Il avait tout pour être une légende : orphelin de père et de mère dès son plus jeune âge, italien, talentueux, voire virtuose, mort à 38 ans… on fabrique des héros à moins que cela !!
Oui mais voilà : la domination un peu tyrannique de l’engouement, qui ne se dément pas, pour l’impressionnisme, l’a relégué trop longtemps au rang des curiosités artistiques. Quelle injustice… il n’est qu’à voir, ainsi qu’elle le remarquait dans son article, l’affluence qui se presse en face pour aller visiter Monet*, et l’on comprend qu’il en est des arts comme des modes : les engouements rendent la réputation des uns définitive, et confine les autres à la portion congrue. Pour le grand bonheur du visiteur qui peut, tout à loisir, profiter de cette exposition captivante « De Nittis, la modernité élégante». Bien que faisant depuis une vingtaine d’années l’objet d’une réévaluation critique, ce contemporain de Giovanni Boldini et des Macchiaioli, ami de Caillebotte, Degas et Manet, reste un peintre encore relativement confidentiel, y compris en Italie. Pourtant, au-delà de la question de son appartenance à l’impressionnisme, qui me semble bien secondaire, il est l’une des personnalités majeures de l’art italien du XIXe siècle.
Le musée de Barletta, la ville natale du peintre, a dû être vidé pour la circonstance, et l’on admire ainsi des œuvres qui couvrent toute sa carrière. De ses débuts de presque autodidacte à ses dernières toiles, d’autant plus émouvantes qu’elles furent peintes alors qu’il était encore bien jeune. Arrivé à Paris à 22 ans pour un court séjour d’une semaine, il y passe le reste de sa vie et prive ainsi l’école italienne du XIXème d’un de ses plus beaux fleurons. Cette exposition, fort complète et idéalement présentée par thèmes, l’Ofanto, le Vésuve, les rives de la Seine, les bords de la Tamise, les salons de l'aristocratie parisienne, les courses et quelques scènes intimes et tellement émouvantes.
La visite, qui est un vrai moment de bonheur tant il y règne lumière et diversité, permet d’appréhender la variété d’une production trop souvent cantonnée à la seule description de la vie mondaine. J’avoue que c’est ainsi que je connaissais De Nittis… comme un charmeur mondain dont les toiles pleines d’élégance pouvaient, pour un œil non informé, sembler convenues. En faisant la part belle au paysage, notamment dans la phase initiale de l’artiste, l’exposition révèle un De Nittis inattendu, interprète inspiré d’une nature dont il ne cessa de célébrer, avec une maestria saisissante, la mouvante beauté.
Issu d’une famille de riches propriétaires terriens, le jeune Giuseppe De Nittis montre une prédisposition précoce pour la peinture, mais son tempérament indépendant et frondeur l’entraîne bien vite hors des voies obligées. En 1863, il est prématurément renvoyé de l’Académie des beaux-arts de Naples, dont il refuse l’enseignement conventionnel, et met à profit sa liberté retrouvée pour peindre d’après nature.
« Chaque matin, raconte l’artiste dans ses Carnets, je sortais de chez moi pour aller chercher mes amis peintres Rossano et Marco de Gregorio, beaucoup plus âgés que moi. […].Quelle belle période ! Il y avait tant de liberté ! Et la mer, le vaste ciel et les horizons infinis ! Au loin, les îles d’Ischia et Procida ; Sorrente et Castelmare nimbées dans une brume rosée qui, petit à petit, était dissoute par le soleil. […] Certaines fois, heureux, je restais sous des averses imprévues. Car, croyez-moi, l’atmosphère, moi, je la connais bien, je l’ai peinte tant de fois. Je connais toutes les couleurs, tous les secrets de l’air et du ciel dans leur essence intime ».
Son souci de simplification formelle, parfois à la limite de l’abstraction, n’est pas du goût de son agent qui le presse d’animer ses vues du Vésuve de quelques scènes anecdotiques qui les rendront plus faciles à vendre. Il le fait avec un sens du détail et de la composition qui sont, aussi, d’une indéniable habilité et pourtant, ce faisant, ne déchoie nullement. Il passera sa vie à alterner ainsi scènes de la vie mondaine au charme enveloppant et feutré, scènes de rues détaillées ou enlevées, portraits fort attachants d’une réelle finesse psychologique, chantiers aux échafaudages géométriques, paysages à la Turner... Il manie le pastel avec une facilité déconcertante, et en tire tous les effets propres à ce médium, qui lui permet de donner à ses portraits une lumière et une douceur incomparables.
On pourrait penser, à l’énoncé des ces talents variés, qu’il n’était qu’un suiveur, ou qu’un imitateur : que non ! Toutes ses toiles ont du caractère, il y déploie un sens de la lumière, de la couleur, de la composition chaque fois renouvelés. Il a le sens de la mise en scène, un cadrage parfait, œil inventif et touche délicate. J’ai été frappée par la musicalité de ses compositions : dans toutes, on perçoit la rumeur du champ de courses, les chuchotis d’un salon, les cris de la rue, les clapotis de l’eau, le bruit feutré des conversations… De Nittis est un peintre à (re)découvrir de toute urgence !
*Nous avons, tyrannie impressionniste et force du marketing obligent, visité Monet nous aussi… mais il me semble inutile d’y consacrer un billet : exposition intéressante certes, incontournable dit-on, mais que j’avoue très humblement avoir été enchantée de l’avoir visitée avant de Nittis… ce dernier est tellement virtuose que mon appréciation de notre héros national aurait pu en pâtir ! Oui, je sais, ce que je dis là n’est pas culturellement correct, mais je n’en ai cure !
Quel enthousiasme communicatif Michelaise, j'avoue que déjà Françoise m'avait donné envie de mieux connaitre ce peintre mais là tu convaincrais les plus récaltcitrants, quel bel avocat ce peintre méconnu a en toi ! j'espère que cette expo sera encore à Paris quand je pourrai m'y rendre ... merci pour ce partage...
RépondreSupprimerEncore une fois nous sommes d'accord!
RépondreSupprimerJe crois que je vais y retourner,après les fêtes.
Ton billet m'en donne envie.
Revoir ces merveilles avant que la majorité retourne Barletta
Cette exposition m'avait enchantée comme celle consacrée en ces lieux à Sargent et Sorolla.
J'ai une entrée gratuite grâce à ma carte d'abonnement au musée d'Orsay pour "aller voir Monet" le 10 janvier,je ne sais même pas si je vais m'y propulser.
Elles sont si vives, compétentes et riches en facettes tes considérations, Mic, que je n'ai pas pu éviter de penser à tant d'autres brochures et catalogues officiels dont les auteurs ne seraient pas dignes de nettoyer tes chaussures... mais oui, tu peux en rire mais c'est ainsi que ça m'est venu à l'esprit... et sans meme encore avoir fait allusion à la qualité de ton écriture, qui rend tout si agréable à lire, un vrai et total plaisir dans l'ensemble.
RépondreSupprimerMais bon, ne laissons pas encore une fois il povero De Nittis dans l'ombre... Je crois que tu as tout à fait raison à son sujet: moi aussi (en tant qu'"italiana tipica" j'en ai le fort soupçon), meme si devant à ses toiles je les ai toujors beaucoup aimées, néanmoins je connais..sais très peu, anzi, per niente, leur auteur. Merci donc, une fois encore.
Et puisque nous sommes dans "le visuel", j'en profite pour souhaiter moi aussi que l'actuelle présentation de ton blog, très chic d'ailleurs avec son fond noir, aille changer au bénéfice d'une lecture plus facile.
Jolies pages. J'ai évité (je n'avais pas réservé et je n'étais pas tenté par la Machine à visite du Grand Palais) Monet pour cette enrichissante expo De Nittis. "La modernité élégante". Ce titre lui va comme un gant. Ses paysages étirés rappellent aussi nos grands peintres paysagers provençaux (Loubon, Guigou). J'ai probablement zappé quelques toiles, je ne me souviens pas de la patineuse...
RépondreSupprimerMerci pour l'hommage enthousiaste et argumenté que vous rendez à ce peintre, Michelaise. Vous donnez envie de visiter l'exposition de ses oeuvres.
RépondreSupprimerAnne
Alors là, je suis épatée par ce billet ! tu me permets de découvrir ce peintre absolument inconnu de moi qui vaut bien en effet de mettre au jour. Belle peinture en effet et une si courte carrière ... Des ressemblances évidentes (qui a influencé l'autre ???) avec Caillebotte notamment sur la lumière et son traitement. Je suis ravie de cette découverte ! merci Michelaise
RépondreSupprimerJe découvre de Nittis avec toi.
RépondreSupprimerMerci Michelaise
Heureuse année 2011
J'ai malheureusement un tout petit écran qui ne me permet pas de profiter pleinement des tableaux que tu as choisis pour illustrer ce billet mais j'aime beaucoup l'idée de peindre des atmosphères.
RépondreSupprimerEn tous cas c'est magnifique !
RépondreSupprimerTon billet m'évoque Turin et le musée du GAM,près de la maison où nous vivions. En 2002, il y a eu l'exposition De Nittis...j'ai toujours le catalogue, une certaine mélancolie dans ses tableaux !
RépondreSupprimerMerci Michelaise...Tu es à Paris ???
Catherine, jusqu'au 16 janvier suelement !!!
RépondreSupprimerAloïs, tu ne vas pas snober Monet, mais j'espère que le 10 janvier sera un jour creux ! nous avons eu la chance de visiter dans le calme ce qui est un sacré plus. Mais revoir de Nittis, oui vraiment, si tu en as l'occasion, cela vaut la peine
Evelyne, oui, une certaine douceur, voire mélancolie, mais une inspiration toujours fertile et passionnante. De forts belles toiles en effet. Tu es eu la chance de profiter de lui dès 2002...
Artemisia en effet, il y a dans certaines de ses toiles une certaine communauté d'inspiration avec Caillebotte, avec, je pense, une plus grande virtuosité.
Anne, Chic, Alba, Astheval, merci de votre approbation, je pense que ce peintre fait l'unanimité car c'est un vrai plaisir de parcourir son oeuvre.
Roberto, ces paysages tout en longueur du début sont, en effet, vraiment prometteurs... et te souviens-tu de cette petite toile d'squisses, présentées comme autant de petits tableaux dans le grand ? Quant à nous, on n'a pas zappé Monet mais bon, bref... c'est ainsi et il y a de belles toiles.
Siu, ravie de t'avoir "présenté" ce compatriote qui a quitté trop vite et trop tôt son pays ! J'espère que tu iras le voir à Barletta !!! quant à ma présentation de blog, je vais la changer dès que je serai sur "mon" ordi, ici je m'emmêle un peu les pinceaux !
et des magnifiques images en plus, une grande joie
RépondreSupprimerVoilà trois fois que je vois cette expo chez mes copinautes et là tu me donnes envie de courir la voir, j'aime beaucoup ce peintre...
RépondreSupprimerCe billet est un plaidoyer virtuose pour ce peintre je n'y vois qu'un détail qui vraiment me chagrine : l'expo plie bagage trop tôt.
RépondreSupprimerTrès bonnes fêtes de fin d'année.
Je suis vraiment trop contente du succès qui ne me semble pas seulement d'estime que rencontre de Nittis auprès de vous ! si vous en avez l'occasion, courrez-y, c'est vrai que le 16 janvier c'est bientôt, MArisol !
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