samedi 25 décembre 2010

NOUS SOMMES TOUS DE QUELQUE PART


Déjeuner à Cognac entre nanas… calmes, les nanas, pas le genre excitées qui piaillent en parlant « épingles » comme dirait Alter… l’histoire des « épingles » date du temps où je rédigeais ma thèse sur les contrats de mariage dans la région d’Orthez au 18ème siècle. L’inventaire des dots donnait lieu à des nombreux étonnements : on y trouvait souvent des marmites « pour faire pot et feu commun », des linceuls, de très rares hardes et, symboles suprême de richesse et de futilité dans cette région besogneuse et calviniste, des épingles.
 Au départ, nous ne nous connaissions pas, la marraine de Mandarine, une amie de Mandarine, l’amie de l’amie etc… mais, petit à petit, le Côte de Blaye aidant, ces dames se découvrirent des amis communs, des anciens profs dont elles cherchaient le sobriquet et les manies en riant aux éclats, et à la fin du repas, elles papotaient comme si elles s’étaient toujours connues. Et moi, qui réponds toujours à la question « tu sais, Untel ! », non, je ne le connais pas, faute de retenir les noms, faute surtout d’avoir un territoire marqué par mes souvenirs d’enfance, je me sentais étrangère à leur complicité. Elles babillaient sur leurs villages d’origine, parlaient de personnes décédées qu’elles avaient bien connues, évoquaient des fêtes anciennes, des coutumes  partagées, bref tout une vie qui, bien qu’elles ne se soient jamais vues avant, en faisait des semblables. 
Je déclarais en riant, larguée par une réminiscence quelconque qui ne m’évoquait rien « pas de doute, on nous avait prévenus quand nous sommes arrivés, en Charente on reste des « rapportés » même 30 ans plus tard ! ». La marraine de Mandarine approuva et affirma sans rire qu’elle-même se sentait encore étrangère dans son village d’adoption.  Elle habite Segonzac depuis 20 ans alors qu’elle a grandi à Pérignac de Pons, disons une vingtaine de kilomètres maximum, incapacité de s’intéresser aux familles dont les faits et gestes lui sont quotidiens et les péripéties connues, dans une intrication qu’elle ne peut ignorer.  Elle est, et reste de Pérignac et n’accroche pas aux aventures de ceux qu’elle côtoie comme elle s’intéresse à ceux de son ancien village, au milieu desquels elle a grandi et garde ses références personnelles. Vendre la maison que sa maman y habite encore lui semble une impossibilité affective et, quoiqu’elle n’en ait pas grand-chose à faire, elle semble bien décidée à conserver, envers et contre toute utilité, ce lien avec son enfance.
Grandie dans une banlieue de Bordeaux, dans une maison de hasard, vendue à mon entrée dans l’âge adulte, je n’ai aucun de ces repères qui émaillent la personnalité et l'"éthymologie" de tant de gens : ceux qui sont « de Loubressac » comme ceux « de Gourdon » vous racontent leurs souvenirs d’enfance comme des faits palpables, presque encore vivants à travers leur évocation. Les noms des lieux et des gens leur provoquent une résonance immédiate, alors que vous les regardez d’un œil glauque en essayant de situer sur une carte mentale ce à quoi ils font allusion. Cela vous demande un effort de reconstitution alors que pour eux, on sent que l’écho est naturel. Peut-être le fantasme de mon billet précédent est-il finalement lié à cette absence de racines : fille bordelaise d’un marseillais né de parents italiens et d’une stéphanoise ancrée dans son terroir, qui avaient tous deux fuit leur région d'origine pour planter leur tente et leur famille ailleurs, après avoir failli naitre en Normandie ou en Alsace, je ne me sens de « nulle part »…

11 commentaires:

  1. Ah, "les imbéciles heureux qui sont nés quelque part...". J'en suis et tant pis pour Brassens. Mais je me aussi sens le cul entre deux cultures, l'occitane et l'italienne. Mistral a écrit: Du passé la souvenance et la foi dans l'an qui vient. Pas facile de savoir où l'on va si l'on ne sait pas d'où l'on vient. Nos racines peuvent être chevelus ou pivots. Elles nous tiennent toujours quelque part, même si c'est de mille endroits. Reste à en avoir conscience. Pas trop vu le rapport avec le billet précédent où j'ai senti pointer quelque "lâcher prise" tendance bobo (rare pourtant sur ce blog, sourire). Trop de géographie ? Accrochons- nous à l'Histoire. L'important est de tenir, pour mieux courir...

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  2. j'adore cette titre, mais avec mes lunettes pas très au points, quoique neufs, c'est pas facile de lire, ton texte, très intéressante, sur le fond noir; alas, mes yeux...

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  3. et c'est pour ça que tu te sens bien partout...
    Je suis née d'un père Bulgare, lui-même Bulgare/Chypre/Anglais et d'une mère française/Belge/Canadienne/Irlandaise/Espagnole...élevée au Sénégal !
    Très joyeux Noël, Michelaise à toi et à ta chaleureuse famille.

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  4. Très sympa ce billet... dont les dernières lignes me font inévitablement penser que tu dois donc porter un nom de famille italien. Alors que son titre me plonge avec toute l'émotion et le chagrin du cas, l'absence de Herbert Pagani se faisant sentir depuis 22 ans, dans l'intensité d'une de ses plus belles chansons, "Les gens de nulle part" justement...

    « Les gens de nulle part
    sont tous de quelque part
    ils ont tout simplement
    perdu leur paradis
    ils sont les rescapés
    d'immenses tragédies
    qu'on nomme avec pudeur
    bavures de l'histoire... »

    ...un texte qui va bien à Noel, à mon avis car ils va bien n'importe lequel des autres 364 jours.
    Meme pensée venue à mon esprit en lisant ces mots, provenants de la Bolivie, reçus hier:

    "E' Natale ogni volta
    che non accetti quei principi
    che relegano gli oppressi
    ai margini della società"

    ...e buon santo Stefano a tutti.

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  5. Etre de nulle part, c'est être aussi de cet "ailleurs" qu'on s'est construit et c'est cela l'important, je crois...
    Bonne journée, Michelaise !

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  6. Celle de Loubressac se reconnait bien dans ce descriptif.
    Il y a aussi le revers de la médaille,celui de ne pouvoir bouger une oreille sans être repérée.
    Celui de ne pouvoir aller acheter une bouteille de lait au village sans que sauf de raser les murs ou d'emprunter des chemins détournés, sans y perdre un temps fou,car on se doit de demander à Yvette si ses genoux ne la font pas souffrir,à Gabriel si la récolte de noix a été bonne,à Euphrasie si les petits enfants vont bien....
    Mais on sait aussi que si Madame Mère a un ennui quel qu'il soit ,tous se mettront en quatre pour te laisser le temps de parcourir les cinq cents kilomètres,et pareront au plus pressé c'est cela aussi être de quelque part.
    C'est ne pouvoir aller à un concert l'été sans dire moultes:"hello!salut!ça va?depuis le temps...tu viens prendre un verre?"
    C'est aussi des encarts dans la presse locale lorsque l'un des tiens disparaît et que tu prononces son éloge funèbre.
    C'est ne pas envisager de se séparer de tes "racines ", et c'est lourd sur tes épaules,c'est souvent assujetti à un sacrifice.
    On finit par se demander si il ne vaut pas mieux être de nulle part,pas de regrets ,pas de remords...
    Tout bien réfléchi je crois que c'est bien d'être de quelque part!
    Mais je pense que c'est propre aux lieux où la solidarité est engagée,nécessaire,pas aux grands espaces urbains où chacun vit sans se préoccuper de son voisin.
    Etre de quelque part est peut-être un phénomène de société
    Je ne sais où tu l'a dénichée cette carte du château???
    Mais bravo!

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  7. ROberto, il est peut-être tendance de trouver que nous nous agitons en vain, mais je me demande si finalement ce n'est pas une "tendance" qui a fait ses preuves !! nos ancêtres ont tous, à un moment ou à un autre, mené ce type de réflexion... les "vanités" en sont la preuve !!! quant au lien entre les deux articles, je pense qu'il est relativement noraml de fantasmer sur la fuite, la disparition quand on n'est pas de quelque part, on n'a rien à perdre en termes de racines... on se dit qu'on doit pouvoir poussser partout !
    Julie je suis désolée pour le fond noir, c'est vrai que cette présentation est jolie mais un peu trop marquée, je la changerai sous peu, on s'en lasse vite
    Evelyne, tu es carrément cosmopolite ! c'est encore autre chose, tu es "de partout" !!! cela ouvre des horizons et donne le goût de la découverte
    Siù, entre Pagani et Brassens cité par Roberto, le billet donne dans la chanson. J'aime beaucoup ton commentaire et les voeux que tu as reçu de Bolivie sont exactement ceux qu'il faut prononcer si on veut que Noël ait un sens. Même si certains esprits bien pensants y voient de vagues intentions non suivies d'effets, il est bon de célébrer le devoir de mémoire dans l'humanité.
    Aloïs, tu décris EXACTEMENT tout ce que je connais pour en avoir entendu parler mais jamais vécu !!! et c'est un peu cela que je voulais dire, c'est étrange de n'avoir aucune de ces références. La faute, sans doute, à la banlieue dans laquelle j'ai grandi, une banlieue n'a jamais l'âme d'un village. Et bien sûr pas question d'idéaliser, ni dans un cas ni dans l'autre, c'est tout simplement étonnamment différent, deux mondes vraiment divers.

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  8. Né quelque part
    by Maxime Le Forestier

    On choisit pas ses parents,
    on choisit pas sa famille
    On choisit pas non plus
    les trottoirs de Manille
    De Paris ou d'Alger
    Pour apprendre à marcher
    Etre né quelque part
    Etre né quelque part
    Pour celui qui est né
    C'est toujours un hasard
    Nom'inqwando yes qxag iqwahasa {2x}

    Y a des oiseaux de basse cour et des oiseaux de passage
    Ils savent où sont leur nids, quand ils rentrent de voyage
    Ou qu'ils restent chez eux
    Ils savent où sont leurs œufs

    Etre né quelque part
    Etre né quelque part
    C'est partir quand on veut,
    Revenir quand on part

    Est-ce que les gens naissent
    Egaux en droits
    A l'endroit
    Où ils naissent

    Nom'inqwando yes qxag iqwahasa

    Est-ce que les gens naissent Egaux en droits
    A l'endroit
    Où ils naissent
    Que les gens naissent
    Pareils ou pas

    On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille
    On choisit pas non plus les trottoirs de Manille
    De Paris ou d'Alger
    Pour apprendre à marcher

    Je suis né quelque part
    Je suis né quelque part
    Laissez moi ce repère
    Ou je perds la mémoire
    Nom'inqwando yes qxag iqwaha.sa
    Est-ce que les gens naissent...

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  9. Fan de chichourlo, cette histoire de racines mobilise les esprits et fait tailler des bavettes...Excellent !

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  10. nous sommes tous de quelque part, mais ce que je trouve ici je ne le trouve nulle part ailleurs...:)

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  11. Taillet des bavettes, et chanter, nous chantons beaucoup sur le thème "je suis né quelque part"! je suis ravie de ce charmant concert !!
    Chic je t'adooooooore !!

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