mercredi 2 février 2011

POUR JUSTIFIER LA "DERAISON"


J'écoutais "l'Humeur Vagabonde", consacrée hier soir à Brigitte Jacques pour sa Mise en scène de « Suréna » et « Nicomède » de Corneille au Théâtre des Abbesses jusqu’au 12 février.
Nicomède, pièce peu jouée et à l'intrigue complexe, reprend le thème de la tyrannie politique, mais sur un mode crépusculaire. Tragédie politique d’un genre nouveau, Corneille prend soin d'informer son lecteur dans la préface que « la tendresse et les passions, qui doivent être l’âme des tragédies, n’ont aucune part en celle-ci : la grandeur du courage y règne seule, et regarde son malheur d’un œil si dédaigneux qu’il n’en serait arracher une plainte. » Ni pitié, ni terreur, comme il est de coutume dans la tragédie : l'auteur souhaite avant tout que Nicomède ne suscite qu’admiration. L’action de la pièce est une querelle de succession : la question étant qui, de ses deux fils, Prusias va désigner pour lui succéder, Nicomède, héros chargé de lauriers, ou Attale, fruit d’un second lit et créature de Rome. Véritable tragédie politique qui met en scène la pax romana, la politique romaine envers ses alliés qu’elle veut soumis et serviles. « Nicomède » a été écrite par Corneille en 1650, alors que la Fronde dirigée par le Prince de Condé visait à abattre Mazarin. Le public de l’époque y a vu plus qu’une coïncidence. Celui de 2011 songera sans doute aux puissances coloniales d’hier et d’aujourd’hui, ou au sort des tyrans que le peuple rejette.


L'émission était émaillée d'extraits superbes et convaincants*, et qui donnaient envie d'en entendre plus. Du coup, Katleen Evin, l'animatrice, s'émerveillait à juste titre que l'on pût dire un texte aussi construit avec tant de naturel. Car, disait-elle, si les mots de Corneille ont conservé toute leur modernité et sont toujours d'actualité, "plus personne de s'exprime plus en alexandrins". Dont acte !
L'émission se termine et j'avise une vieille casserolle, posée à terre pour cause de relégation : elle a fait le sot choix de se gondoler par le fond, ce qui, pour une cuisson à induction, est une condamnation sans appel : à la poubelle, la vieille marmite rebelle. Mais il fait froid dehors, on nous annonce de la neige, et personne n'a très envie d'évacuer la récalcitrante. Enervée par cette vieillerie qui risque de trainer longtemps, je m'en saisis énergiquement et sors en déclamant :
Je m'en vais de ce pas jeter cette carcasse,
Bravant la nuit, le froid et les ombres qui passent,
Chaque instant qui m'éloigne de ce noble projet
N'étant, obscurément, que poudre aux yeux jetée.

Alter, mort de rire devant mon enthousiasme (et ravi d'éviter la corvée), me dit :
- Tu devrais faire tes cours en alexandrins, tu te taillerais un fier succès
- Quoi ?? le contrôle de gestion en vers de 12 pieds ???
- Sûr, on viendrait de loin t'écouter !!!

Quand le coût de revient doit être calculé
Il faut choisir dûment la méthode correcte.
Les charges se composent, directes ou indirectes,
De tous ces frais certains, qu'il faut bien démêler.
Puis, par un fier combat d'observation suivi,
On doit les répartir en divers centres dont
chacun sera l'objet de franche attribution.
Quand ce labeur précis on aura accompli,
Il sera temps de suivre chaque étape du coût :
Approvisionnement, fabrication, fini,
Et, de ces composants, bien assurer le tri.
Qu'on ne croit pas alors du travail voir le bout...
etc ... ???


Qu'en dites-vous ? Alter va sans doute un peu loin dans la confiance qu'il m'accorde, car déjà me faire comprendre de mes étudiants, en langage simple, me pose moults soucis... La gestion en alexandrins risque de me précipiter, tel Bellérophon désarçonné par Pégase et dévissant de ses cieux, tête la première vers la terre et les tristes réalités de la pédagogie de base. Pourquoi Pégase me direz-vous ?? Là, c'est la faute de Koka, qui a choisi cette semaine de nous détailler sa légende, en deux temps, naissance et péripéties diverses autant que variées, puis ses symboles et pour finir ses couleurs. C'est quand même plus instructif que les vers de mirliton de Bon Sens et "Déraison" : du sérieux je vous le garantis.

*PS les parisiennes, essayez d'aller voir Nicomède aux Abbesses, ça a l'air de grande qualité !! Mais vous avez tant à voir déjà !!!
** PS très postérieur : pièces que nous avons eu la chance de voir à Bordeaux en novembre 2011.

13 commentaires:

  1. Vos alexandrins si bien tournés, Michelaise,
    Raviront vos étudiants, les mettront à l'aise.
    Anne

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  2. Michelaise, j'adore les alexandrins et les tiens sont excellents...Corneille est tout à coup renvoyé au rang des "vieilleries"...
    Les passions humaines, quel sujet éculé !
    Vive les casseroles et le contrôle de gestion ! :-))

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  3. Merci Anne de votre participation fort bien tournée à l'effort cornélien !!!
    Licorne, tu as le mot qu'il faut, c'est tout de même mieux que les essoufflements de l'âme de ce bon vieux COrneille !!! plus "branché"...

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  4. Ah Michelaise
    me voila après une journée de labeur
    Relisant tes propos ainsi dits, ainsi faits
    N'aspirant qu'à trouver le chemin de mon lit

    J'ai les chiffres le compte esy bon mais pas les lettres je voulais dire les rimes!

    Tu es vraiment époutouflante

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  5. C'est pô pire à comprendre... Lulu fatal liste.
    Compter ses pieds pour calculer ses dettes...c'est tout bénéf'!

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  6. Oh non, Aloïs, je suis FÂÂÂTIGUEE... comme dit Lulu, fatal liste ! on voit qu'elle a l'habitude de se battre avec les comptes de son tendre et cher, Lulu.
    J'ai un peu honte de mon billet, mais la vie est rude en ce moment ici-bas !! Et puis, je ne peux pas vous faire une expo à chaque fois, ça finirait par devenir chronique, à défaut d'être lassant (oups !!)

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  7. Oh non, Aloïs, je suis FÂÂÂTIGUEE... comme dit Lulu, fatal liste ! on voit qu'elle a l'habitude de se battre avec les comptes de son tendre et cher, Lulu.
    J'ai un peu honte de mon billet, mais la vie est rude en ce moment ici-bas !! Et puis, je ne peux pas vous faire une expo à chaque fois, ça finirait par devenir chronique, à défaut d'être lassant (oups !!)

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  8. " Honte de ton billet.." Tu plaisantes ? J'allais te qualifier d'"incroyable créature" ! V'là t-y pas que tu nous causes en alexandrins...
    Fais de beaux rêves Michelaise, un peu de Pégase ou de Corneille...

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  9. :) La déraison a sûrement ses raisons ;))

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  10. Je ne vois pas pourquoi tu aurais honte de ton billet, il m'a fait rire. Et puis je vais aller écouter l'humeur vagabonde sur le site de France-Inter, mais je n'ai pas de casserole qui traîne ..

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  11. Ah Michelaise, comme c'est merveilleux...
    Quand l'humour s'écrit en belle délicatesse
    et qu'une simple casserole devient un symbole
    Ne cessez ma bonne mie d'être une comtesse
    qui à ses pieds trouvera toujours une obole...
    Bof...
    Merci beaucoup.
    Je t'embrasee.

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  12. Merci à tous de votre merveilleuse indulgence !! avouez que même les histoires de casseroles ont finalement du bon !

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