Voilà 24 heures que je me prends la tête, à essayer de résoudre un problème insoluble. Hier soir, je lisais "Élégie pour un Américain" de Siri Hustvedt, que tu m'as offert Marie (et qu'entre parenthèses j'aime vraiment beaucoup). Sans doute impressionnée par le jeu lancée par Oxygène à propos de la photo de Doisneau, j'ai achoppé sur l'histoire du pull rose pelucheux de Marit, "qui perdait ses poils comme un colley au printemps". Le père du narrateur raconte comment le lendemain, en enlevant une à une les fibres qui étaient restées accrochées à sa veste "autant dire rose", il a senti monter en lui une infinie tendresse pour cette jeune fille, et comment c'est à ce moment-là qu'il s'est senti devenir amoureux d'elle.
"Si on me disait que je ne peux conserver qu'un seul souvenir de ma vie et que tous les autres doivent disparaître, je choisirais celui-là..." Le jeu m'a plu, j'ai décidé de le jouer à mon tour, et c'est là que les ennuis ont commencé.
Réflexe sans doute naturel, j'ai évoqué le jour où j'ai vu surgir, sapé comme un astre, votre papa dans ma chambre de clinique, jour où tu le sais Marie, nous devions te rencontrer pour de vrai pour la première fois, et où il s'était habillé en ton honneur. Mais aussitôt, a surgi un deuxième souvenir tout aussi prégnant, de l'instant où le Docteur C... a soufflé sur le visage de ma petite Hélène en annonçant, hilare "C'est une fille". Donc, n'ayant droit qu'à un seul souvenir, j'ai été obligée de chercher autre chose, et j'ai renoncé définitivement à vous impliquer dans le jeu.
J'avais bien sûr à ma disposition le souvenir de la honte qui m'a saisie, au retour du Pyla certain jour de mai 1973, quand je me suis aperçue en rentrant chez moi que j'avais oublié le brin de bruyère que m'avait gentiment cueilli le drôle de garçon que mes amis Brigitte et Alain venaient de me présenter. Mais on ne garde pas un souvenir de honte. Se sont alors présentés à moi d'autres souvenirs de fleurs sauvages, offertes par le même jeune homme, affligé d'un rhume des foins terrible, déclenché par la cueillette en plein champ, bouquet pour lequel, tant il était gros, je n'ai trouvé de meilleur vase qu'une poubelle vidée de son contenu. Mais comment choisir entre ces fleurs, d'autant que d'autres souvenirs en foule m'ont alors assaillie, du temps de la découverte et des premiers instants, où je n'ai pas toujours eu un rôle avantageux. On ne garde pas comme unique souvenir celui du jour où, par exemple, suite à une trop forte émotion et à une véhémence caractérisée, on ne trouve rien de mieux à faire que de s'encadrer dans le feu du discours, dans un poteau de feu rouge. La bosse qui s'ensuivit résolut d'ailleurs ce jour-là bien des interrogations !
Les souvenirs d'enfance sont, quant à eux, assez traîtres, tant il est vrai qu'on a du mal à y distinguer le vrai du faux, autant dire ce qu'on vous a raconté mille fois et ce dont vous vous souvenez réellement. Il y a bien l'odeur de la fleur d'oranger des navettes de ma grand-mère, mais n'ayant aucun souvenir heureux de mes séjours à Marseille, ressentis comme autant d'abandons, je n'ai pas eu envie de ces sensations là. Je devais en être là de mes réflexions quand le sommeil m'est tombé dessus comme un gros sac, noyant dans d'autres rêves l'impression que je ne suis, décidément pas très douée avec la mémoire.
J'ai repris en partant travailler ce jeu fort distrayant, et me suis égrené des multitudes de tranches de vie, ai "re"ssenti des dizaines d'émotions oubliées, sans jamais parvenir à choisir un moment plutôt qu'un autre. Je repoussais bien sûr d'office tous les souvenirs douloureux ou pénibles, mais il m'a aussi fallu les affronter, ne fut-ce que quelques instants. J'ai tenté une fixation sur l'immense fierté que j'ai ressenti le jour où Henri m'a amenée voir "Les 101 dalmatiens", étourdie de bonheur d'avoir le même jour mon grand frère pour moi toute seule, d'aller au cinéma, et de "monter devant", dans sa superbe Dauphine. C'était une espèce de tacot déglingué d'une improbable teinte brunâtre, fruit de relookages intempestifs et maladroits, mais le véhicule me semblait un carrosse, et ma sortie digne de n'importe quel conte de fée. L'intensité de l'émotion ressentie m'a semblé de bon aloi, mais, à la réflexion, comme unique souvenir devant effacer tous les autres, cela m'est apparu un peu léger à l'usage !
A y bien réfléchir, le jeu a fini par me décourager et, plutôt que de trancher en fonction de critères qui me semblaient de plus en plus impalpables, j'ai dit "Pouce" et j'ai décidé de garder tous mes souvenirs vivants, heureuse de ce petit voyage dans le passé pour lequel je n'éprouve en temps normal, qu'une attirance modérée.
Réflexe sans doute naturel, j'ai évoqué le jour où j'ai vu surgir, sapé comme un astre, votre papa dans ma chambre de clinique, jour où tu le sais Marie, nous devions te rencontrer pour de vrai pour la première fois, et où il s'était habillé en ton honneur. Mais aussitôt, a surgi un deuxième souvenir tout aussi prégnant, de l'instant où le Docteur C... a soufflé sur le visage de ma petite Hélène en annonçant, hilare "C'est une fille". Donc, n'ayant droit qu'à un seul souvenir, j'ai été obligée de chercher autre chose, et j'ai renoncé définitivement à vous impliquer dans le jeu.
J'avais bien sûr à ma disposition le souvenir de la honte qui m'a saisie, au retour du Pyla certain jour de mai 1973, quand je me suis aperçue en rentrant chez moi que j'avais oublié le brin de bruyère que m'avait gentiment cueilli le drôle de garçon que mes amis Brigitte et Alain venaient de me présenter. Mais on ne garde pas un souvenir de honte. Se sont alors présentés à moi d'autres souvenirs de fleurs sauvages, offertes par le même jeune homme, affligé d'un rhume des foins terrible, déclenché par la cueillette en plein champ, bouquet pour lequel, tant il était gros, je n'ai trouvé de meilleur vase qu'une poubelle vidée de son contenu. Mais comment choisir entre ces fleurs, d'autant que d'autres souvenirs en foule m'ont alors assaillie, du temps de la découverte et des premiers instants, où je n'ai pas toujours eu un rôle avantageux. On ne garde pas comme unique souvenir celui du jour où, par exemple, suite à une trop forte émotion et à une véhémence caractérisée, on ne trouve rien de mieux à faire que de s'encadrer dans le feu du discours, dans un poteau de feu rouge. La bosse qui s'ensuivit résolut d'ailleurs ce jour-là bien des interrogations !
Les souvenirs d'enfance sont, quant à eux, assez traîtres, tant il est vrai qu'on a du mal à y distinguer le vrai du faux, autant dire ce qu'on vous a raconté mille fois et ce dont vous vous souvenez réellement. Il y a bien l'odeur de la fleur d'oranger des navettes de ma grand-mère, mais n'ayant aucun souvenir heureux de mes séjours à Marseille, ressentis comme autant d'abandons, je n'ai pas eu envie de ces sensations là. Je devais en être là de mes réflexions quand le sommeil m'est tombé dessus comme un gros sac, noyant dans d'autres rêves l'impression que je ne suis, décidément pas très douée avec la mémoire.
J'ai repris en partant travailler ce jeu fort distrayant, et me suis égrené des multitudes de tranches de vie, ai "re"ssenti des dizaines d'émotions oubliées, sans jamais parvenir à choisir un moment plutôt qu'un autre. Je repoussais bien sûr d'office tous les souvenirs douloureux ou pénibles, mais il m'a aussi fallu les affronter, ne fut-ce que quelques instants. J'ai tenté une fixation sur l'immense fierté que j'ai ressenti le jour où Henri m'a amenée voir "Les 101 dalmatiens", étourdie de bonheur d'avoir le même jour mon grand frère pour moi toute seule, d'aller au cinéma, et de "monter devant", dans sa superbe Dauphine. C'était une espèce de tacot déglingué d'une improbable teinte brunâtre, fruit de relookages intempestifs et maladroits, mais le véhicule me semblait un carrosse, et ma sortie digne de n'importe quel conte de fée. L'intensité de l'émotion ressentie m'a semblé de bon aloi, mais, à la réflexion, comme unique souvenir devant effacer tous les autres, cela m'est apparu un peu léger à l'usage !
A y bien réfléchir, le jeu a fini par me décourager et, plutôt que de trancher en fonction de critères qui me semblaient de plus en plus impalpables, j'ai dit "Pouce" et j'ai décidé de garder tous mes souvenirs vivants, heureuse de ce petit voyage dans le passé pour lequel je n'éprouve en temps normal, qu'une attirance modérée.
Je n'ai pas tant d'années mais tellement de souvenirs... je crois que tu as bien fait de laisser tomber ton petit jeu, c'est trop dur de garder une unique image du passé !!
RépondreSupprimerComme ils sont beaux et variés tes souvenirs Michelaise. Je m'y suis promenée comme dans un jardin un peu secret dont tu as accepté d'entrouvrir la porte...
RépondreSupprimerMerci d'avoir partagé avec nous ces retours en arrière.
Bon dimanche à toi !
Hello, juste te dire que c'est moi qui "réactionne" souvent et en particulier sur ce genre de billet où j'ai l'impression de regarder par le trou de la serrure ! Assez étrange comme sensation !
RépondreSupprimerBonne fin de journée
Merci pour ces petits bouts de vie que tu nous livres gentiment et que je trouve si émouvants, il est vrai qu'il est difficile d'en choisir un quand plusieurs ont leur importance affective.
RépondreSupprimerBonne semaine michelaise.
Je t'embrasse.
Joli moment de littérature, en la forme, Michelaise, et souvenirs fort attendrissants. Au fond, le problème posé m'apparaît insolvable : comment ne retenir qu'un seul souvenir quand c'est la somme de tous les souvenirs qui font le souvenir...
RépondreSupprimerOui, Laudith je suis sûre que personne n'accepterait de ne garder qu'un souvenir !
RépondreSupprimerMoun, je sais ta réserve et ta pudeur... Mais ne crains rien, je ferme rarement mes portes, mes fenêtres n'ont guère de rideau, donc on ne fait pas de voyeurisme. Je montre ce que j'ai envie de montrer, c'est à dire des petits riens.
Et oui Colibri, tu as raison, sur les deux points : pour rassurer Moun c'est plus de la "littérature", enfin disons plus modestement de l'écrit, que de l'étalage réel de choses intimes...
RépondreSupprimerQuant au souvenir, c'est vrai qu'il est tissé de petits éclats de vie qu'on réajuste au fil des ans pour en faire un écheveau de bonheurs conjugués au passé !
Koka, tes souvenirs ils sont déjà légion et la vie t'en réserve encore tant que ce jeu n'est pas pour toi ! Désolée ce n'est pas pour les petits !!
RépondreSupprimerBon et bien je ne joue pas non plus, j'attends d'être grande... cela dit le jeu est difficile en effet, et même impossible... je préfère ta conclusion !
RépondreSupprimerBon,j'ai pris pas mal de retard dans mes lectures... mais questions souvenirs !!! il ne faut conserver que les bons qui font du bien et puis attends.... tu n'as pas encore l'âge des souvenirs toi non plus il y en a encore plein qui t'attendent !!
RépondreSupprimerBisous bisous