mercredi 4 mai 2011

LA CONSCIENCE DES HEROS ORDINAIRES

Le premier titre français de "The Eye of Jade" devenu "Le secret de Big Papa Wu" est assez affligeant. "Butterflies for the dead" par contre, "le Papillon de papier" ne trahit pas le sens de l'expression.

Je viens de terminer le deuxième de Diane Wei Liang, et, pour une fois, j'ai envie de vous partager quelques impressions. Grosse lectrice, je n'ai pourtant pas choisi de tenir un blog littéraire et si, parfois, je pense à noter quelques impressions sur Babelio, c'est plus pour tenter de garder trace de mes découvertes que pour faire oeuvre critique.
Diane Wei Liang publie depuis peu, d'abord chez Nil puis en 10-18, domaine policier. Comme souvent dans cette série, les intrigues ne sont que prétexte à découverte sociologique et à étude de moeurs. Déjà assidue aux romans de Qiu Xiaolong, qui m'a initiée aux secrets de Sanghaï, j'ai découvert cette nouvelle auteure avec d'autant plus de plaisir que le ton est différent.

Qiu décrit par le menu la vie à Shanghai sous le régime de Deng Xiaoping,  la cuisine et la gastronomie, la crise du logement, les difficultés de transports, la corruption, la politique et l'omni-présence du Parti, la pollution, les bouleversements de la Chine moderne. Son héros, féru de poésie, nous fait savourer de belles citations classiques, j'y avais découvert le haïku avant qu'il ne soit tendance. On y parle recettes, et c'est en partie la lecture des aventures de Chen Cao qui a valu l'illustration choisie pour le numéro 1000, Mimille : un oeuf de cent ans, appelé parfois aussi oeuf de 1000 ans, une spécialité culinaire fascinante dont l'auteur semble faire grand cas, et qui nous intrigue beaucoup, Koka et moi !! Nous mangeons bien du Gaperon et autres cagouilles farcies, forcément répugnantes pour les non-initiés, l'oeuf de cent ans doit avoir son charme !! Je n'ai pas encore succombé à la tentation, ayant quelques réticences à surmonter, mais je cite supertoinette :
"Les oeufs de cane tout frais pondus sont plongés dans de grandes bassines d'eau bouilllante, à l'abri de la lumière. Une fois durs, et toujours avec la coquille, on les enrobe d'une gangue de terre glaise, puis d'une couche de paille, toujours pour les protéger de la lumière et en assurer la conservation. Deux à trois mois plus tard, ils sont prêts à être consommés : quand on enlève la carapace et la coquille, ils ont pris cette couleur étrange.

Si vous avez un supermarché chinois près de chez vous, cherchez des grandes jarres posées au sol, pleines de boule de paille : ce sont des oeufs.
Le goût, croyez-moi si vous voulez, est entre le roquefort et le foie gras."
Les romans de Xiaolong sont très documentés, savants et évocateurs, j'ai l'impression après la lecture de chacun d'eux d'avoir fait une petite escapade à Shangaï. Je n'en ai raté aucun et après l'enthousiasme ressenti à la lecture de l'avant-dernier (les courants fourbes du lac Thaï), j'attends avec impatience le prochain, gardant la petite nouvelle "la bonne fortune de Monsieur Ma" dans ma PAL, avec d'autres "trésors en attente" !!

Avec Diane Wei Liang, on change de lieu, on change aussi de ton. Plus introspectif, l'auteure est professeur de psychologie, la manière est, globalement moins "cérabrale". De 13 ans plus jeune, elle a vécu Tienanmen sur place et se fait l'écho de problèmes pékinois plus palpables : elle a vécu en Chine plus tard que Xialong. Ses personnages sont torturés par leur passé : la  Révolution Culturelle et son impact destructeur les poursuit et les hante fortement. S'y ajoutent les conflits entre générations, l'évolution inéluctable de Pékin, les destructions et reconstructions sauvages, les compromissions pour survivre, le développement débridé des nouvelles moeurs financières. Bref, une étude aussi fouillée que celles de Xiaolong de la société chinoise actuelle, de ses contradictions, de ses incohérences et des problèmes de conscience de ceux dont le passé est encore trop présent pour leur permettre d'avancer sans état d'âme. Diane Wei Liang vit à Londres, pense, rêve et écrit en anglais, mais son âme est toujours pékinoise et, de toute évidence,  elle n'a pas tué tous les démons de son passé. Sa première publication, "Un lac sans nom", paru en 2006, était un livre de mémoires où elle évoquait son enfance de fille de "rééduqués", son isolement d'élève brillante et persécutée par les autres enfants, son temps d'étudiante marqué par les manifestations de la place Tiananmen et ses amours compliquées. Ses policiers reprennent cette thématique, et, vus de l'intérieur, l'Histoire et ses troubles, les avatars du souvenir, les hoquets de ce pays facinant qu'est la Chine, sont autant de prétextes à personnages attanchants.
J'ai longtemps été allergique à la littérature asiatique, pour cause d'incapacité congénitale à retenir les noms des personnages, aux consonnances trop exotiques pour ma cervelle de moineau. Mais l'on change n'est-ce pas, et le fait qu'Emmanuel, notre fiston adoptif quoique non orphelin, vive en Chine est sans doute pour beaucoup dans cet intêret pour ces terres lointaines. A défaut d'aller le voir car la prespective d'être noyé dans un flot d'incompréhension pour ce qui nous entoure nous retient, nous découvrons la Chine "en traduction" avec une curiosité qui n'est pas près de faiblir, tant tout cela est complexe pour nous. Et qui sait, peut-être qu'un jour nous nous sentirons capables de surmonter les barrières de la langue ayant un peu mieux assimilé la culture, et d'aller suivre Emmanuel dans ses escapades sur la Grande Muraille, côté interdit aux touristes !!
Quand j'étais adolescente, la littérature européenne se nourissait des péripéties de la Résistance, des cas de conscience nés de l'époque troublée de la Deuxième Guerre mondiale et les héros de l'après-guerre avaient du souffle. Leur force trouvait sa source dans la lucidité que cette époque déréglée avait engendrée dans leur univers, exempt dès lors de certitudes et d'idées reçues. On retrouve, avec les chinois de l'après Révolution Culturelle, des combats de conscience, une recherche de sens, une véritable interrogation sur les problèmes existentiels qui donnent corps à leur propos. L'intrigue policière est toujours secondaire, simple prétexte à développer une réflexion sur l'évolution d'une société qui, du fait de sa nouveauté, de sa rapidité d'évolution, les laisse perplexes. Comme nous ne savons malheureusement plus l'être, sauf à faire du catastrophisme simplificateur !!

13 commentaires:

  1. Encore des titres à ajouter à ma liste ! Décidément, je n'aurai jamais assez d'une vie pour tout lire... et c'est tant mieux !

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  2. Belle référence pour moi qui suis aussi une assidue de Qiu Xiaolong, et du bel inspecteur Cheng !
    Bonne soirée !
    Norma

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  3. Bonsoir Michelaise

    Vous me donneriez presque envie de découvrir cette littérature que par paresse j'ignore.
    Je suis bien aise de vous lire à nouveau, à très bientôt et bonne soirée.
    Miss Lemon.

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  4. Ouh Astheval que dirais-tu si tu avais mon âge !! c'est vrai qu'on se dit qu'on passe forcément à côté de tout un tas de bons bouquins...
    Coucou Miss Lemon, ravie de te retrouver, je vais aller voir si tu as repris ton blog
    Norma, merci de ta proposition de carnet d'adresses pour Pavie. Je me suis précipitée sur Dave Robicheaux, mais il va falloir que je persécère, pas si facile l'univers Nouvelle Orléans, c'est assez violent et, paradoxalement, pas si terrible que ça. J'ai commencé par les prisonniers du ciel et vais le finir sous peu. Je ne suis pas encore une afficionada !!

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  5. Bonsoir Michelaise. On ne peut qu'avoir envie de se lancer dans la lecture de romans asiatiques après avoir lu ta page. Comme toi, les noms compliqués me font toujours un peu peur, mais je me suis rendu-compte que je ne les lisais pas vraiment lorsque je les rencontrais. J'en "photographie"la forme et je fais avec...
    Merci pour ces idées de lectures; je sens que je vais faire bibliothèque commune avec mon Astheval... ;-)

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  6. "J'ai longtemps été allergique à la littérature asiatique" dis-tu... j'aurais pu dire la même chose, mis à part les Pearl Buck lus il y a fort longtemps, je n'ai jamais eu d'attirance non plus pour la littérature asiatique... J'ai découvert il y a peu et beaucoup aimé Xinran et une blogueuse m'a fait découvrir un auteur japonais qui m'a fascinée Yoko Ogawa, depuis j'en ai lu 5 ou 6 titres...il faut parfois être prête à lire certains auteurs ou à découvrir certaines civilisations... trop tôt, on passe facilement à côté... question de maturité aussi peut-être...

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  7. Tu pourrais tenir une critique littéraire sans problème surtout que tu soulignes être une "grosse" lectrice,

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  8. Je n'ai lu ni l'un, ni l'autre de ses auteurs, ma PAL ne te dit pas merci ! Sur la Chine, je n'ai lu que Gao Xingjian, assez difficile je trouve, sinon il faut remonter aux romans de Pearl Buck !

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  9. J'ai eu ma période littérature asiatique ,je te recommande du reste entre autre les romans de Duong Thu Huong ou plus simplement d'aller piocher chez Picquier.
    Je note ton livre bien que pas très attirée comme tu le sais par les polars mais en cette période où tout me tombait des mains il aurait été salvateur je pense.
    L'oeuf de cent ans j'avoue que j'ai du mal à sauter le pas!!!
    Pourtant je sais bien qu'on ne les fait plus tremper dans l'urine de cheval!!!

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  10. Bonjour, Michelaise.
    Je te remercie pour cet apport tout en richesse culturelle et en sensibilité.
    J'ai noté.
    Critique des arts et des lettres et belle communicatrice, voilà qui tu es.
    Merci beaucoup.
    Je t'embrasse.

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  11. Astheval et Oxy, si vous vous lancez dans Qiu Xialong, prenez les dans l'ordre en commençant par les plus anciens. Vous aimerez son approche de la poésie chinoise. Oxy, je fais EXACTEMENT comme toi pour les noms asiatiques : photo !!
    Eh oui, Françoise, je sais que tu n'es pas polar, mais c'est normal !! tu y viendras car c'est un genre qui a changé. Parfois, cela finit par virer à la technique (cf Dona Leon) mais on découvre de bonnes plumes.
    Aifelle, ta PAL ne m'inquiète guère, la mienne lui tire la langue !!
    Gérad, mon gabarit varie selon les critères ! pour certains je suis grosse, pour d'autres modeste !!
    Catherine, c'est vrai que lorsqu'on saoute par dessus une réticence, on s'ouvre un champ énorme de possibles ! ça avaut le coup d'essayer...
    Herbert, j'essaie simplement de ne pas parler toujours des mêmes choses, ce serait lassant ! merci de ton passage, pas encore parti ? pourtant je te croyais à saint aygulf !!

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  12. Comme Françoise je fais confiance aux éditions Picquer...
    Mais tes observations donnent envie de découvrir d'autres horizons.

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  13. Je ne sais pas Evelyne si cela peut vous convenir comme "littérature" tant à Françoise qu'à toi, mais honnêtement, cela n'est pas qu'une détente, c'est aussi une porte ouverte sur d'autres horizons, et quand c'est bien mené, bien écrit, cela vaut le détour.

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