lundi 31 janvier 2011

L'ITALIENNE A BORDEAUX


Pour avoir quelque chance d'avoir des places pour Atys, la mythique version de l'opéra de Lully dirigée par William Christie en juin prochain à Bordeaux, il nous fallait absolument prendre un abonnement dès le mois de juillet dernier. C'est ainsi que nous avons renoué avec le GTB et vendredi soir assité à l'Italienne à Alger de Rossini dans une coproduction Teatro Real de Madrid, Houston Grand Opera, Maggio Musicale Fiorentino et Opéra National de Bordeaux, une vraie collaboration internationnale !
Composé en 27 jours par Rossini à la demande de son impressario pour relancer une saison musicale pas très brillante, ce dramma giocoso s'incrit dans la lignée des turqueries fort prisées dès le XVIIIème siècle par le public d'opéra. Ecrit par un jeune homme de 21 ans, plein de fougue et d'ambition, l'opéra remporta un succès triomphal à Venise, puis dans toute l’Italie. Stendhal expliquera cet engouement par la «folie organisée et complète» que seule la musique de théâtre, sous la plume géniale de Rossini, peut atteindre, et qui est le gage du divertissement le plus pur. L'opera buffa quant à lui, trouve ses origines dans les intermezzi comiques qui, au XVIIIème sicèle, entrecoupaient les opera seria. Ces courtes pièces, souvent écrites en dialecte, et empruntant leurs personnages à la commedia dell’arte ou à la vie quotidienne, étaient fort appréciées du public pour leur style léger et populaire et pour leur caractère humoristique.

En fait c’est de l’époque des croisades que date la fascination pour l’Orient. C’est tout l'espace méditerranéen, à la fois ottoman, musulman, juif et chrétien qui a suscité dans l'imaginaire occidental une curiosité jamais démenties. Les termes qui le désignent témoignent de la dimension symbolique qui lui est attachée : le Levant, c'est ce lieu sacré où se lève le soleil, où la naissance du jour a vu briller l'aube des civilisations.
Depuis les "turqueries" de la cour de Versailles jusqu’aux Orientales de Hugo en passant par les Lettres persanes (1721) de Montesquieu, l'Orient a passionné la bourgeoisie européenne et inspiré artistes et écrivains. Une partie du mythe repose sur une certaine vision de la femme, véritable métaphore de la terre d’Orient, matrice du monde, terre des origines. Un rêve de luxe et de volupté mêlés qui inspire aux artistes des œuvres où la femme orientale – odalisque, au harem ou au bain turc – occupe une place de choix. Mais Rossini, dans son opéra, nous propose la figure d’une femme émancipée au pays de la soumission féminine, une affranchie dont la liberté de discours semble presque féministe ! Prétexte orientalisant, conte féérique sans enjeu politique, tenant du carnaval et du bal masqué, cette italienne reste une farce, mais peut-être moins superficielle qu’il n’y paraît. Ainsi, entre comique et sentimental, Rossini nous honore d’une grande proclamation nationaliste dans la scène de la révolte des esclaves. « Patria, dovere, onore » n’est sans doute pas étranger à l’idée alors en gestation (nous sommes en 1813) de la naissance d’une nation italienne.


Paolo Olmi est un rossinien de talent : vif, précis, ennjoué et surtout très efficace, il mène tout son monde avec la juste de dose de rigueur et d'entrain qui sied au compositeur. La mise en scène était inventive et fort drôle. Pas d'un comique gras et décalé, non, un cocasse très respectueux du livret. Joan Font est imaginatif, mais ne se contente pas de se faire plaisir, il sert Rossini au plus près. Et croyez-moi, avec une turquerie, dont un texte bêbête par excellence, il faut être fin pour faire rire tout en restant classique dans l'esprit. Pari réussi : c'était fou, épicé, enlevé, coloré, mais de bon goût. Les voix quant à elles, étaient homogènes, pas de véritable diva mais des chanteurs qui jouaient de bon coeur, s'accordaient avec aisance, et qui, sous la baguette de Olmi, faisaient merveille dans cette partition, forcément, jubilatoire. Une excellente soirée dont nous sommes ressortis, l'âme en fête, l'oreille réjouie et l'esprit léger.

Alter avait envie, pour changer des ors de la brasserie du théâtre, d'aller dîner ailleurs : notre hôte nous a recommandé la Brasserie Bordelaise rue Saint Rémi, fort prisée des autochtones. Certes l'entrecôte bazadaise y est succulente et de qualité, mais je déteste quant à moi ce genre d'endroit, où les frites sont recuites, la carte militante en classiques viandus et cochonailles, et où le chef assure en maniant le grill sans imagination. Bruyante, agitée, surpeuplée de gens sirotant des verres de vins en riant fort, conversations trois tons au dessus-de la moyenne, ponctuées de rires épais à des plaisanteries qu'on devine lourdes, service expéditif tant la presse est grande, convives toussant grassement et sans retenue, bref, je vais me faire lyncher, mais je n'aime pas cet environnement. J'aime manger au calme, dans un cadre apaisant et entourée de gens discrets. J'aime les plats légers qui réjouissent l'oeil avant d'attaquer la papille, et qui invitent à la dégustation plutôt qu'à l'ingestion !

11 commentaires:

  1. Tu devais être sur ton nuage!
    Rossini te met en transe chaque fois et en verve comme d'habitude.
    L'orientalisme qui donne parfois lieu à des représentations fantaisistes d’un Orient tout droit sorti des Mille et Une Nuits :
    Damas et ses palais, Constantinople et ses harems…
    J'avoue avoir parfois un peu de mal avec ce mouvement oriental que l'on voit apparaître dès la fin du XVII ème ,je n'apprécie pas la Marche Turque de Mozart peut-être l'opposition du mineur et du majeur qui me heurte,L'Enlèvement au Sérail n'est pas l'oeuvre que je préfère,mais Delacroix lui m'a réconciliée avec ce mouvement que l'on ne trouve pas que dans la peinture.
    En bonne Lotoise j'ai été nourrie en partie de livres de Pierre Loti mais Fantômes d'Orient n'est pas celui dont je garde le meilleur souvenir,je lui ai préféré de loin Pêcheur d'Islande
    Des frites quelle idée!!
    Bon la viande de Bazas ouf Rossini ne t'a pas complètement déboussolée

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  2. L'italienne viendra pas à Caen, che peccato !
    Ton billet est un bonheur pour nous donner envie de voir cet opéra de Rossini ! Car comme tu le dis si bien on ressort avec un coeur léger et une joie de vivre imparable...
    La brasserie, bof, no comment !

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  3. Et pourquoi donc te faire lyncher et par qui ? D'abord tu es chez toi et tu écris ce que tu veux ;-) ! Ensuite, on imagine en effet qu'après une telle soirée, la Brasserie ait été décevante. En tout cas loin du calme que tu aimes, ce que je comprends et partage pleinement. Bonne semaine.

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  4. Décidément, Rossini fait tout en un moins d'un mois : le Barbier en trois semaines, l'Italienne en 27 jours... Quand je pense que le grand Tintoret faisait tout très vite aussi pour rafler tous les marchés sur Venise...
    Quels hommes !!

    Alors, Michelaise, je comprends que tu veuilles manger tranquillement, loin des coups de chaud de la cuisine... :-)))

    Bises du jour.

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  5. Oui oui, tu sais bien mes faiblesses Aloïs, Rossini me fait frétiller comme un gardon... quant à l'appropriation de Pierre Loti par la lotoise, je vais sévir : il est rochefortais Loti ? As-tu visité sa maison, à propos d'orientalisme ?? un vrai livre d'images kitch mais cela en vaut la peine, à rajouter sur la liste de ce que tu auras à faire la prochaine fois !!!
    Danielle, cela fait anecdotique mais tu as raison de le souligner : quelle preuve de talent cette aisance, on s'imagine en face de partitions blanches, et zoup, des tonnes de musique enlevée !!!
    Ah oui Enitram, nous partageons parfois les opéras mais là, apparemment pas de coproduction Caen Bordeaux !!
    Quant aux brasseries, certains en raffolent d'où ma crainte de me faire lyncher !

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  6. Bonsoir, Michelaise.
    Je ne sais plus où donner de la tête et du coeur.

    Entre la mélancolie qui m'a réveillé en me faisant rêver et cette italienne à Bordeaux où se mélangent là aussi des cultures de souches différentes et succulentes, je laisserai un espace pour te remercier de tout cet ensemble.
    Bonne soirée.
    Je t'embrasse.

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  7. Lausanne est trop petit pour produire de si grands spectacles. sauf dans les arènes d'Avenche. Mais là, la qualité n'est pas au rendez-vous- A mon tour de me faire lincher.
    Ces spectacles me ravissent pourtant.
    Quand à ce genre de bistrot, je te l'accorde 100%. Avec une blogeuse que j'ai rencontré à Paris, la semaine dernière, nous avons changé d'endroit tellement l'ambiance était à celui qui parlerait le plus fort. Horrible.
    J'adore ta prose Mâdame.

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  8. Oui ma chère mais Loti allait passer ses vacances chez son oncle à Bretenoux,dans le Lot village où mon père est né
    Na!

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  9. Les costumes semblaient superbes !

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  10. Merci Herbert de ton passage toujours d'une grande indulgence ! Evelyne, les costumes étaient très colorés mais jamais de mauvais goût, ce qui, dans une turquerie, n'est pas évident !
    Aloïs, quand même, pour une fois qu'on a quelqu'un d'un peu célèbre dans nos contrées reculées ... bon, allez, Lot, Charente Inférieure, même combat !

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  11. J'opte pour le Barbier..je n'aime pas la viande rouge !!!! Bonne nuit Michelaise.

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