lundi 27 juin 2011

IL PARMIGIANINO A FONTANELLATO

Fontanellato est une petite ville paisible et pleine d’un charme envoûtant. Sa Rocca s’élève sur une place bien dégagée et le lieu invite à la flânerie et à la halte prolongée.


La Rocca Sanvitale, qui s'élève majestueusement au centre de la place, est une belle bâtisse fortifiée entourée de larges fossés où croisent d’énormes carpes argentées. On y visite l’ancienne demeure des Sanvitale puisque le lieu fut occupé par cette famille du XIV ème siècle à 1948.

L’ameublement y est évocateur (portraits de famille, collection de larges assiettes blanches constituées d’une calotte et d’un large pourtour dans lesquelles, nous dit-on, on mangeait ensemble primo piatto et secondo piatto, l’un au centre, l’autre sur les bords) mais sans grande valeur artistique. Par contre, outre son aspect général qui a fière allure, la Rocca vaut la visite pour deux choses. La première est plus anecdotique que belle : il s’agit d’une chambre noire dans laquelle, par un effet de prismes, de lentilles et d’écrans, on se trouve comme à l’intérieur d’une chambre photographique. On distingue parfaitement la place qui entoure le château alors qu’on est enfermé dans une tour.
L’autre est une pièce peinte à fresque en 1524 par Francesco Mazzola, dit le Parmigianino, qui illustre avec brio et le mythe de Diane et Actéon.
Autrefois nous l’appelions, avec notre manie nationale de franciser Firenze en Florence et Beijing en Pékin, le Parmesan. Ce qui donnait en italien il Parmegiano. Autant dire qu’avec un pareil nom et le développement de la renommée du fromage homonyme, l’appellation n'était guère flatteuse. D’où sans doute le nom qu’on lit sur les cartels de musées et dans les guides en Italie : il Parmigianino, qui n’a rien de réducteur . Girolamo Francesco Maria Mazzola ou Mazzuoli est né à Parme en 1503, ce qui lui vaut son surnom, et son éblouissant talent en fait un des peintres essentiels du XVIème siècle italien.

En 1524, la Camera di San Paolo du Corrège devint inaccessible car après la mort de l'abbesse Giovanna Piacenza qui s'était battue pour garder son monastère hors des règles rigides de la papauté, la clôture est appliquée sans concession et le monastère n'accueille plus aucun visiteur pendant presque 3 siècles. C'est cette année-là que Parmigianino décore à fresques une petite pièce du château de Fontanellato, et depuis qu'on connait ces dernières, restées elles aussi cachées longtemps, le lien stylistique entre les deux ensembles est évident.

Cela s'explique aisément. Galeazzo Sanvitale, comte et seigneur de Fontanellato, vit et apprécia à Parme la salle de l'abbesse Giovanna, et, désirant décorer une pièce de son château, il chargea un très jeune artiste, qui avait cependant déjà fait ses preuves, de réaliser une décoration sur un thème très proche. Francesco Mazzola, qui est né en 1503, orphelin de père et élevé par ses oncles Michele et Pier Ilario, peintres modestes mais qualifiés, désire voler de ses propres ailes. Il accepte donc ce chantier et peint la représentation du mythe de Diane et Actéon: le chasseur Actéon, ayant surpris Diane en train de se baigner nue, est puni par la déesse de son audace (involontaire). Transformé en cerf, il périt, déchiré par ses propres chiens. Mais on le sait, derrière chaque commande, comme à Parme avec les fresques du Corrège, il y avait une programme iconographique et ici tout se complique car les intentions du commanditaires ne sont pas aisées à comprendre. On a beaucoup glosé sur cette salle et sur la signification, réelle ou supposée, de ces fresques. Toutes ces discussions sont basées sur l'observation des particularités de cet ensemble pictural, dont certaines sont surprenantes.


La salle du Parmigianino est située au rez de chaussée de la demeure, ce qui est a priori inhabituel, puisque c'est le niveau des pièces de service, alors que les salle nobles sont au premier étage. La pièce est de petites dimensions et elle fut longtemps très sombre : la fenêtre qui l'éclaire aujourd'hui ne fut crée que porterieurement aux fresques. Pourquoi orner une pièce presque noire de si sompteuse manière ?? La destination de l'endroit reste mystérieuse : boudoir, salle de bains, dressing ? Vasari qui ne parle pas plus de ces fresques que de celles de San Paolo, ne nous est ici d'aucun secours alors qu'il est d'ordinaire une source précieuse pour Il Parmigianino. Tout cela, ajouté au programme iconographique, renforce le mystère autour de cette oeuvre de grande qualité.

Le choix du mythe, la représentation de Diana près d'une source, la présence d'un miroir au centre de la voûte, la petite taille de la salle, et la présence parmi les fresques d'un portrait qui serait celui de Paola Gonzaga, ont fait penser aux critiques que la destination la plus probable était une salle de bains. Cependant, d'autres éléments découverts ces dernières années ont fait naître d'autres hypothèses. Le miroir placé au centre de la voûte est entouré d'un cadre en bois doré avec l'inscription "respice finem» (observe la fin). Tout autour, le ciel bleu, et une pergola avec des enchevêtrements de bambou et des guirlandes soutenues par des putti, certains ailés et d'autres non. Dans les lunettes est peinte l'histoire de Diane et Actéon. Plus bas, une inscription tourne autour de la salle: « Dis, ô déesse, pourquoi, si c'est le destin qui a conduit ici le malheureux Actéon, il a été donné comme nourriture à ses chiens. S'il est licite que les mortels soient punis lorsqu'ils commettent une faute, une telle colère ne convient pas aux dieux » Rapproché du finem respice autour du miroir, c'est une mise en garde qui déclare qu'on peut être puni sans avoir commis de crime. Nous trouvons donc ici une protestation contre la cruauté de la déesse, alors qu'à Parme Le Corrège exaltait les vertus de Diane, pour louer celles de l'abbesse commanditaire.

On remarque encore bien d'autres singularités.

Sur un mur, une nymphe est poursuivie par deux chasseurs: la couleur et la forme de ses vêtements sont identiques à ceux d'Actéon qui se transforme en cerf, mais les bras et les mains ont une apparence féminine.

La scène d'Actéon déchiré par ses chiens est privée de violence et de mouvement : c'est une tragédie immobile, presqu'empreinte de douceur, et cela ne vient pas d'une incapacité du peintre qui a démontré ailleurs son talent dans ce genre de scènes. C'est, à n'en pas douter, un choix délibéré de représenter Actéon et ses chiens de cette façon.


Au-dessus de la scène d'Actéon dévoré par ses chiens, ce ne sont pas des putti qui sont représentés, mais deux vrais enfants, dont l'un est un nourrisson, soutenu par l'autre, plus grand. Le bébé a un collier de grenat et tient une branche de cerises. 
Enfin, en face de la représentation de Diane nue dans la source, de l'autre côté de la pièce, on admire le portrait d'une femme très décolletée, des épis dans une main et une vase aux larges anses en volutes reposant sur un plateau dans l'autre. Ce ne sont certainement ni la curiosité ni un désir d'originalité qui ont poussé Parmigianino à faire ces choix étranges: il voulait dire quelque chose, mais d'une façon énigmatique.

On a voulu voir dans cette suite une expression de la passion du temps pour l'alchimie, passion que partageait le peintre : la pièce, sombre, petite et reculée aurait été dédiée à cette science, le maitre des lieux menant ses expériences dans une pièce de service proche. Le mythe d'Actéon a en effet été interprété comme une métaphore du procédé alchimique : principes masculin et féminin, où le chasseur Actéon, pourvu qu'il puisse s'approprier le principe divin - la déesse Diane - est disposé à se transformer de prédateur en proie, fut-ce jusqu'à en mourir.
La douceur de la punition d'Actéon évoquerait une possible rédemption par la suppression de la faculté de pêcher : Actéon, mangé par ses chiens, ne peut plus voir Diane et sa faute s'efface.


Mais surtout, on a découvert récemment un document daté du 4 septembre 1523 qui signale le baptême d'un fils de Galeazzo et Paola, fils dont il n'est plus jamais question ensuite. L'hypothèse la plus vraisemblable est que cet enfant serait donc décédé peu après sa naissance. De fait, le collier de grenats et les cerises sont des symboles de mort précoce. Voilà qui éclaire d'un jour nouveau la protestation écrite à la déesse cruelle, Actéon livré à ses chiens, et respice finem deviennent le signe d'une douleur récente et vécue comme injuste. La métamorphose de la nymphe en Actéon peut elle aussi être comprise dans le même sens : la nymphe de Diane devient Actéon dans la souffrance. Quant à la femme portant un vase en forme de cantare et entourée d'épis, elle pourrait être Demeter dont la fille Perséphone est enlevée par Hadès et passe la moitié de l'année aux enfers. Ce serait donc un symbole de maternité blessée.
Cette pièce sombre serait finalement dédiée à la mémoire d'un enfant mort en bas âge, injustice suprême, punition incompréhensible, que le bon chrétien accepte en pensant à la Rédemption et au rachat de ses fautes.
 

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