lundi 19 octobre 2009

LA VIE AVANT TOUT


 L'important c'est de rester vivant est un document d'une force incroyable : la réalisatrice avait 5 ans en 1974. Rescapée des camps de la mort au Cambodge, elle rencontre le théoricien du pouvoir Khmer Rouge, Khieu Samphân. Elle le filme dans sa retraite, le laisse s'enthousiasmer sur ses idéaux politiques, et lui pose quelques questions simples et entêtées : saviez-vous ce qui se passait ? avez-vous ordonné ces massacres ? comment pouvez prétendre ignorer ce qui se déroulait dans les rizières alors que vous étiez président ? Face à elle, un sourire fixe cachant une dureté abyssale qu’elle saisit par instants : l’homme nie, se contredit, s’enlise dans d’improbables ignorances. Son incroyable prétention éclate à chaque image, et pourtant elle ne fait rien pour le prendre en défaut.
Le film égrène avec un talent extraordinaire des images d’archives, terribles mais pas trop prégnantes, qu’il actualise en les mêlant aux images actuelles, célbrant ainsi la continuité de la vie. Roshane Saidnattar a besoin de refaire le chemin à l’envers, à défaut de comprendre et elle retourne avec sa mère sur les lieux où elles ont été déportées après la prise de Phnom Penh. Le chemin est long et douloureux, l’émotion palpable et on a la peur au ventre dans ces rizières redevenues vivantes à défaut d’être humaines. Ce film porte un regard qui, par sa résonance intime, nous dévoile une part de la folie qui a dévasté un peuple entier.
Ce qui m’a frappée, c’est de retrouver dans le personnage de Khieu Samphân, l’inconscience, l’insensibilité et l’indifférence des témoins de S21. Une sorte de cruauté froide et souriante qui fait froid dans le dos. Mais, et ce qui rend le film encore plus bouleversant que S21, la réalisatrice et sa mère expriment, par leur démarche douloureuse, un besoin de comprendre, de vibrer, de dépasser cette incroyable période. Leur rencontre sur la pointe des pieds avec leurs anciens bourreaux, eux-mêmes victimes du système qu’ils n’ont pu ni su fuir est un sommet d’émotion contenue. C'est un film très peu distribué et pourtant il devrait être vus par tous pour ne pas oublier les horreurs dont l'homme est capable. Le summum de l'insoutenable, sous sa forme la plus absurde, est atteint quand Roshane raconte qu'à Phnom Penh, les khmers rouges avaient consacré un immeuble aux chaussures gauches des déportés et un autre immeuble aux chaussures droites.


Autre moment fort du week-end cinéma, pour une fois nous étions gâtés, c'est le dernier Claude Miller qui est, à mon goût, un chef d'œuvre de finesse et de délicatesse. Je suis heureux que ma mère soit vivante est une réussite totale car il peint des personnages absolument réalistes, justes, sans pathos excessif et pourtant terriblement humains. La jeune mère inconsciente qui abandonne ses enfants est totalement crédible et Sophie Cattani joue ce rôle ingrat et difficile avec une subtilité surprenante. Elle est trouble, ambigue et pourtant totalement plausible. Le fils égaré, qui cherche et désire sa mère au point de n'avoir plus de vie que dans cette quête, est lui aussi interprété avec ferveur par le jeune Vincent Rottiers, qui ne fait ni un geste ni un regard inutiles. Les enfants sont parfaits, craquants et toujours dans le ton. Quant à l'intrigue, elle est menée avec un talent que rien ne vient entraver. Miller avait du talent, nous le savions, mais avec son fils cela donne un couple de choc du cinéma qui vaut absolument le détour.

5 commentaires:

  1. Je n'ai pas vu le premier et j'avais beaucoup aimé le second.
    Les acteurs sont tellement justes que parfois il nous semble que c'est un documentaire.
    Mon billet était bien moins développé que le tien,mais nous étions en phase

    http://autourdupuits.blogspot.com/2009/10/un-fait-divers-qui-avait-inspire-un.html

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  2. La critique du premier film m'en rappelle un autre, plus ancien et romancé, sur le même sujet. Il s'agissait de "La déchirure".
    Anne

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  3. Ca a l'air effectivement très intéressant. Déjà le titre. Est ce que l'important c'est de rester vivant ? "la vie avant tout"..."la vie malgré tout".... Evidemment, c'est là, toute la complexité du sujet, la cruauté, la perversité des Khmers Rouges, ou d'autres. J'avais lu un bouquin sur la Shoah qui m'avait bouleversé. Vivre, même deux ou trois minutes de plus...Je ne peux pas m'empêcher de penser à "vivre libre ou mourir" donc plutôt mourir...en combattant, mais là...

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  4. Aloïs j'ai répondu sous ton billet !!! Et s'il est certain que nous aurions eu du mal à rater un Miller, nous avons été confortés dans l'idée qu'il fallait absolument le voir à la suite de ton billet très élogieux !
    Anne je n'ai pas vu la déchirure, mais en cherchant sur Allociné, je m'aperçois que la jaquette du film me dit quelque chose : je l'ai dans mes rayons ! Le jour où nous déciderons de regarder un DVD ce sera celui-là ! Par contre, vous avez bien compris, rien n'est romancé dans "l'important c'est de rester vivant", le personnage de Khieu Samphân est joué par lui-même, car c'est vraiment son interview qui constitue la première partie du film.
    Oui Chic, éternelle question, quels héros, quels résistants serions-nous ? Et finalement, ces résistants pour simplement survivre, qui ensuite témoignent, ne sont-ils pas très importants aussi ?? Bien sûr, c'est "la vie malgré tout", mais je suis d'un naturel fondamentalement optimiste (malgré les crises de blues inévitables !!)

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  5. Bonsoir Michelaise,

    Une guerre c’est une horreur. On en garde les cicatrices à vie, lorsqu’on a la chance de s’en sortir... C’est terriblement marquant pour un enfant.

    J’en parle rarement. J’ose écrire ce soir que je suis française, née en Algérie en pleine guerre, dans un quartier chaud d’Alger. Je me souviens encore. Voilà…

    C’est très bien d’informer Michelaise, pour que les gens n’oublient pas. Tes sujets sont variés et excellents.

    Merci. Je t’embrasse bien fort. Do.

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