dimanche 12 décembre 2010

BECASSE ET TRADITION


Nous faisons en ce moment des travaux de rafraichissement de la cuisine et l'artisan local qui s'est chargé de ce travail est un mordu de chasse. Nous devisions l'autre jour autour d'un café, quand j'ai jugé bon de le faire parler de sa passion. Vous l'entendriez vous conter comment il lève le lièvre au gite, c'est comme une fable, il met dans son récit une telle conviction que c'en est presque délicat. Les ruses des trois protagonistes, le chien, l'homme et le lièvre, comment ce dernier, dès qu'il est levé, ordonne sa course, recoupe sa voie, revient en arrière. S'il est serré de trop près, il prend du champ en filant tout droit. Parfois, il court en zigzag, en essayant de mettre en défaut ses poursuivants, et il arrive même qu'après de multiples feintes, il revienne sur les chiens et se tapisse à couvert. Voire, il l'a vu une fois, à découvert, en désespoir de cause.
- Vous aimez le gibier, vous ?
- C'est à dire que je ne sais guère le cuisiner, n'ayant jamais eu de chasseur dans mon entourage.
- C'est dommage, je vous aurais bien donné un lièvre.
Blême à l'idée d'avoir à me coltiner avec le déshabillage de ce charmant animal, j'ai souri poliment, puis, soudain, une inspiration :
- Par contre, une bécasse, cela me ferait plaisir, c'est tellement bon... et rare !
- Ça tombe bien, j'en ai eu une samedi dernier, je vous l'apporte ce soir.
- Mais vous ?
- Oh, moi je n'aime pas le goût fort de la viande sauvage. Mais vous me direz si vous trouvez des plombs en la cuisinant.
- ???
- Oui, car ce n'est pas moi qui l'ai tuée, je n'ai pas tiré. C'est mon chien qui l'a levée tout seul, trois fois, avec des ruses de sioux, et elle a fini par se réfugier dans un buisson d'épineux dont elle n'a pu sortir. Elle s'est piégée toute seule, il n'a plus eu qu'à la "cueillir". Je me demande si elle n'était pas blessée pour s'être laissée prendre comme cela."


Le peintre parti, je me précipite sur mon téléphone, car je ne sais pas trop comment on cuisine la bestiole et j'appelle mon ami Marc, spécialiste du sujet. Son père était un chasseur de bécasse émérite, il faut l'être car l'oiseau est difficile à prendre et demande une patience hors norme et un réel talent, ainsi que des chiens qui tiennent bien l'arrêt, c'est pourquoi il sait parfaitement apprêter cet oiseau. Qui, vous le savez sans doute, ne se vide pas et que l'on fait cuire tel quel, l'intérieur étant ce qui donne toute la saveur au plat. Marc était en déplacement, il en profite pour passer tous ses coups de fil quand il conduit, et c'est donc au volant de sa voiture qu'il m'a communiqué la recette que voici.
"Tu la plumes demain (nous étions lundi, la bête avait été prise le samedi : de fait, d'après Alter qui s'est chargé du boulot, c'est beaucoup plus facile après quelques jours), et tu la prépareras samedi prochain. Tu coupes les pattes mais surtout tu laisses la tête. Bien sûr, tu ne la vides pas.
Dans une cocotte en fonte (aïe, je n'ai pas de cocotte en fonte qui aille sur l'induction ?!) tu fais chauffer un peu d'huile et tu mets la bécasse sur le ventre, puis sur chacune des ailes, et enfin sur le dos. Environ 5 minutes à chaque fois. Tu fais cuire à couvert mais en laissant le couvercle un peu soulevé. A la fin, quand tu l'auras mise sur le dos, tu verras l'abdomen qui éclate et l’intestin qui sort, c'est un tortillon blanc tout simple, pas du tout répugnant. A ce moment-là, donc après 20 à 25 minutes de cuisson selon la grosseur de l'oiseau, tu arrêtes le feu. Tu sors la bécasse, et avec une petite cuillère, tu la vides : l'intestin, le cœur, le foie et le gésier. Tu jettes le gésier et tu gardes précieusement tout le reste que tu mets au fond de ta cocotte, chaude, mais éteinte. Tu ouvres la bécasse en deux, et tu la poses, ouverture vers le fond, dans la cocotte quelques instants. Sans faire recuire. Tu mets un petit verre d'Armagnac, un coup de feu très bref pour le chauffer, et tu flambes.
Pendant la cuisson, tu auras préparé deux toasts de pain de campagne, assez épais, grillés, sur lesquels il est bon de tartiner un peu de beurre salé et de rajouter quelques moulins de noix muscade. Quand ton flambage est terminé, tu récupères dans le fond de la cocotte les abats, le jus et les sucs de cuisson, que tu verses sur les toats. Il ne reste plus qu'à rajouter les demies bécasses, encore un peu rosées à l'intérieur, et à servir. Tu vas voir, tu vas te régaler..."


Imaginez cette dernière phrase prononcée avec le savoureux accent toulousain de Marc, une gourmandise affûtée dans la voix, cela vous met par avance l'eau à la bouche. J'ai suivi en tous points, pour une fois, les instructions de Marc et je vous assure que c'est d'une simplicité étonnante, pour un résultat de roi. Je l'avais accompagnée de quelques morilles et d'une purée de céleri. Oui, je sais, le hic, c'est qu'il faut trouver une bécasse. Marc prétend qu'elles se vendent à prix d'or sous le manteau ! La nôtre n'avait même pas de blessure, elle était particulièrement grosse et savoureuse. Un vrai bonheur, rare et précieux. Je m'abstiens de vous ajouter une photo d'Alter post-prandium, il protesterait d'avoir été supris durant sa sieste digestive !

20 commentaires:

  1. Michelaise, il existe une petite plume, à chaque aile de la bécasse, une seule plume, qui s'appelle "la plume du peintre". Elle mesure environ 2 cm de hauteur et elle se remarque car elle possède juste la souplesse nécessaire pour peindre.
    Anne

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  2. Bravo en tout cas le résultat est magnifique !!

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  3. Merci Françoise, le compliment d'une spécialiste me va droit au coeur
    Anne maintenant que vous le dites cela me rapelle quelque chose mais j'ai totalement oublié de la chercher cette plume ! mais que l'aile était belle...

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  4. Je crois que je serais incapable de préparer une bécasse. C'est un peu bête mais j'ai beaucoup de mal lorsqu'il reste la tête...
    Bravo pour ta cuisine Michelaise !

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  5. Oui c'est barbare mais j'ai confié le plumage à l'homme... foskifo ! je crois qu'on laisse la tête à cause du bec qui est terrrrrrrible ! Mais voyons Astheval ton héroïne dévore de petits oiseaux, parfois mal cuits, souvent bien durs, cela ne doit pas t'effrayer !!

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  6. J'ai eu un instant d'angoisse en lisant : "tu ne la vides pas", heureusement, il fallait aller jusqu'au bout du texte...
    Bonne semaine !
    Norma

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  7. Oui mais Norma on mange l'intérieur après cuisson et c'est même ce qui fait le caractère de la bécasse. En fait c'est un oiseau dont les "entrailles" sont particulièrement simples et propres ce qui permet cette particularité toujours surprenante pour ceux qui n'en ont jamais mangé. Je t'avoue que quand j'ai dégusté ma première, chez Marc, j'étais un peu inquiéte et j'ai été totalement séduite par ce toas qu'on tartine avec l'intérieur de la bête, c'est d'une finesse rare.

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  8. Pas très téméraire pour tartiner et déguster l'intérieur de la bête, si raffiné soit-il, mais faut bien faire confiance alors oui j'aurais gouté

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  9. J'allais justement te demander ce que tu vais fait de la plume du peintre mais je vois que Anne m'a devancée.
    Le trophée des bécassiers,autrefois utilisé par les moines enlumineurs.
    Mon père fin chasseur nous imposait son trophée que l'on suspendait par la tête à un clou au-dessus de la cheminée.
    On lui donnait quelques tours et on la laissait ainsi se balancer.Quand la tête était près de se détacher du cou après plusieurs jours c'est que la bécasse était à point.
    Ma mère la faisait rôtir et tartinait des toasts recouverts d'un peu de foie gras du contenu de la bête
    Toi c'est la version Charentes nous Lot!!

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  10. Et c'est là que dame Bécasse après tous les affres des éclats de plomb, du déshabillage même fait avec douceur,-n'est-ce pas Alter-, après, dis je la cuisson de chaque côté de ses faces,l'étripage de ses petits boyaux, donc, Dame Bécasse ouvre alors son bec effilé et s'écrit:
    -Ciel ma virginité...
    J'ai un papa qui a été chasseur alors, la bécasse, je ne sais pas mais le faisan , le lièvre, le lapin, le sanglier, ja-mais plus, j'en ai trop mangé.
    Et les petites fritures du Gardon, pour en venir aux poissons des rivières, que l'on mange avec ses doigts par le dos, plein d'arêtes, stop!
    Défois on devient difficile par la force du destin!
    Quoique les petites grives bien lardées....................mais c'est tellement jolie en vol.
    Cela me rappelle qu'à côté de chez nous dans le petit bois, on se baladait avec Manie quand un vol de plomb nous frôle les oreilles, un malheureux chasseur planqué dans une cabane de branchages venait de viser une de ces petites bêtes volantes...
    Le pauvre, qu'est ce qu'il n'a pas entendu de la bouche de Marine qui l'a complètement paralysé le pauvre homme, défendant la survie des oiseaux, et moi lui faisant remarqué qu'il était trop près des habitations.Il ne savait plus où la mettre sa pauvre petite bête aux doux plumages, la tête alanguie, sans vie.Sans doute l'unique du petit bois.
    L'aura-t-il dégustée avec plaisir ce jour là après toutes ces invectives?

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  11. Bonjour, Michelaise.
    Et ce fut une bécasse aussi bonne que chez Ducasse...
    Bonne journée.
    et merci.
    Je t'embrasse.

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  12. Je ne doute pas de tes talents de cuisinière mais le gibier c'est spécial, je ne suis pas fan et de la chasse itou ...

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  13. Ah, la bécasse... bien sur, tu m'en avais déjà parlé, mais raconté comme ça, ça fait envie - quoi que plumer la bête doit être un peu trop technique pour moi !
    Bisous, bonne journée

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  14. Alors les avis sont partagés sur le gibier, normal, c'est spécial. Mais la bécasse, je vous assure, c'est à part.
    Aloïs, du foie gras en plus c'est carrément de la triche !! m'enfin, ça doit pas gacher le goût ! Forcément... Je suis certaine que si je suggère à Marc de remplacer le beurre sur la tartine par du foie gras, il sera tout à fait d'accord.
    Gérard, quant on te le présente tout cuit, accompagné d'un fumet à faire frémir les moustaches, on a envie de goûter et on oublie le côté "technique" et barbare.
    Je suis la première Oxy à pester contre les chasseurs qui nous bombardent de plombs et qui nous privent de promenades en forêts, car c'est toujours impressionnant de prendre une pluie de petits plombs sur la tête.

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  15. Bonjour, je n'ai aucune connaissance de l'art de la chasse et de la cuisine du gibier dont je ne raffole pas du tout du tout :) c'est donc un billet fort intéressant pour moi. Merci et au plaisir

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  16. Ta recette, enfin celle de Marc le Toulousain est celle d´un grand professionnel, toute en "Tradition et Terroir" comme je les aime.

    Je vous imagine la dégustant, veinards.
    Il ne me reste que la mémoire de ce souvenir.
    Mais, peut-être un jour rencontrerai-je un plombier ou un... qui m´offrira à moi aussi une bécasse...
    Bonne semaine

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  17. Oui Alba, je sais, j'ai un peintre en or, et en plus, il travaille bien !

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  18. Une petite histoire.
    Quand je vivais à Minorca. Noël vint. Le compagnon était à Londres, jusqu'à la dernière minute. C'est moi, qui ai du me débrouiller, ai acheter une dinde, vivante, S'i vous plais, tuez-a moi, je serais incapable de faire ça... plumer la dinde sous l'eau chaude, la farcir, la cuire. Pour une nana qui n'avait pas eu de bons exemples à la maison, je ne me suis pas mal débrouillée. Avec l'aide d'une copine Espagnole, ne soyons pas ingrate. Tout le monde a pu mettre les pieds sous la table à temps. Ouf.

    L'exemple d'une maman est tellement précieuse !

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  19. Bécasse, bécassine, cela veut aussi dire idiot ou idiote. non ? D'où vient-donc cette expression !

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  20. J'avoue Béatrice que je suis bien aise qu'Alter se charge du plumage... mais s'il fallait s'y coller, j'y arriverais après avoir vaincu les premières réticences à tirer sur ces jolies plumes.
    Bécessine c'est une héroïne de BD, mais pourquoi bécasse alors que, justement les bécasses sont des oiseaux hyper malins ? va savoir, cela doit se trouver sur le net, mais là je n'ai pas le temps. On verra ce soir

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