Mon billet était prêt dans ma tête, et voilà que je découvre, chez Herbert, le lecteur le plus délicieux qui soit, toujours prêt à partager vos émotions et à vous en faire part grâce à un commentaire approprié, ce poème ! C'est la loi des blogs, comme le soulignait Autour du Puits dans mon commentaire sur les baraganes : elle va nous offrir son approche photographique des "respountsous", c'est à dire, et pour faire court, des asperges, poireaux ou aulx sauvages. Les grands esprits se rencontrent, et forcément, comme il y a le club des philosophes amateurs, le club des amateurs d'épluchures de patates et celui des incorrigibles optimistes il y aura dorénavant le club des esprits qui se rencontrent !!
Il faut, comme Herbert, l'avoir fait pour savoir ce que l'exercice du tournage de page en concert est périlleux et angoissant. On est débordé par les notes qui défilent, déboulent, paradent, cascadent, on essaie de s'accrocher aux mouvements des mains, on jongle entre reprise et da capo, bref, on n'entend pas une note du concert tant on est concentré sur sa tache. Il faut se lever au bon moment, éviter, angoisse suprême de tourner deux feuilles à la fois, donc on mouille discrètement son index, et on fonce. Il ne faut pas gêner le pianiste alors qu'on lui passe nécessairement devant, il ne faut pas tourner trop tôt et il est impensable de le faire en retard. Il est enfin préférable d'éviter de faire dégringoler la partition sur le clavier... ou de ne point arriver à décoller la page du livre.
Bref, plus la musique est virtuose, plus le pianiste est célèbre, voire grincheux, plus on est liquéfié d'anxiété. Lisez plutôt le poème d'Herbert, et vous comprendrez !! Regardez les photos parfois un peu floues du montage et vous verrez ces malheureux tourneurs et tourneuses, prêts à bondir, tendus, crispés ou, enfin, soulagés quand l'artiste salue (vous reconnaîtrez Gérard, notre accordeur de génie, dans ce rôle qu'il n'affectionne pas particulièrement !).
Bref, plus la musique est virtuose, plus le pianiste est célèbre, voire grincheux, plus on est liquéfié d'anxiété. Lisez plutôt le poème d'Herbert, et vous comprendrez !! Regardez les photos parfois un peu floues du montage et vous verrez ces malheureux tourneurs et tourneuses, prêts à bondir, tendus, crispés ou, enfin, soulagés quand l'artiste salue (vous reconnaîtrez Gérard, notre accordeur de génie, dans ce rôle qu'il n'affectionne pas particulièrement !).
Mais pourquoi cet hommage aux tourneurs de pages ? J'avais déjà, dans mon billet consacré au concert Pennetier, salué l'attention discrète mais ô combien efficace de son épouse, pianiste elle aussi, France Pennetier. Et l'autre soir, nous avons assisté à un fort agréable concert, dans notre toute nouvelle salle de spectacle michelaise, concert qui accueillait un quatuor et deux solistes, dont une pianiste, pour un programme original et ambitieux. Et le tourneur de page, d'autant plus méritant que la partition était terrible et la pianiste pas très portée sur le petit signe de tête rassurant qui permet au malheureux de se sentir moins seul, était à lui seul un spectacle. Alter m'a déclaré tout de go qu'il avait préféré fermé les yeux tant il avait peur de ses jaillissements précis, mais périlleux, et de son geste, rapide, mais toujours un peu risqué.
La partition ? C'était "Le Concert" de Chausson, une oeuvre brillante, voire fastueuse qui relègue le quatuor au rang d'orchestre et met en avant les deux solistes. Il y faut un violoniste émérite (je me suis prise à imaginer Augustin Dumay dans ce répertoire qu'il a dû, forcément, s'approprier avec la fougue qui le caractérise) et un pianiste agile et souple. Diana Ciorcali s'est fort bien acquittée de ce rôle et son habileté pianistique nous a enchantés.
Mais ce concert valait surtout pour le quatuor Kadenza, un "jeune" quatuor local qui sortait, le lendemain, son premier disque. Monter un ensemble de chambre demande beaucoup d'investissement personnel, car les membres, faut bien vivre, travaillent en général en tant que solistes, dans des orchestres,professeurs dans des conservatoires, et pour que la formation prenne corps, il leur faut de longues heures de collaboration qui s'ajoutent forcément à un quotidien déjà bien rempli. Comme nous le faisait remarquer Arnaud Chataigner, le fondateur du quatuor, il faut cultiver longuement la sensibilité de tous pour atteindre une vraie complicité, une communion qui est la clé de la réussite. Et cela demande beaucoup de temps, pour s'unir, se répondre, se comprendre aussi. Le quatuor Kadenza, qui travaille ensemble depuis 2004, commence à pouvoir exister vraiment en tant que tel, et soutenu par la Drac et d'autres organismes culturels, il est en train de prendre son envol.
Un quatuor très audacieux quant au choix des oeuvres jouées : aucune démagogie ni mercantilisme dans leur programmation. Ils évitent les classiques rebattus qui font florès parce que tout le monde les connaît et qui "assurent" devant tout public. Ils jouent au contraire des petites perles du répertoire XXème, à découvrir, et qu'ils ont la sagesse d'expliquer de façon très pédagogique avant. Vendredi dernier nous avons ainsi découvert, et apprécié, un adagio déchirant et sublime de Guillaume Lekeu, écrit par ce dernier en hommage à son maître, César Franck, à la mort de ce dernier. Et surtout, surprise et cerise sur le gâteau, la sonate à Kreuzer de Janacek, dont l'exécution très sensible (et surtout fort intelligemment présentée avant) nous a ravis. Janacek, nous étions un peu sur le reculoir, pas facile pour le spectateur moyen !! Alter a déclaré "Va falloir s'accrocher" et c'était ... limpide.
L'oeuvre, écrite par Janacek en 1923 à l'âge de 69 ans, s'intitule exactement "quatuor sous l'impression de la sonate à Kreuzer de Léon Tolstoï", est conçue comme un petit opéra, suite de brèves séquences "chantées" par chacun des 4 instruments auxquels est attribué, chaque fois, un rôle particulier, une voix, un registre de sentiments. L'histoire tragique de Tolstoï, approchée par Janacek avec modernisme car il s'apitoie sur le sort malheureux de l'épouse, se déroule en quatre mouvements, comme quatre actes d’un opéra sans paroles. Au début, on est comme dans un train qui suivrait la Volga. Une ambiance de temps qui fuit, de fleuve qui emporte tout, dans son flot continu et pourtant, déjà, heurté. Puis, l'amant, le violon, tantôt langoureux, tantôt séducteur, déploie un charme qui tranche avec la routine du temps. Même si certaines dissonances annoncent l’imminence de la tragédie, on sent dans le jeu de la séduction qui s'accélère et qui aboutit à la conquête de l'épouse malheureuse.
Je n'ai trouvé que cet enregistrement par d'autres que Kadenza : le 3ème mouvement dure environ 3mn30 et si vous avez la patience de l'écouter, vous entendrez les stridences de la jalousie et de la haine, et à la fin les cris de la femme qui meurt, sous les coups de son époux.Au troisième acte, pardon au 3ème mouvement, c'est la crise, la jalousie… la haine même ! Mouvement violent où le chant a de plus en plus de peine à se faire entendre. Séquences hachées, habitées de vengeance, soudain jaillit le cri ultime, terrible, hurlé par le premier violon. Le mari jaloux a tué sa femme infidèle. Le quatrième mouvement commence un peu comme "bel alma innamorata" dans Lucia de Lamermoor : c'est un superbe lamento, désespéré, un motif qui égrène tourments et remords, regrets et blessures jusqu'à la déchirure ultime, sans retour.
Je n'ai trouvé que cet enregistrement par d'autres que Kadenza : le 3ème mouvement dure environ 3mn30 et si vous avez la patience de l'écouter, vous entendrez les stridences de la jalousie et de la haine, et à la fin les cris de la femme qui meurt, sous les coups de son époux.
Il fallait toute la conviction et l'inégalable cohérence du quatuor Kadenza pour nous emporter dans le flot tragique de cette oeuvre inconnue de nous et pourtant, grâce à leurs explications préalables et à leur limpidité d'exécution, étonnamment accessible.Je vous recommande, si l'oeuvre vous intrigue, l'excellent article de Jean Marc Onkelinx qui détaille avec précision tous les aspects nécessaires à la compréhension et à l'écoute fructueuse de ce quatuor.
Je ne sais pas si les grands esprits se rencontrent (je vais en faire hurler dans les chaumières) mais j'ai rencontré dernièrement Madame Parisot et Madame Yade....à se demander si l'esprit a à voir quelque chose là-dedans...;-)))
RépondreSupprimerJe viens entre deux notes, perturber la concentration de la tourneuse de ritournelle pour te souhaiter une bonne fête petite maman à filles !
RépondreSupprimerA part "Chantons la viiigneu, la voilà la jolie vigne..." je ne sais rien jouer au piano. Mais j'ai fait souffrir mes filles, comme toute bonne mère qui se respecte dans notre époque moderne (enfin pas toutes mes filles, dans le lot j'ai des re-belles).
J'ai même tourné les pages, si je me souviens bien. Ce que j'adorais dans l'ogresse aux mains démesurées qui servait à éveiller en douceur le plaisir musical chez mes petits, c'était sa manière de gribouiller les pages... Je peux t'assurer qu'elle criait encore plus fort que ça ;-)
C'était l'bon temps tiens !
Je t'embrasse Michelaise.
J'écouterai demain la p'tite musique du libertinage et celle du "mari jaloux qui tue sa femme"... Avec tous les bémols, les silences, les soupirs qu'on met aujourd'hui, la version quatuor des ménages à trois risque de sonner un peu faux...
J'ai toujours associé le tourneur de pages à l'allumeur de réverbères du Petit Prince, va savoir pourquoi...
RépondreSupprimerParce que, sans eux, rien ne pourrait exister, peut-être ?
Parce que ce sont des "silencieux indispensables" ?
On pourrait créer également un "club des associations d'idées", qu'en penses-tu ?
Chic, te dire si on est loin, à Meschers, des grands esprits, le nom de ces dames sans leur prénom ne m'évoquait rien ! Il a fallu que je cherche dans Google pour réaliser de qui tu parlais. Je crains de devenir un peu sauvage à la fin, mais heureusement que Chic est là pour me rappeler à la dure réalité de ce vaste monde !!
RépondreSupprimerNorma, tout à fait d'accord pour le club des associations d'idées, c'est exactement ce que veulent déclencher les blogs. On lit, et cela évoque des choses qui nous tiennent à coeur et qui ressortent pour l'occasion. Les silencieux indisensables, ce qui, vraiment, font tourner le monde, méritent donc un petit hommage matinal.
Lulu, des chansons à boire maintenant, mais qu'est-ce qu'on va faire de toi !!! N'empêche que je te vois mal dans la peau de la maman qui fait faire du piano à ses filles, heureusement que tu as eu des rebelles, a-t-on idée ?? Comme tu dis, c'était le bon temps, celui où nous jouions aux épouses soumises et aux mamans conventionnelles. Depuis, ouf, on a changé de look ! Quant à ta définition de la sonate à Kreutzer de Janacek, je la salue bien haut, elle est parfaite et mérite d'être retenue :"Avec tous les bémols, les silences, les soupirs qu'on met aujourd'hui, la version quatuor des ménages à trois risque de sonner un peu faux..." là, vraiment, tu as fait juste.
Bonjour Michelaise. Je n'ai pas réussi à écouter le morceau que tu nous as proposé en entier. Mes petits nerfs ont du mal à supporter une musique aussi déchirante et je dois avouer préférer les sonorités plus douces et plus apaisantes....
RépondreSupprimerCe que tu dis de l'angoisse du tourneur de pages est si vrai que je n'aurais pas aimé avoir ce rôle à jouer. C'est trop angoissant et la responsabilité est immense. mais, rien à craindre en ce qui me concerne puisque je suis incapable de lire des notes sur une portée sauf en comptant les lignes pour les repérer (c'est un peu lent... ;-)
Je n'ai pas encore eu le temps d'aller lire le poème d'Herbert, mais je vais aller voir.
A propos des coïncidences, j'ai souri en lisant le début de ton article, car je suis en ce moment en train de lire "Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates"... ;-)))
Bonne journée à toi !
Bonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerTu décris si bien ce qui anime un tourneur de pages...quand il tourne les pages que tu as dû être tourneuse de page toi-même...
car ton analyse est d'une grande pertinence et sous-entend la culture musicale qui est la tienne.
Je te remercie de ta gentillesse pour la référence à mon poème sur ce thème. Je ne mérite pas tant.
Mais plus surprenante est en effet cette idée de penser à un même thème à peu près au même moment...
Je connaissais ce quatuor de Janacek, dont tu parles si bien.
J'ai lu aussi l'article d'Onkelinx.
Il y a de la passion là-dedans...
Par la musique et le thème...Mais aussi par la fougue gestuelle des instrumentistes...
Merci beaucoup, Michelaise,. Pour tout.
P.S. J'aime bien le commentaire de Norma...
Super les éplucheurs n'est-ce pas Oxy !! Quant à la difficulté d'écouter Janacek jusqu'au bout, c'est normal, non content d'être un peu trop "contemporain", cela décrit une haine déchirante et dissonnante qui met les nerfs à vif !
RépondreSupprimerAvec Alter il m'est arrivé de tourner les pages en effet Herbert, mais comme je fais comme Oxy, je ne suis pas d'une efficacité redoutable ! Il me faut absolument le signe de tête du pianiste compatissant pour tourner au bon moment.
Tu as décidé du lieu du siège social???
RépondreSupprimerLe tourneur de pages personne n'imagine son importance et sa responsabilité,entre les musiciens qui aiment qu'on tourne vite, avant la dernière mesure de la page, d'autres non, et puis cela dépend tellement de la vitesse de lecture de chacun, de l'enchaînement des pages, etc...
Quel cauchemar
Si tu m'avais parlé de cela j'avais des photos d'une tourneuse de pages croquignolesques pour illustrer ton billet!!
De quoi illustrer:
http://www.youtube.com/watch?v=ZG931XPV5VU&feature=player_embedded
Oui, l'illustration ressemble un peu à ce que nous avons eu vendredi soir, les pianistes ne sont pas forcément très coopératifs ! Et le pauvre tourneur souffre, n'ose plus, rougit enfin bref, comme tu dis Françoise, le cauchemar. Et les spectateurs tremblent pour lui !!
RépondreSupprimerBONSOIR je viens de chez Herbert et je pense que je n'ai pas assez de temps ce soir pour vous lire
RépondreSupprimerMais je repasse ds que possible
Bonne soirée