Ce matin, quelques inconforts hôteliers vite réparés, m’ont tirée du lit à une heure bien matinale, ce qui a eu le mérite de m’offrir Avignon à l’heure des éboueurs : déserte, calme et fraîche… la place du Palais des papes noire d’une foule baguenaudeuse et bruyante quelques heures avant, s’offrait au festivalier avec la candide nudité du matin. Un petit luxe qui appartient à ceux qui se lèvent tôt !
Amoureux des légendes, de la beauté et des univers poétiques, n'hésitez pas. C'est un enchantement. Erendira, c'est l'histoire d'une orpheline que sa grand-mère, indigne vieille dame, prostitue. Au fond de la scène, une barque. Celle des deux Bohémiennes, les dévideuses de cette incroyable histoire. Leurs mots font naître les images, font surgir, tels des pantins, les personnages qui apparaissent et disparaissent, dans des halos de lumières. La beauté et la perfection formelles d'Erendira font regretter de ne pas avoir vu Macondo. Erendira est le plus beau spectacle vu cette saison. C'est aussi l'un des plus magiques, celui qui porte le plus au rêve. Le Figaro / Nelly Gabriel
La journée a commencé par une valeur sûre : la suite de Macondo, très apprécié l’an dernier. Le théâtre du Chien qui fume était comble, tous strapontins ouverts et gens éparpillés par terre. Si l’effet de surprise n’a pluss joué, car Erindira est dans la même veine que Macondo, ce spectacle était cependant un excellent moment. La veine somptueuse de la langue inimitable de Garcia Marquez, alliée à une mise en scène inventive, subtile, réglée avec une précision d’horloger suisse, jouée par une artiste plus danseuse qu’actrice, d’une souplesse et d’une expressivité parfaite, des bruitages au millimètre, bref un beau spectacle à voir. En prenant des précautions, il est reconnu et très couru, il faut réserver et arriver assez tôt pour éviter d’être assis par terre.
Dans Une trop bruyante solitude de Bohumil Hrabal, Hanta est le prolétariat à lui tout seul. Prolétariat chargé de recycler les livres, revues, programmes de théâtre d'une culture qui bascule et s'effondre, il fait le ménage : dans son souterrain, il compresse livres rares et papiers de boucherie. Dans les mêmes paquets, il emballe la culture et le sang versé avec des reproductions d’œuvres des grands peintres modernes. Il invente avant tout le monde l'art contemporain fait des déchets d'une civilisation qui s'écroule. Hanta produit un art éphémère à son usage personnel. Il s'encrasse de lettres et de bière. Lui, le paria, est « le seul à être à la fois artiste et spectateur ».
En sortant, quelques pas plus loin dans la rue des teinturiers, un écrit superbe d’Hrabal nous attendait. Ce tchèque au destin tragique, qui s’est suicidé jeune après une vie d’ivrogne malaimé, nous livre là un texte très dense sur la solitude, le rassurant chemin d’une normalité vécue comme un refuge, la façon de transcender un boulot pénible grâce à la magie de la littérature, l’entêtement de la recherche des pensées et des mots qui ont bâti l’humanité.
L’acteur qui interprète ce broyeur de livres, bras du redoutable pilon qui attend sans pitié les invendus de librairie, joue avec une parfaite justesse et sans excès ce personnage minable, alcoolique, mais grand par sa capacité à absorber le monde dont il est coupé par le respect infini qu’il porte à la chose écrite. La troupe stéphanoise Trouble Théâtre qui n’était pas revenue en Avignon depuis 13 ans à la suite de déceptions diverses, avait jugé nécessaire, vis-à-vis de ses sponsors de participer tout de même cette année. Mais nous étions 5 dans la salle et cette incompréhension du public ne va sans doute pas pour les réconcilier avec le Off. C’est dommage, il faut absolument les aider, les encourager car ils ont du talent, ils livrent un texte fidèle et respectueux de l’esprit de l’auteur, soutenu par un acteur vraiment doué. Emouvant, précis, triste et désabusé, un peu naïf, mais ni dupe ni crédule, il voit son monde s’effondrer quand une nouvelle presse automatique, aux relents de productivisme outrancier, vient détruire sa raison d’être, de vivre et de survivre. Si on aime le théâtre de mots, il faut absolument aller voir cette pièce à l’Albatros. Et ensuite en parler dans les queues pour remplir dignement cette salle !! Passez le mot !!!
En sortant, nous avons déjeuné à l’ombre des platanes de la rue des teinturiers, une immense assiette dite Salsa pleine de délices arrosée d’un petit rosé bien frais… cela faisait plus de 24 heures que nous n’avions rien avalé !! Pour affronter plus activement la soirée, une douche et une sieste s’imposaient, très réparatrices après ma nuit écourtée.
Controverse théologique en 1263 devant le roi très oecumènique Jaime 1,elle a pour thème la personnalité du Christ. Paul Christiani dominicain juif converti et Rabbi Nahman défendent chacun leur foi avec conviction. En s'appuyant sur leurs écrits les Dominicains veulent prouver que les textes des Juifs sont la preuve de l'existence du Christ
Un pari audacieux que cette disputation, pour ne pas employer le terme de controverse, et éviter ainsi de faire remake de celle Valladolid... Ici le thème est traité avec brio, écrit par le metteur en scène lui-même à partir du véritable procès verbal ayant opposé le dominicain Christiani et le Rabbi Moïse ben Nahman. Le dominicain ex-juif, animé du zèle des convertis, s'appuie sur les textes sacrés juifs pour tenter de démontrer au rabbin que le messie attendu est déjà venu, et la Bible, la Thora et le Talmud volent en tous sens, cités en hébreu, en latin et en langue vulgaire. Le propos peut sembler austère et pourtant la pièce dure plus d'une heure et demie sans lasser un instant. Le texte met en valeur cet instant d'échange étonnant, fenêtre inattendue de tolérance que seule la magnanimité d'un prince éclairé peut permettre. Peu de temps auparavant la dispute de Paris, organisée sous l'égide de Louis IX, s'était terminée par un procès non déguisé des juifs, et l'autodafé de leurs livres saints. A Barcelone, l'ardeur prosélyte des dominicains et leur intransigeance à peine masquée sont maitrisées et tenues à distance, pour permettre que, seul, le débat soit à l'ordre du jour : Jésus est-il le Messie ou ce dernier est-il encore à venir ? Beau et sobre travail, mené par une troupe talentueuse et des acteurs de talent, qui nous rendent ce débat compréhensible, et nous éclairent sur des aspects peu connus de la théologie. Encore un spectacle à recommander.
Nous avons terminé la soirée par un spectacle divertissant et sans ambition :
Hocine emmène ses potes "bac moins 12 mais sensibles" voir Raymond Devos en hommage au maître. En route, ils rencontrent Jean-Christophe devenu Abdel-Youcef "Intégrisé aves sa djelaba lacoste et ses babouches Nike", Roselyne l'institutrice,limite hystérique et Gérard Depardieu dans un film d' Art et d'Essai de marguerite Duras.
En fait, nous nous sommes trompés d'auteur, nous pensions voir un autre Slimane (Benaïssa... aucun rapport avec ce spectacle un peu simplet), mais bon, après le problème juif, la beurritude et ses avatars, le malaise du jeune algérien qui fait ses 4x10 chez Peugeot et se cherche entre culture familiale et vie ordinaire de sa terre de naissance, la France, pourquoi pas. C'était sympa, même si le rythme peinait un peu et que le rire était parfois difficile à venir, les gags se répétant avec une certaine lourdeur.
Fin de soirée au petit chinois du coin, qui nous a forts bien nourris (on crève de faim avec ce stakhanovisme de théâtre) pour pas un rond, et qui plus est, à une heure fort tardive !!
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