mercredi 4 août 2010

CECILE CHAMINADE : 1877-1887, LES ANNEES FASTES


ATTENTION ARTICLE SAVANT !!!


Non, je n'hésite pas, en ce monde de consensus mou et de non-dits institutionnalisés, les lignes qui vont suivre sont quasiment du domaine de la science ! Je vous rassure tout de suite, je n'en suis pas l'auteur sauf dans leur retranscription : c'est peu ou prou le texte de la conférence que Feriel Kaddour nous a donné aujourd'hui sur cette musicienne peu connue. Or Fériel, outre le réel talent pianistique dont elle fait preuve et dont nous avons eu la preuve l’autre soir, égrène un curriculum vitae à faire pâlir de jalousie les plus blasés. Agrégée de musicologie, elle a enseigné cette matière à l'Université de Lille où elle bénéficiait d'une bourse de recherche. Elle a ensuite été nommée à l'Ecole Normale Supérieure où elle enseigne, en outre, la musique de chambre. Elle a également été chargée de cours à l’Ecole Polytechnique. Sa conférence était d'autant plus intéressante que, non contente de nous livrer les éléments assez inédits de la bibliographie de Cécile Chaminade, sur laquelle il n'existe qu'un véritable ouvrage écrit par une américaine (une certaine Citron), ouvrage à la fiabilité contestée, elle nous a offert une véritable mise en perspective de la carrière de cette compositrice, tentant de démêler les raisons de son évolution et de dégager une explication à son apparente méconnaissance. Je vais vous livrer, tant pis si la lecture en paraît trop aride, la quasi intégralité de cette conférence, plus pour rendre hommage à Madame Chaminade et au travail de Fériel que pour faire ici un billet de Michelaise, c'est à dire léger et sans prétention. Cependant, si vous avez cinq minutes et la tripe un peu féministe, vous apprendrez dans ces lignes beaucoup de choses passionnantes !! Vu la richesse de la conférence, je couperai mon article en plusieurs morceaux, consacrés chacun à une des périodes de la vie de Cécile Chaminade.

1877... une époque vibrante et en mouvement : époque de transition politique, d'évolutions techniques, l'art se cherche et s'invente nouveau à chaque instant, l'Âge d'Airain, le Lac des Cygnes, l'Assommoir... ça bouge, ça évolue, ça bouillonne même parfois. Cécile Chaminade a 20 ans. Son père, Hypolithe est directeur général d'une compagnie d'assurances et a épousé une aristocrate désargentée qui tient salon. Monsieur Chaminade joue du violon, son épouse joue du piano et a ce qu'il est convenu d'appeler une "jolie voix". On croise Massenet, Gounod, Saint Saens, Chabrier, Moskovsky qui épousera Henriette, la soeur de Cécile. Bizet aussi, qui sera la premier à avoir repéré les dons de la jeune femme et qui s'est battu pour qu'elle suive des cours de composition musicale. Le père de Cécile refuse avec la dernière énergie qu'elle s'inscrive au conservatoire, Il adhérait forcément à cette saillie insuportable de Stendhal « il n’est aucun de nous qui ne préférât pour passer sa vie avec elle une servante à une savante ».
Elle aura donc des professeurs particuliers : un pour le piano, un pour le contrepoint et la fugue et enfin un autre, Benjamin Godard pour la composition. Au passage, on apprend que Godard fut fort épris de Mademoiselle Chaminade mais qu'elle refusa de l'épouser, craignant qu'il ne la condamne aux deuxièmes rôles. Car Cécile a du talent et surtout le désir affirmé de desserrer le joug paternel. En effet, si papa Chaminade voyait d'un bon oeil que sa femme et ses filles soient des pianistes accomplies, qualité essentielle pour une parfaite maîtresse de maison, il n'entendait pas que Cécile devint compositeur, quelques soient les talents que décelaient en elles les plus grands. Bizet l'appelait "Mon petit Mozart" et Liszt aurait dit qu'elle lui faisait penser à Chopin. Mais quand, ce soir de 1877 un musicien à la mode, un certain Marsick, lui propose un engagement pour un concert salle Pleyel, la réponse est immédiate "Il n'en est pas question". Mais le papa autoritaire doit s'absenter pour affaires et comme il n'est pas à Paris le soir prévu pour le concert, la jeune femme qui a tout de même 20 ans et pas mal de caractère, passe outre l'interdiction. Sa carrière commence après ce récital où elle connait un réel succès.

Elle joue mais surtout, elle compose. Et ce qui est le plus étonnant est qu'elle compose avec une maestria, un caractère, un métier qui laissent pantois le musicologue d’aujourd’hui, confronté à l’oubli presque total dont elle a été victime.

1877-1887 Pour Cécile Chaminade, ce sont les années fastes, celles de la création et de l’écriture. Musique de chambre, symphonies, poème symphonique, suite pour orchestre, et même un opéra. Cécile fait preuve d’un véritable métier, ayant de vraies qualités techniques et une grande maitrise de la forme qui n’a rien de scolaire. Son écriture harmonique est très raffinée et elle présente un grand sens du développement, les lignes mélodiques se superposent, offrant une musique riche et aérée qui se ramifie largement. On n’a quasiment aucun enregistrement de son œuvre, les seuls que Feriel ait trouvé étant enregistrés par des américains ou des suédois, avec un peu trop de « joliesse » selon Fériel Kaddour. Par contre, on sait comment elles furent reçues par la critique, et là s’affirme sans conteste le réel talent de Cécile Chaminade. Pas de compliments édulcorés, ainsi qu’il était d’usage d’user avec les femmes : délicat, plaisant, joli, charmant, gracieux… Mais la reconnaissance solide de compétences musicales, on lui attribue des trouvailles harmoniques, des modulations inattendues, le sens de l’orchestration. Les critiques dépassent les habituelles louanges sirupeuses faites aux femmes et la reconnaissent à l’égal des plus grands de l’époque, hommes de préférence !

Parmi ses œuvres pour orchestre le ballet « Callirhoe » qui connait un fulgurant succès. Le sujet, dont il ne reste que le texte et la trame orchestrale, les partitions ayant disparu, est assez subversif : les Amazones chantent « Pour nous la victoire… il nous faut assouvir notre haine dans le sang des envahisseurs »… et font sus aux ennemis, les Perses. Bien évidemment (on n’aurait jamais pu faire Musiciennes à Ouessant sinon !!) elles les écrasent et font la plupart d’entre eux prisonniers. Mais il est dit qu’un Perse ne peut pas survivre plus d’une nuit dans le camp des Amazones. Il faudra donc tous les sacrifier demain. En attendant la reine des Amazones s’offre, pour une nuit, le beau Godard qui partagera sa couche… le repos de la guerrière en quelque sorte. Et vlan, ce qui devait arriver arrive, elle en tombe amoureuse. Les amants désespérés s’enfuient dès l’aube pour que le Perse puisse échapper à son sort funeste. Mais les Amazones en furie partent à leur poursuite et les tuent tous les deux. Le chœur final chanté par les femmes triomphantes nous met définitivement au parfum « Loin des hommes vivons en méprisant l’amour ». Créé de façon assez étonnante au Cercle Catholique d’Angers, il est salué avec admiration par la critique et fera le tour de monde, 300 représentations. Et partout il rencontrera un accueil favorable… partout sauf … à Paris. Mais nous y reviendrons. Et 1887, elle écrit un concertstück pour piano chœur et orchestre, influencé par Rimsky Korsakov et qui sera loué de l’Allemagne à la Russie en passant par les Etats Unis, et même en France où la culture russe est à la mode. On salue une pièce charpentée à la forme parfaitement maitrisée et son auteur est prise au sérieux à l’égal d’un Chausson ou d’un Saint Saëns. Jouée partout, reconnue, admirée non pas comme une « jolie » compositrice de salon mais en raison de son vrai talent d’harmoniste, tout lui réussit… et pourtant…

6 commentaires:

  1. Votre article est passionnant, Michelaise. J'ai hâte de lire la suite!
    Anne

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  2. Je croyais naïvement que Kant avait été le plus odieux envers les femmes lorsqu'il écrivit : "on ne peut pas faire étudier les mathématiques à ces jolies petites têtes..."
    Hélas, le pire est toujours à venir...
    Une biographie passionnante, Michelaise !

    Norma

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  3. Merci Anne de votre intérêt... j'avais un peu peur de lasser avec cette conférence mais j'ai trouvé que le travail de Feriel méritait d'être relayé et qu'il est bon de rendre justice à Mlle Chaminade
    Ah oui Norma, si la citation que nous a donné Feriel est vraie (et pourquoi ne le serait-elle pas, elle a bien cité Stendhal en disant que d'ordinaire elle aimait cet auteur mais que là... oups) il faut avouer que ça y va fort !

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  4. Bonsoir Michelaise ! Quand j'ai lu "Article savant ", je me suis aussitôt dit : ce n'est pas pour moi...
    Mais je suis curieuse... Tu as parlé de fibre féministe et j'ai poursuivi ma lecture.... La vie de cette musicienne semble passionnante et j'ai vraiment hâte d'en savoir davantage. Merci pour cet article si intéressant et à bientôt pour la suite que j'espère ne pas rater...

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  5. Moi aussi, j´attends la suite.

    Merci, Michelaise

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  6. Merci, je suis toute émue d'avoir pu vous intéresser au sort de cette femme remarquable... Merci surtout à Feriel Kaddour qui a su si bien préparer sa conférence !

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