dimanche 9 janvier 2011

COMEDIE FRANCAISE

Comme Avignon est encore loin, et que nous sommes un peu sevrés de théâtre, nous avons profité de notre séjour parisien pour nous offrir, coup sur coup, une en matinée l’autre en soirée, deux pièces, des vraies, des classiques avec une troupe et un beau décor et tout le saint frusquin. En un mot, tout ce que l’on n’a pas à Avignon où l’âpreté au gain des loueurs de salle contraint les troupes à faire au plus court, au plus juste, au plus vite. Je rappelle que chaque salle est louée 5 à 6 fois dans la journée, ce qui oblige les acteurs à faire cesser au deuxième rappel les applaudissements après le spectacle, car ils doivent démonter en toute hâte afin de céder la place à la compagnie suivante, qui piétine devant la porte !
Et où mieux qu’à la Comédie Française trouver tous ces ingrédients pour en faire son miel ? Nous avons commencé par Trois Sœurs de Tchékhov, dans une mise en scène d’Alain Françon qui fera, j’en suis sûre, référence. Une distribution idéale, parfaitement à l’unisson, sert ce texte superbe de Tchekhov pendant presque 3 heures, sans le moindre essoufflement, sans la plus petite faiblesse. C’est gai, enlevé, grave, émouvant à vous en faire venir les larmes aux yeux. Tchekhov pensait écrire un vaudeville, c’est un drame qu’il nous propose ici, et c’est sans doute une de ses pièces les plus noires et pourtant les plus abouties. On y retrouve les thèmes récurrents de l’auteur, la fascination pour un travail dont on ne sait à quoi il ressemble et dont on parle mollement allongé dans un fauteuil où l’on s’ennuie, les liens familiaux qui sont à la fois carcan et survie, la légèreté de certaines femmes, la gravité d’autres, l’insignifiance des hommes, une sombre histoire d’amour, l’oisiveté, la peur de la pauvreté etc etc. Mais ici, il y a une fin, celle de la perte des rêves, de l’effondrement des illusions et de la dure nécessité de survivre, envers et contre tout ça.

Les acteurs sont tous superbement justes, crédibles et terriblement humains, forts, et si fragiles pourtant. La mise en scène est magnifiquement orchestrée par Françon qui ne laisse rien, pas une réplique, pas un geste, pas une hésitation, au hasard. Si vous passez par Paris, n’hésitez pas à aller vous laisser enchanter sous les ors de la maison de Molière : nous avons eu une des premières représentations.
Le soir, nous avions Andromaque. Je suis une accro de Racine et ses alexandrins me mettent toujours dans un état proche de l’extase. La mise en scène de Muriel Mayette est en tous points SPLENDIDE : c’est beau comme un poème éthéré, c’est esthétique en diable, réglé au cordeau, éclairé comme une toile de maître. Une harmonie antique, ponctuée de fûts de colonnes et de rideaux légers, des costumes vaporeux et élégants, le tout dans un camaïeu de sable et de gris délicieusement équilibré. Bref, un vrai bonheur pour les yeux. Les acteurs, rompus à l'art de dire très naturellement  et à la perfection le vers racinien, liaisons, silences, synérèses et diérèses comprises, sont irréprochables. Même si les rôles secondaires étaient un peu maladroits dans leur jeu,  une mention spéciale doit être attribuée à la charmante Suliane Brahim qui débute dans un premier rôle et le joue avec une réelle sensibilité. Mais voilà …
Je ne m’ennuie jamais à Racine, je n’y baille jamais, et là, j’avais du mal à tenir le coup. Pourquoi, me direz-vous, avec une telle perfection stylistique ? Tout simplement, je crois, à cause d’une petite musique discrète mais lancinante qui avait pour effet de couper complètement la musicalité propre aux vers de Racine et qui, ce faisant, rompait la magie de l’alexandrin classique. Ce fond sonore, agréable au début, devenait entêtant, rendait soporifique ce qui n’est que beauté et se suffit largement sans ritournelle. Finalement ce fond sonore cassait la tonalité racinienne du texte. La lenteur imposante de l’interprétation, la volonté affirmée de n’y faire apparaitre aucune aspérité, aucun relief, ajoutaient à ce sentiment de pesanteur qui finissait par endormir le ban et l’arrière-ban.  

Rien de grave, mais avoir les paupières lourdes en écoutant Andromaque, quelle déception pour moi ! La pièce, complète jusqu’aux dernières représentations à Paris, sera jouée cet été dans le très approprié théâtre antique d’Orange, et mes quelques réserves ne doivent en aucun cas vous dissuader d’aller la voir. C’est tout de même un beau spectacle. Il est possible qu’en extérieur la musique soit moins lancinante et qu’elle compense agréablement les bruits parasites qui ne manquent pas d’émailler les soirées d’Orange, surtout si on a dû s’y contenter de places haut perchées ! Les sons de la ville couvrent parfois les interprètes.

12 commentaires:

  1. Quel plaisir de lire sous ta plume ce que tu m'avais confié de vive voix!
    La Comédie Française on ne s'en lasse pas,le cadre,le talent,tout!
    Et dire que certains ne connaissent pas

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  2. Le décor épuré de cet Andromaque semble superbe mais je pense comme vous : un fond musical sur les vers de Racine est une hérésie quant à les dire sans un minimum de déclamation, sans tomber dans les excès du XIX° siècle, édulcore l'émotion qu'ils doivent transmettre. J'ai de très émouvants souvenirs de soirées salle Richelieu à cette époque on ne cherchait pas à mettre à la mode les grands classiques, il y avait une continuité, une tradition qui n'est plus de mise. On trouve les mêmes incongruités dans les mises en scène de certains opéra.

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  3. Michelaise tu es si passionnée que tu me donnes toujours envie de découvrir ces spectacles auxquels tu assistes...
    J'ai eu la chance d'aller à la Comédie Française il y a un nombre d'années que je n'ose même plus calculer. J'étais adolescente et la grand-mère d'une de mes amies lui avait offert un abonnement à la Comédie française. Les parents de Clara ne voulant pas laisser leur fille aller seule affronter la capitale, ils m'ont offert le même abonnement pour que je l'accompagne... Quelle chance n'est-ce pas d'inspirer ainsi la confiance.... ;-)
    Nous avons vu de nombreux classiques pour mon plus grand bonheur et avons aussi bien ri de ces escapades parisiennes.
    De très bons souvenirs que tu viens de me faire revivre en me donnant aussi envie de franchir de nouveau les portes de cette grande maison.
    Bonne soirée à toi Michelaise !

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  4. J'aime beaucoup tes photos d'"Andromaque" mais je retiens "les trois soeurs" que j'aimerais voir !
    Bonne soirée !

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  5. Bonjour Michelaise
    Très intéressant billet critique sur le théâtre, on sent beaucoup d'amour pour cet art...
    je suppose que je te rejoindrais dans le regret de cette musique parasite,
    capable à elle seule, de gâcher une soirée.
    je suis souvent exaspérée par la musique imposée et omniprésente !
    Merci et bravo pour ce blog.

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  6. Bienvenue Solvieg, merci de voyre visite. L'art de la musique au théâtre est un art délicat. Celle-là était discrète mais trop prégnante ! Surtout face à Racine, enfin à la musique des alexandrins
    ALoïs, on ne s'en lasse pas quand comme nous, comme RObert M nous avons eu la chance ou l'audace (??) d'y aller
    Mais ce n'est pas un sanctuaire, les places n'y sont pas plus chères qu'ailleurs, elles sont en vente sur internet, et si l'on y cotoie les ors qui siéent à cette institution, on y rencontre surtout une QUALITE de diction, de mise en scène, de texte, bref, il FAUT oser y aller, y retourner. Je suis sûre que vous faites lors de vos virées à Paris des choses bien plus compliquées car, prestige oblige, on croit que la Comédie Française est un sanctuaire !!! allez célébrer le beau texte sous le regard bienveillant de Molière ! C'est une salle subventionnée en plus.
    Oxy, je ne doute pas que tu aies inspiré (et que tu inspires encore) confiance... vas à la Comédie Française, une prochaine fois, voir un texte qui te plait, tu ne pourras être déçue, même si ce n'est pas idéal c'est toujours de qualité
    Enitram, les trois soeurs t'attendent jusqu'en mars, voire avril !!!

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  7. La France est bien à l'image de sa Comédie :) Un pays extra-ordinaire et comme parfois les enfants terribles...terriblement attachante

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  8. Fort bien vu Chic !! j'aime ta façon de définir la France et les français, réaliste mais indulgente !!

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  9. Bonjour, Michelaise.
    Paris, c'est Paris...
    Avec sa comédie française.
    A te lire j'ai frissonné de bonheur.
    Tant pis pour le petit bruit...

    Merci beaucoup. pour ce partage.

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  10. Herbert, voyons, pas de souci il est tout discret ton frisson, personne ne s'en offusque !! Et puis, tu sais, sur une scène y a du bruit : on court, on marche, on parle, on vit !! une salle de théâtre est moins exigeante qu'une salle de concert !! on peut tousser !!!

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  11. Lorsque j'étais parisienne, j'aimais bien y aller.
    Y retourner est dans mes bonnes résolutions 2011.

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  12. Ton billet donne vraiment envie de monter au plus vite sur Paris pour un week-end théâtral !
    Il faudra quand même que j'aille un jour à la Comédie Française...!
    Bonne journée.

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