Caillebotte, le généreux mécène grâce auquel le mouvement impressionniste prit son envol, le soutien financier de ses amis peintres, vous connaissez bien sûr. Même si son rôle consistait à soutenir l'activité de ses amis et à les aider financièrement, il n'y avait rien d'artificiel ou de spéculatif dans sa conduite en tant que collectionneur. On sait qu’il a payé le loyer de Monet pendant deux ans, aidé à la subsistance de Pissaro, financé les expositions du collectif et s’est révèlé un acheteur important lors des ventes impressionnistes. Il semble qu'il payait au-dessus de leur cote réelle les tableaux de ses amis, augmentant ainsi d'une manière détournée et discrète leur moyens de subsistance. Mais vous connaissez aussi « les raboteurs de parquet » ou « la Place de l’Europe par temps de pluie »… En un mot, vous connaissez Gustave. Pourtant, avez-vous déjà entendu parler de Martial Caillebotte ? Non, pas le père de Gustave, son frère.
Compagnons d’enfance, puis d’abandon après le décès, en moins de trois ans, de leurs père, mère et frère René, ils ont vécu ensemble dans un vaste appartement du Boulevard Haussmann, complices, proches et artistes tous deux. Ils partageaient les mêmes passions pour la philatélie, le jardinage, les bateaux, les régates et bien sûr, l’art. Riches, ils pouvaient s’adonner à leurs hobbies sans contrainte et laisser libre court à leur talent. Gustave nous a laissé un portrait de son frère au piano, car ce dernier était avant tout instrumentiste. De sa formation, tant à l’art du contrepoint qu’au clavier, on ne sait pas grand-chose, hormis que la maison de la famille Caillebotte se situait dans la même rue que le Conservatoire National de Musique. On a pu ainsi vérifier qu’il y fut élève, mais sans savoir vraiment comment il apprit à écrire la musique. Son répertoire peu ou mal connu, n’est pas très important d'autant qu'il réduisit encore ses compositions après son mariage, qui le sépara d’ailleurs aussi de son frère.
Quelques pièces pour piano, une valse, un psaume, un poème biblique mis en musique et un opéra dont on ne conserve que le livret, la musique ayant quant à elle, disparu. A l’occasion de l’inauguration des orgues de Notre Dame de Lorette, dont son frère ainé, Alfred, était prêtre, il écrivit aussi des partitions pour orgue. Au total, assez peu de chose qui permette d’assoir la réputation du musicien, comme celle de son frère fut, même tardivement, reconnue en tant que peintre.
Et voilà que Michel Piquemal, ami de la famille Chardeau, descendants du musicien, eut en mains la partition inédite de la Messe Solennelle pour le temps de Pâques et, séduit par « l’écriture postromantique inspirée » de Caillebotte, il décida, avec l’accord des héritiers de l’artiste, de monter cette messe avec son Grand Chœur Amateur de l’Abbaye aux Dames. L’aventure était lancée. D’après les choristes, ce travail, sans repère, sans version préexistante qui aurait pu les guider, fut long, difficile mais passionnant. La Messe Solennelle pour le temps de Pâques de Martial Caillebotte n'existait, en effet jusqu’alors, que sous la forme de la transcription artisanale d'un manuscrit tardivement exhumé. Il fallait donc tout « inventer », travail sur un terrain totalement vierge et pourtant exaltant. Quelle démarche captivante en effet que de décrypter, décoder, défricher ! Et surtout, à la fin, d’offrir au public une véritable création mondiale*, petit événement dans le microcosme de l’actualité musicale qu’il faut saluer avec l’enthousiasme de rigueur : une démarche audacieuse de la part de Michel Piquemal, et très courageuse car créer une oeuvre demande un travail hallucinant et comporte de vrais risques.
Quant à l’écoute de l’œuvre, je ne peux pas exagérer mon enthousiasme : n’étant pas particulièrement férue de musique allemande (c'est un doux euphémisme que de le dire ainsi) et l’inspiration du musicien étant nettement wagnérienne, je ne serais pas crédible. La partition est austère, le ton triste, voire désespéré, et on ne sent guère de jubilation dans cette pièce qui a, malgré son titre, plutôt des allures de messe des morts. L’écriture en est savante, le travail sur les tonalités est permanent, les dissonances succèdent aux dissonances, sans malheureusement se résoudre. On sent qu’elle a été créée non pour flatter un public, mais pour faire œuvre musicale. C'est une oeuvre tardive, écrite en 1896, 2 ans après la mort de Gustave, et peu de temps après celle du dernier membre de la fratrie, Alfred, le prêtre. Ceci explique sans doute l'immense tristesse de la composition, même si le titre rappelle l'espérance chrétienne en la résurrection. Caillebotte n’avait nul besoin de vendre ses partitions ou ses compositions pour vivre, et c’est sans doute ce qui explique que l’œuvre n’a jamais été montée. Je pense que les amateurs de sonorités germaniques pourront se délecter à l’écoute de cette partition, bien aride pour moi ! Contrairement à ce qui a été suggéré en début de concert, je n'ai absolument pas trouvé de caractère impressionniste à cette pièce, sévère et érudite, toutes en arpèges descendants et tonalités mineures. Quelques passages, plus légers, sont venus parfois titiller mon oreille. L'Agnus Dei enfin, qui manie mieux les couleurs vocales et marient enfin harmonieusement solistes et choeurs, termine la messe en douceur. Par contre, ce qui a suscité mon admiration c'est le travail des chœurs, de l’orchestre et surtout du chef qui méritaient, à eux seuls, le déplacement.
Nous nous étions demandé si les organisateurs du concert oseraient mettre Mozart en vedette américaine. En effet, pour « attirer » le chaland, et parce que le nom de Caillebotte, plus propre à évoquer dans nos contrées un fromage qu’un compositeur méritant le détour, ne pouvait pas remplir à lui seul une église, le programme offrait en outre le Requiem de Mozart. Il eut été doublement logique de jouer Mozart en premier : tant d’un point de vue chronologique que du fait des messes concernées : Pâques, la Résurrection, intervient après le Requiem. Mais c’eut été trop risqué et nous avons eu droit à Mozart en récompense à notre sagesse durant l’heure et demie qu’a duré le Caillebotte, au motif qu’en cette année 2010 on célèbre le centenaire de la mort du compositeur. Un Requiem enlevé, plein de caractère, tendu comme une corde prête à rompre, bref une lecture originale et intelligente qui nous a comblés d’aise. Les chœurs étaient parfaits, au diapason, et l’on sentait entre Piquemal et eux une parfaite communion, une vraie complicité qui rendaient leur interprétation particulièrement forte.
Un clin d'oeil local, comme l'a expliqué la présentatrice aux descendants de Martial Caillebotte, ici ce patronyme désigne un fromage blanc dont vous trouverez la recette ici ou ailleurs !
* L'honnêteté a obligé les musiciens à dire que certaines annotation portées sur le manuscrit de la partition pouvaient faire penser que l'oeuvre avait peut-être déjà été montée une fois, mais aucun témoignage ne venant confirmer cette exécution, on peut parler sans exagération de Création Mondiale !! En réalité, cette dernière a eu lieu vendredi dernier à Chauray... Pons était le 3ème exécution publique de l'oeuvre. Et pour les "locaux" qui auraient envie de découvrir ce morceau inédit, il y a encore un concert mardi 9 novembre 2010 à Saint Pierre d'Oléron. Qu'on se le dise, c'est un grand moment d'émotion de voir surgir du papier les sons et les notes écrits il y a plus d'un siècle et silencieux depuis !
Superbe publication sur, entre autres, ce merveilleux peintre que j'aime beaucoup et dont j'apprends l'énorme générosité et l'esprit de fraternité qui le caractérisent. Cela me le fait aimer d'autant plus !
RépondreSupprimerIl y a aussi des partitions à la Bibliothèque Nationale il semblerait.
RépondreSupprimerJ'aurais bien aimé écouter ce concert à Pons dont je garde un fabuleux souvenir.
Belle initiative de la part de Piquemal,il fallait oser.
Tiens cela me donne l'envie d'aller de nouveau faire un tour dans la maison Caillebotte,tout près de chez nous
C'est vrai Mathilde que c'est un plus quand les gens qui ont du talent sont, en plus, sympathiques !
RépondreSupprimerAloïs, j'imagine que tu veux parler de la dernière résidence de Gustave Caillebotte au Petit Gennevilliers, où il s'installa après le mariage de Martial. Ils abandonnèrent alors leur appartement commun du Boulevard Haussmann. Bonne idée de nous offrir un petit reportage sur cet endroit ! c'est toujours émouvant les maisons de peintres. Je ne sais pourquoi mais cela me fait plus d'effet que les maisons d'écrivains... encore que ??? bon bref, je ne suis pas très fixée ce matin ! au boulot !
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerJ'ai ptatiquement tout appris...
C'est un beau billet culturel...
Il me semble, cependant, que tu es un peu sévère à l'égard de ma musique allemade ( euphémisme ).
Je n'aime pas Wagner ...
Mais il y a tous les autres...
Merci beaucoup.Pour tout
Je t'embrasse.
Pas sévère Herbert, je n'aime pas trop personnellement donc j'ai du mal à apprécier. Mais j'aime Schubert, à la folie, Schumann presque autant, et Beethoven ! Ainsi que Mozart. Donc ce que je voulais dire c'est que le postromantisme n'est pas ma tasse de thé !
RépondreSupprimerJ'ai découvert "Les Raboteurs de Parquet" pour la première fois lors d'une sortie scolaire à Honfleur. Je devais être en CE1 ou CE2. Un tel réalisme, ça a été un véritable "choc" pour moi qui étais plus habituée à Van Gogh et Monnet... Je ne pensais pas qu'on pouvait être aussi précis et réaliste avec un pinceau ! C’est amusant d’imaginer que l’Histoire a eu plutôt la pensée inverse…
RépondreSupprimerAstheval, j'adore ton commentaire : je suis ravie de t'avoir rappelé cette découverte, en CE1 ou en CE2, c'est merveilleux qu'on t'ait fait découvrir cela ! il faut avouer que la première fois qu'on voit cette peinture, fut-ce en reproduction, on est saisit par la conjugaison de son réalisme et de son réel lyrisme. Je comprends ton choc, j'ai éprouvé le même, et c'est une découverte qui marque.
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