Nous avions 20 et 25 ans, et nous venions tout juste de nous rencontrer. Michel s'occupait activement du festival de Gourdon et le milliardaire généreux qui gérait cette manifestation inhabituelle en ces temps reculés dans une si petite ville, lui avait confié la charge d'un sous-festival, destiné à rapporter des subventions en organisant des concerts de jeunes musiciens débutants dans des petites églises de village. On invitait de jeunes talents qui se sont révélés prometteurs, qu'on avait à peine assez d'argent pour nourrir et payer correctement, car l'ensemble ne rapportait pas un sou ! Bien qu'étant encore en tout début de carrière, ils avaient déjà l'habitude d'un certain standing. Notre accueil "nature" les remplissait de jubilation adolescente et il y eut des après-concerts mémorables, plus proches d'une troisième mi-temps que d'une réception ! Frédéric Lodéon lançant par dessus la table le soutien gorge de l'aubergiste chipé dans un panier de linge destiné au repassage, Augustin Dumay provocant une bataille d'oeufs durs chez une "châtelaine" qui leur faisait faire des ronds de jambes avec les hobereaux locaux alors qu'ils crevaient de faim après un concert, l'ambiance était carrément déjantée... On se retrouvait à porter le piano, aller acheter des fleurs en dernière minute, distribuer des billets gratuits avec un haut parleur dans les campings parce que la salle était vide...
C'est un peu cette ambiance chaleureuse et décontractée qui règne dans les soirées des "jeudis romans", qui s'égrènent chaque année sur la côte de juin à septembre. De jeunes talents, un public bon enfant et décontracté, une galette charentaise à la sortie, on s'est senti rajeunis de 35 ans !! Nous sommes allés écouter un duo piano violoncelle, consacré à des lieders de Schubert. Cela m'a permis de retrouver la passion qui m'animait à 20 ans pour cet instrument magique qu'est le violoncelle, ardent, humain, sublime, d'une sensualité sans pareille. Ce qui fait le secret de son incandescence, c'est la respiration, comme en un acte d'amour bien accordé : il faut placer son souffle en rythme avec celui de l'instrumentiste pour être porté par lui, et pour en ressentir toute la plénitude.
Le moment drôle de la soirée fut celui consacré à un morceau de musique spectrale... une sorte de kama sutra pour un violoncelle (trop savant pour être vrai !), mais c'était aventureux ! L'interprète a commencé par nous expliquer qu'il devait suivre sa partition sur un ordinateur commandé au pied, car elle était tellement grande qu'un pupitre n'y aurait suffit. Il nous initia ensuite à l'art de 1/3 voire 1/4 de tons. Puis il se lança avec ardeur dans des glissades étonnantes et détonantes, jusqu'à ce qu'une corde claque ! Sans se démonter, il partit dans la sacristie chercher une autre corde, l'installa, ré-accorda son instrument, et reprit sans coup férir ses dérapages bien contrôlés !
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