Nous avons sacrifié aux tyrannies de la mode : en allant voir Manet au musée d'Orsay, nous savions qu'il y aurait foule, mais nous pensions qu'en soirée, l'accès serait plus facile. J'avoue avoir failli faire demi-tour, malgré nos billets coupe-file (qui ne coupaient pas grand chose) mais Alter avait très envie de voir l'exposition et nous avons patienté en papotant, et en nous apitoyant sur le sort des malheureux qui n'avaient pas réservé, agglutinés des heures durant sur la parvis du Musée.
L'exposition est dense, et vaut par la rareté des toiles qu'on y découvre. Présentées par thème, on y rencontre un Manet inattendu, celui par exemple de la peinture religieuse, non exempt d'une inspiration classique : il y a du Caravage dans son Christ aux outrages, et du Zurbaran dans son portait de franciscain en prière. La mobilisation muséographique pour cette manifestation est vraiment exceptionnelle, et l'on admire même, excusez du peu car il n'est pas encore ouvert, deux toiles du Louvre d'Abu Dahbi !
Portraitiste, Manet n'est virtuose que lorsqu'il est en empathie avec son modèle : c'est le cas, et de façon éblouissante, avec Berthe Morisot, dont il fut forcément amoureux, avec Mallarmé ou avec son ami de toujours Antonin Proust. Il peint souvent des modèles singulièrement absents et c'est ainsi que le portrait qu'il fit d'Henri Rochefort est très beau mais il souffre du voisinage avec le même peint par Boldoni, d'une acuité psychologique époustouflante. Certains autres portraits sont, à l'inverse, laborieux et étrangement maladroits.
Ce n'est ni un paysagiste ni un peintre de marine. Ses natures mortes sont inspirées de Chardin parfois, classiques et prudentes. Ses scènes de genre sont pleines d'un charme anecdotique qui fait toujours mouche. Ses toiles "à scandale" nous paraissent d'une sagesse exemplaire, et l'on comprend mal le tapage que déclencha Olympia à une époque où Gervex peignait la bien plus indécente toile du musée des beaux arts de Bordeaux. Gervex dont on croise d'ailleurs une peinture dont je n'ai pas compris la raison de figurer dans ce parcours.
Nous avons suivi pour la visite la foule qui se pressait, parfois en toute indifférence, devant le parcours obligé, dans une ambiance de Foire du Trône. Puis, une demie-heure avant la fermeture (nous étions en nocturne) nous sommes retournés au début de l'exposition et avons pu parcourir les salles totalement vides, profitant d'une vision d'ensemble de l'oeuvre, qui du coup semblait plus "fragile", plus dépouillée, presque vulnérable, rendue à une intimité qui donnait l'impression de parcourir l'atelier de l'artiste après sa mort. Une vie brève et ardemment consacrée à la peinture, quelques véritables traits de génie, beaucoup de recherches maladroites, une vraie culture artistique où l'on côtoie Velasquez, Titien, Goya et tant de maîtres... un ensemble de toiles retraçant sans concession le portrait d'un homme passionné par son art.
La semaine prochaine je fais un petit tour dans la capitale en tête à tête avec moi-même, mais je n'ai pas prévu cette expo...je ferai Cranach au Luxembourg et les frères Caillebotte au musée Jacquemart.
RépondreSupprimerLes coupe-files sont dans "la poche".
Il est intéressant de lire votre visite à tous les deux, il est bien vrai que faire le parcours à "rebours" peut être une solution pour apprécier un peu mieux les œuvres.
Bon, quelle forme ! question culture vous ne déb...... pas dirait l'autre...Ah Manet ! Oh, Monet... je préfère donc le premier...Plus polisson que notre encoquelicoteur national.
RépondreSupprimerJe file vite avant la coupure: ma connexion est dès plus aléatoire en ce moment. Bzzz (baisers volants).
ni un paysagiste ni un peintre de marine, un portraitiste de talent il me semble !
RépondreSupprimerObligé de venir tester ma ligne de nuit me voici à nouveau plongé ici, avec plaisir.
RépondreSupprimerFinalement je me dis que je n'aime pas trop certaines oeuvres un peu trop léchées de Manet. Son toréro mort est d'opérette. Ni sang vif, ni poussière et aux pieds de zapatillas reluisantes...Gervex: son Rolla fit tout de même scandale si j'ai bien la mémoire de ce qu'ai lu. Et la fille a les yeux fermés, ou presque. A propos de Christ aux outrages nous avons droit à Avignon au Piss Christ à la Fondation Lambert. Cette oeuvre représentant un Christ en croix baignant dans l'urine est défendue bec et ongle par toute une intelligentsia qui s'est largement mobilisée (manif !) pour défendre la "liberté d'expression" menacée par ceux (hélas réduits à un quarteron de catholiques intégristes) qui dénonçaient l'outrage fait au Christ et donc aux chrétiens. Chaque époque à les scandales qu'elle peut...
Cela me rappelle l'expo Turner où, moi aussi, j'avais failli craquer devant la foule et les difficultés à prendre du champ pour admirer un tableau.
RépondreSupprimerMais ça valait le coup, en fin de compte !
C'est bien que vous ayez pu voir les salles vides en fin de parcours, de quoi se réconcilier avce ce type d'expo...
Un des avantages d'avoir la carte du Musée d'Orsay je vois cette exposition peu à peu et je pratique justement ma nocturne à moi j'y vais vers 16h15 les premières salles comme tu le dis sont vides.
RépondreSupprimerMais il va bien falloir que je pousse plus loin et je crains qu'à un moment je me heurte à la foule du moins dans les salles.
Il faut dire que vous étiez en période de vacances scolaires.
Je persévère car pour ma part je suis sous le charme
Je ne suis pas persuadée que ce soit ton cas
Je crois que je vais la laisser passer celle-là, la foule à ce point-là je ne peux plus .. et ces billets coupe-files qui te font attendre tout de même une éternité. J'ai encore les mains glacées de mon attente dans le petit matin pour Monet. Tant pis ! Vous avez été courageux.
RépondreSupprimerBonjour, Michelaise.
RépondreSupprimerTes choix sont naturellement judicieux pour montrer de Manet ce que l'on ne voit pas si souvent.
Et puis il y a toujours ce lien entre ton écriture et l'oeuvre qui nous apporte tant.
Merci pour ce merveilleux partage.
Et maintenant j'écoute Chopin...
Martine, j'ai tout une série d'articles sur les expos, mais je crains que tu n'aies pas le temps de les lire avant d'y aller. J'ai quant à moi, et dans l'ordre, aimé Rembrandt au Louvre, Raoul et Jean Dufy à Marmottan, Caillebotte à Jacquemard, Nature et Ideal au grand Palais,Forain au Petit Palais et Claude Lorrain au Louvre. Manet tu vas le voir de toutes façons, donc je ne l'inclus pas dans le classement. Tout ça pour te dire que si tu as l'occasion de voir l'une des 2 premières, Rembrandt ou Dufy, ce sont à mon avis des manifestations passionnantes (à condition d'aimer ces peintres bien sûr).
RépondreSupprimerLe débat Monet Manet est loin d'être clos Roberto, il faut avouer que le duel est inégal, l'un a vécu 86 ans, l'autre 51... un talent évolue drôlement en fin de vie ! En bien ou en mal d'ailleurs ! enfin bref, on aime l'un ou l'autre à moins qu'on aime l'un et l'autre. C'est parfois aussi, pour vous, spectateurs, question d'état d'esprit du moment.
Norma, pour Turner, quoiqu'il arrive, je n'aurais pas craqué... Mais cemendant c'est vrai que ces grands messes qui obligent à visiter le nez au ras des toiles, sont pénibles. D'où l'intérêt d'habiter Paris, comme Aloïs, avec visite par petits morceaux, ou de faire le parcours en fin de période !! au moins refaire comme nous avons pu le faire durant la dernière demie-heure. Nous avions bien visité en détail avant et ce parcours dans des salles vides était parfait !
Françoise, on ne peut rien te cacher, j'aime Manet, comme Monet ! Bref, avec réalisme et sans m'extasier sur tout bout de toile portant sa signature au motif qu'il est de lui. Ils ont, tous deux, de purs moments de génie, mais, et c'est naturel, leur oeuvre est inégale. Il en est ainsi de tous les peintres, à de très très rares exceptions près. Le génie subit des revers, l'inspiration n'est pas constante, et rares sont ceux dont TOUT puisse être admiré. Certains Lotto étaient franchement nuls par exemple !!! Et pourtant ! Quel talent ...
Il faut savoir renoncer Aifelle, devant l'inconfort... ainsi nous avons renoncé, en période scolaire et gratuit donc forcément très couru, à tenter Paris vu par les Impressionnistes à la Mairie, pensant que ce serait trop hard et tellement dans la presse que nous n'en profiterions guère. Françoise nous a confirmé que c'était très couru.
Oui Roberto, Rolla fit scandale mais c'est tellement évocateur et précis !!! Olympia c'est roupie de sansonnet à côté !!
RépondreSupprimerLe Piss Christ me semble demander tout une explication bien compliquée, je me demande si j'ai tout compris !! En tout cas j'ai retenu ta phrase "tout époque a les scandales qu'elle peut", et les notres sont assez pathétiques !
Enfin, contrairement à toi, j'aime le Manet du Torero, et celui des oeuvres léchées : il y a, dans cette simplification du trait, une sensualité qui m'attire : en allant à l'essentiel, il marque la forme et donne un volume qui m'impressionne.
Oui, mais la représentation (le torero) est "décalée". C'est "bien peint" mais c'est un peu pompier.
RépondreSupprimerPiss Christ: j'ai été choqué par cet irrespect des autres (les chrétiens et au-delà). Nos artistes "courageux" pourraient s'essayer à exposer un coran baignant dans un bocal d'urine, non ?
Roberto, est-ce que -connexion permettant- tu pourrais m'expliquer quels sont les éléments qui te font dire que le torero est un peu pompier ?
RépondreSupprimerCar moi je trouve, au contraire, une pleine correspondance entre son image et ces mots de Mic :
"il y a, dans cette simplification du trait, une sensualité qui m'attire : en allant à l'essentiel, il marque la forme et donne un volume qui m'impressionne."
Moi qui n' ai (oh, j' ai des doutes sur cet orthographe ?) pas pu visiter cette expo, je t' assure que je l' ai parcourue avec intérêt en ta compagnie.
RépondreSupprimerMerci Michelaise
Un billet bien construit pour nous, les absents.
Merci Alba, je suis contente que cela t'ait plu. Et toi qui te poses des questions, sache que, finalement, tu as de meilleurs réflexes orthographiques que nous !! car nous avons parfois tendance à le massacrer un peu, faute d'attention ce "moi qui n'ai".
RépondreSupprimerEuh j'ai vu une expo qui doit, encore une, aller à Madrid ensuite ... il s'agit de Nature et Odéal, au Grand Palais jusqu'au 6 juin, et au Prado du 28 juins au 25 septembre ! Encore des émotions à partager... elle est fort intéressante, article suivra !
Siu: le torero (me semble-t-il)n'a rien de "naturel", pose en atelier, traitement des couleurs (oppositions noir/blanc comme on le voit chez Cananel ou Gérôme, réalisme revendiqué mais occulté par l'académisme (fond neutre, pose figée, habits et chaussons impeccables etc.). J'ai pensé au gisant de Victor Noir (par Dalou) au Père Lachaise).
RépondreSupprimerIntéressant tout cela: chacun a sa vision de cette toile. Le maniérisme ne signifie pas pour autant la négation du suggéré. Ici la sensualité selon vos sensibilités et perceptions.
Nous serons à Paris début juin et bien sûr cette expo est déjà marquée sur nos tablettes. Ton article confirme notre choix !
RépondreSupprimerBonne soirée
Une semaine sans ordinateur ou presque donc beaucoup à lire et à voir au retour, c'est fabuleux tout le monde bouge visite raconte on en prend plein les yeux par ricochet. Tout cela conforte mon envie d'un voyage à Paris en juin avec l'espoir de salles un peu moins peuplées.
RépondreSupprimerMerci pour ton éclaircissement, Roberto, qui met en évidence qu'en effet ton évaluation de ce tableau n'est peut-etre pas vraiment incompatible, enfin, avec celle de Michelaise.
RépondreSupprimerEn tout cas tu m'as fourni l'occasion pour mieux mettre au point le concept d'art pompier : Google ! et les deux tout premiers links parus ont suffi à me faire comprendre le malentendu dont évidemment j'étais en proie.
Car à l'intérieur du deuxième, voilà justement la conception que j'en avais, probablement aussi bien italienne qu'un peu fausse :
"Le decorazioni sono così esagerate da rendere particolarmente appropriato l'appellativo di "stile pompier"."
Alors que ce qui est dit dans le premier est évidemment plus correct, et me réconcilie avec tes remarques :
"...quell’arte accademica e ufficiale, gradita al potere, che, pur eseguita con tecnica magistrale, risulta spesso falsa e vuota fino al cattivo gusto."
J'ignorais donc que "maniérisme" et "pompier" vont un peu dans la meme direction... Ogni giorno s'impara qualcosa... heureusement !
Merci Siu pour ta contribution éclairée à la définition de l'extinction des feux de brousse !! Il est indéniable que le mot pompier est péjoratif mais le définir est autrement complexe, car on a tendance à l'appliquer à ce qui déplait et semble trop léché. Sans plus.
RépondreSupprimerRobert, cela fait du bien n'est-ce pas de délaisser internet quelques temps : au début on croit qu'on n'y survivra pas, et puis on oublie ! Paris en juin devrait tout de même être plus calme que durant les vacances scolaires : l'absence de neige et les troubles dans les pays d'Afrique du Nord ont rendu la fréquentation sur le territoire particulièrement dense. Ici, on se croirait en été !!
Pour avoir visité une seule fois le musée d'Orsay il y a quelques années, je dois dire que je n'ai pas été déçue du voyage, malgré une attente un peu longue et sous la pluie d'un mois de décembre bien froid !
RépondreSupprimerMais les oeuvres qui y sont exposées m'ont très vite réchauffé les yeux !
J'y retournerais avec plaisir... mais je ne suis pas de Paris, qui se trouve bien au NORD !
Merci et tous les détails que tu fournis sur Manet. Je me coucherai moins bête ce soir !
Biseeeeeeeeeeees de Christineeeee
bonjour, j'atterri sur votre blog, non je ne suis pas montée dans l'avion malheureusement.......
RépondreSupprimermerci de m'avoir fait découvrir le blog de ce Monsieur BORDEAUX VU DU CIEL!
suis une amie de Rose et Gris
Monica
Bienvenue Monica et ravie de vous avoir permis un petit tour en avion, avec Quebec 2 fois !! On lui demandera un jour s'il ne fait pas des virées de blogueuses !!
RépondreSupprimerChriiiiiiiis, en fait c'est vrai qu'Orsay c'est toujours terrrriiiiiiiiible pour y entrer, expo ou pas ! Que veux-tu c'est une gare, à défaut d'avion (n'est-ce pas Monica... on pourrait s'en contenter !). Quant à dire que Paris est bien au Nord, c'est bien vrai sauf que cela reste Paris ! On peut renoncer au soleil quelques jours ! Et même, cela arrive, j'en témoigne, avoir Paris ET le soleil !!! PS histoire de faire enrager "mes" parisien(ne)s !!
oui je crois que ce serait passionnant de pouvoir aller voir cette expo après avoir lu ton billet... merci pour cette "lecture" si enrichissante des oeuvres... j'adorerais , mais je crois te l'avoir déjà dit, pouvoir être petite souris et faire l'expo dans ta poche...merci
RépondreSupprimerCoucou petite souris, tout à fait d'accord pour t'héberger dans ma poche. Nous serons deux pour mieux jouer des coudes...
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