lundi 4 avril 2011

DEUX FILMS SUBTILS


Allez savoir pourquoi, les critiques parues lors de la sortie cannoise du film de Ken Loach, Route Irish, reprennent en boucle le même leitmotiv : « On a connu Loach plus inspiré dans la façon de conduire un récit : son enquête, avec force flash-back irakiens (une première pour lui), patauge un peu dans les lourdeurs et les maladresses ». Comme si les journalistes s’étaient copiés les uns les autres : un premier aurait émis des réserves et les autres ont repris en chœur.
Et bien non, je n’ai trouvé le film ni maladroit ni lourd. Route Irish se passe en Irak, pendant l'occupation du pays par les forces occidentales et les compagnies privées qui y font régner un ordre terrifiant. Le titre du film fait référence à la route la plus dangereuse de Bagdad, celle qui va de l'aéroport de Bagdad jusqu'à la zone internationale. Paul Laverty, le scénariste du film, explique : "Le métier de la guerre est en train d'être lentement et délibérément privatisé sous nos yeux. (...) Patrick Cockburn, spécialiste reconnu de l'Irak, a estimé qu'il y avait, au plus fort de l'occupation, environ 160.000 agents privés étrangers dans le pays. Beaucoup d'entre eux, jusqu'à 50.000 peut-être, étaient des gardes de sécurité lourdement armés. Sans leur appui, la conduite de la guerre et l'occupation qui s'en est suivie auraient été impossibles." Cette sorte de privatisation de la guerre est un marché très lucratif qui rapporte aux entreprises qui emploient ces hommes des milliards de dollars. Le sujet, à lui seul, est passionnant et la dénonciation des exactions commises par ces mercenaires vaut à elle seule d’être saluée.

Le scénario est bien mené, les flashs back incriminés permettent de reconstituer peu à peu l’histoire et les rebondissements sont amenés avec finesse. Le portrait du héros, tout en ombres et lumières furtives n’est ni manichéen ni simpliste. Les acteurs sont convaincants et le rythme, assez lent du film, permet de crédibiliser cette vengeance sur fond de corruption. Ce n’est pas froid et aride, comme certains l’ont prétendu, mais sobre et sans pathos inutile. M’attendant à être déçue, j’ai été agréablement surprise et j’ai finalement aimé le dernier Ken Loach.

Un premier film au titre réducteur quoique charmant : « la petite chambre » voit s’affronter, se compléter et évoluer dans une complicité magistrale, deux acteurs superbes. L’un reconnu, consacré et incontestable. Michel Bouquet a accepté de sortir de sa réserve cinématographique (il avait déserté les plateaux depuis « le promeneur du champ de Mars ») pour ce scénario écrit par deux jeunes suissesses autour de deux thèmes émouvants et complexes, enchevêtrés à la limite du risque de tomber dans l'aoutrance : la vieillesse et ses renoncements, le deuil et son réapprentissage de la vie. Il fallait un acteur comme Bouquet pour incarner sans tragique excessif ce vieux diabétique aigri, bougon, personnage solitaire et secret. Il sait être Edmond, avec tous ces excès, sans tomber dans la caricature.

Quant à la jeune infirmière qui a besoin de faire le deuil de l’enfant mort-né qu’elle a mis au monde peu de temps avant le début du film, elle est jouée par Florence Loiret Caille, jeune femme ardente et lumineuse qui interprète son rôle avec une trempe et une sensibilité extraordinaires. Son énergie, son air revêche et son opiniâtreté désordonnée dessinent parfaitement un personnage de femme brisée par la perte de son enfant et qui, refusant d’accepter le drame, se referme sur elle même et quête chez ce vieillard égoïste un chemin de rédemption.

Là encore, "on" a pu faire des reproches au film mais cette représentation de la très grande vieillesse qui n’idéalise pas plus la figure du vieux sage qu’elle ne tombe dans la caricature, est très juste. Le film nous montre un homme face à ses contradictions, mu par un profond égoïsme et une ironie un rien mordante de la situation. Le traitement de la relation entre Edmond et Rose évite l’angélisme et les bons sentiments. Il n’est pas question d’altruisme mais de la cohabitation de deux douleurs qui se comprennent et s’utilisent l’une l’autre pour se maintenir à flot. La bande son ajoute à l’efficacité du propos et le film, ni triste, ni désespéré, ne sombre jamais dans la facilité ni dans l’humour à bon marché. Une bonne pioche !

6 commentaires:

  1. Ce n'est pas la première fois que je lis que le Ken Loach vaut nettement mieux que ce que la critique a pu en dire. J'ai vu "la petite chambre" et j'ai aimé. Voilà un thème que l'on n'a guère l'habitude de voir. J'ai juste trouvé l'attitude de la jeune femme un peu outrée par moment, mais dans l'ensemble c'est réussi.

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  2. Je n'ai pas vu le premier.
    J'avais beaucoup aimé le second.
    C'est vrai que le rôle d'Edmond colle à merveille à Michel Bouquet,solitaire, secret,l'image qu'il nous donne dans la vie.
    Quant à Florence Loiret Caille je crois que c'est dans le Monde que j'ai lu que c'était l'Arletty d'aujourd'hui
    A y bien réflêchir.....

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  3. Aifelle, c'est vrai que ce désespoir sur un enfant mort né est difficile à doser... elle est vive Florence Loiret Caille, et, comme dit Aloïs, à y bien réfléchir, dire qu'elle est l'Arletty d'aujourd'hui n'est pas si exagéré... une forme de spontanéité sensible qui fait mouche !

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  4. Bonjour, Michelaise.
    J'aime beaucoup Ken Laoch.
    Ta critique ne me surprend pas.

    Je n'ai pas vu le second...Mais c'est presque fait....

    J'ai bien aimé la supercherie poétique de Koka et les asperges étaient excellentes...

    Quels mélanges dans ce commentaire...

    Je te donnerai la recette...
    Merci beaucoup.
    Je t'embrasse.

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  5. Des deux films, c'est celui avec Michel Bouquet qui me tente le plus...
    Dernièrement je suis allée voir "Tous les soleils" sur la recommandation de Enitram et je n'ai pas été déçue. Si le sujet est assez classique le jeu des acteurs est un réel bonheur...
    As-tu vu ce film Michelaise ?

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  6. Tu sais Oxy, les films arrivent à saint georges de didonne, notre cinéma "art et essai" avec un, voire deux temps de retard ! Tous les soleils est programmé pour les semaines à venir ... et fait partie de notre liste "à avoir" !!

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