mois d'été. Une "maison de famille", au sens mythique et presque féérique du terme, ce n'est pas une architecture mais un cœur, une organisation, une flambée d'amour tendre et dévouée. Pas un carcan sombre et paralysant qui veut enfermer les êtres avant de les aimer.Nous étions donc, Michel et moi, chez votre grand-mère lundi et mardi, et elle s'est extasiée sur deux de vos cousines que, bien sûr vous ne connaissez pas (car on a toujours, sans trop savoir pourquoi, été plus ou moins fâché avec tout le monde) qui étaient venues lui demander de leur parler de "la famille". C'est sûr que cela lui a fait un immense plaisir qu'enfin quelqu'un s'intéresse à son arbre généalogique : nous sommes, en la matière, de bien mauvais enfants, mais l'affaire est entendue ! Toujours est-il qu'elle nous a donné une photocopie des états de service du fameux ancêtre prestigieux de la famille (vous savez, celui dont le portait est dans le salon où nous n'allons jamais, au-dessus de son sabre et de son gobelet de campagne), états de service établi en 1855 afin que la veuve de ce valeureux soldat napoléonien puisse toucher du Second Empire une pension récompensant son service à la Nation. Alors, je vais tout de même vous faire partager cette tranche de vie, qui, avouons-le, est spectaculaire.
François Delfaud, né le 30 décembre 1769 (tu vois Hélène, cela arrive à d'autres de naître au moment où l'année se termine) à Cladeck en Dordogne, avait à peine 23 ans quand il est entré le 8 juillet 1792 au service du bataillon de la Dordogne. Sa carrière est proprement étonnante car nommé caporal le 5 avril 1793, il devient capitaine le 5 juin, rien moins. Le temps était aux promotions rapides ! Passé au 2ème bataillon de ligne de la Dordogne le 23 brumaire an 8, il est au 30ème de ligne le 15 ventôse de la même année. Réformé le 1er brumaire an 9, il reprend du service pour la campagne de Russie, rentré au 4-ème de ligne le 27 avril 1811 il sera retraité le 26 juin 1813.
Ses campagnes sont énumérées de façon laconique puisqu'il est indiqué qu'en 1792, 1793, ans 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 1811 et 1812 il est dans "diverses armées". Par contre ses blessures forcent l'admiration, et donnent plus d'indications sur ces fameuses "armées" : blessé d'un coup de feu à la jambe droite et d'un coup de biscayon en 1793, blessé d'un coup de feu au bras droit en l'an 3 en Espagne, d'un coup de feu à l'épaule droite le 16 août 1812 à Smolensk et de deux coups de feu le 17 à la cuisse droite. Il semble qu'outre l'Espagne, il ait fait Moscou, la Bérézina et Leipzig. Tout cela lui a valu la Légion d'honneur le 2 septembre 1812. Cet intrépide ne fit pas de vieux os, sans doute bien amoché à la suite de toutes ces aventures : il est mort d'une fièvre maligne, autant dire d'une infection, le 13 octobre 1817 à Périgueux, il avait 48 ans. J'ai cru comprendre que c'est son fils, Guillaume, qui a acheté la Tache en 1857, c'est à dire quelques temps après que les service de son casse-cou de père aient été salués par le nouvel Empire. Ce sont ses descendants qui ont donc touché les dividendes de son dévouement à la France, lui ayant surtout caracolé sur les chemins boueux d'Europe, y écopant blessure sur blessure. Le sabre cabossé et le gobelet de campagne posés sous son portrait sont plus émouvants quand on les imagine utilisés par cet intrépide, sans aucun doute très courageux pour s'être exposé ainsi, et recousus du haut en bas du corps ! Mal recousu on l'imagine dans des conditions sans doute bien précaires. Et, au-delà de notre manque de patience, somme toute bien classique mais tout juste teinté d'un reste adolescent de crispation contre les lubies des parents, vous comprenez mieux la légitime fierté de votre grand-mère à l'égard de son valeureux ancêtre !
Pour le goupillon, votre papa a, vous le savez, un autre ancêtre qui s'est illustré en subissant le martyre en Chine, mais la légende familiale est beaucoup plus floue et je ne saurais aujourd'hui vous en dire plus, car il ne semble pas que l'imaginaire collectif lui ait accordé beaucoup d'intérêt, sans doute moins impressionné par le caractère de son sacrifice. Je vous promets d'essayer de trouver quelques indices sur cette autre histoire !
Reste l'énigme du jour : trouver ce qu'est un "biscayon"... ben oui... à vous de chercher, les commentaires sont à votre disposition pour la réponse (je n'ai eu pas de succès jsuqu'à présent mais je ne désespère pas !!!!)
un biscayen est une balle provenant d'une boite à mitraille tirée par l'artillerie à courte portée contre l'infantrie.
RépondreSupprimerC'est l'ancètre du shrapnel.
Impossible de trouver la définition sur la toile, en général... alors, j'aurai appris quelque chose aujourd'hui (que je vais m'empresser d'oublier, mais bon, c'est une autre histoire !)
RépondreSupprimermoi j'avais carrément oublié aussi !
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