dimanche 3 juillet 2011

DECUMANUS


Lulu nous imaginait, Alter et moi, au volant de notre petite décapotable en train de nous ébattre gaiement dans les chemins creux de la plaine du Pô. Elle évoquait gaillardement quelques petits sentiers secrets, "des couvertures de pique-nique froissées, de bords de rivières chantants"... C'était sans compter avec la typographie particulière de la plaine du Pô qui ne prête guère au batifolage, tant sa configuration est sérieuse. Une plaine, comme son nom l'indique, c'est plat et, allez savoir pourquoi, on imagine pouvoir s'y déplacer sur des routes parfaitement droites. Que nenni ! Dans la plaine du Pô, la route est rectiligne et soudain, ex abrupto, sans que rien dans le paysage ne semble le justifier, elle tourne à 90°... 


C'est un souvenir de la centuration romaine. Cette technique d'arpentage permettait aux romains d'affecter des terres à des colons. Elle était réalisée par des arpenteurs qui parcouraient la campagne armés d'un instrument appelé "groma", déjà utilisé par les étrusques : une perche verticale supportant à son extrémité supérieure un croisillon monté sur un tourillon pour lui permettre de tourner dans le plan horizontal. 


Chaque bras du croisillon supportait à son extrémité un fil à plomb. Les terrains, forcément réguliers et coupés à angles droits, et ce d'autant plus que le terrain de plaine le permettait sans problème, étaient ensuite bordés de fossés, de conduites d'eau, puis de chemins. Avouez qu'il est fascinant de faire de l'archéologie active : en parcourant les routes de la plaine du Pô, on se promène dans un paysage romain, ou au moins dans ce qui reste de son découpage !! Ce paysage est ponctué de grosses fermes, dont la maison d'habitation, l'étable et la grange sont disposées autour d'une cour rectangulaire, entourée d'un mur ou d'une haie, à laquelle on accède par une grande porte. De loin en loin, une petite entreprise s'est spécialisée dans la fabrication de Parmesan.

Mais une autre caractéristique marquante de ce site est l'odeur : souvent, et la décapotable favorisait sa perception, on est saisi par une émanation nauséabonde et une méchante odeur de lisier vous fait suffoquer. Ces effluves peu engageantes proviennent des élevages de porc, nombreux dans la région pour produire le jambon de Parme, bien sûr mais aussi, parfois le fameux culatello. Cette charcuterie que les Pallavicino, seigneurs de la région, envoyaient chaque année aux Sforza "comme une chose rare et très exquise" est l'objet de soins particuliers et figurent sur toutes les bonnes tables parmesanes (on laisse le jambon aux ignorants !!). Le culatello provient de la meilleure partie de la cuisse (le haut seulement) de cochons adultes, sélectionnés et élevés selon des méthodes traditionnelles. L'os est détaché à la main, la chair est dégraissée puis arrondie, couverte de sel et massée énergiquement afin que le sel s'incorpore. Après un court repos, on l'intoduit dans une vessie de cochon et on la ficelle en lui donnant traditionnellement une forme de poire. Ce culatello sera affiné au moins 10 mois dans des caves humides, et l'on dit que sa saveur particulière est imputable au climat particulier à la région de Parme, étés lourds et automnes assombris de brouillards intenses. A la fin de l'affinage, le culatello qui pèse entre 3 et 5 kilos est débarassé de son enveloppe, rincé, brossé sous l'eau courante, puis on l'enveloppe pendant quelques jours dans un torchon imbibé de vin blanc. Il ne reste qu'à manier le couteau avec la maestria qu'on connait aux italiens, pour le débiter en fines tranches que les gourmets dégustent avec délectation. Accompagné d'un excellent Malvasia, cela va sans dire ! Un petit blanc pétillant, assez léger mais au parfum bien équilibré et plein d'esprit qui provient du cépage de même nom, et dont la robe jaune d'or est une excellente préparation à la gourmandise.


Des routes à mémoire romaine, des fermes séculaires et opulentes, la région de Parme est une vraie leçon d'histoire et de gastronomie ! D'autant qu'on parcourt un territoire semé de châteaux, souvent transformés en "caves", vestiges d'anciennes querelles, d'âpres batailles pour des bourgs fortifiés, de dissensions ancestrales qui poussèrent les uns et les autres à construire des forteresses que le temps, heureusement, réaménagea en logis de plaisance. Mais ce sera l'objet d'un prochain billet !!

8 commentaires:

  1. Une table bien attirante accompagné d´un vin plein d´es prit, d´accord, j´arrive...

    Alba

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  2. J'ai pris note du vin et du jambon, on les trouve peut-être à Turin, Gênes ou Milan...nos prochaines destinations.
    Je suis allée à Parme mais en train, quand nous étions à Milan.
    Bonne soirée et merci pour Camille.

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  3. Bonjour, Michelaise.
    La décapotable avec sa poésie, l'arpentage avec sa rigueur et la gastronomie avec ses odeurs...
    Je me souviendrai de la plaine du Po...
    Merci beaucoup.
    Bonne journée.

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  4. Coucou Michelaise,

    Je te fais entièrement confiance en ce qui concerne la gastronomie et ce culatello est vraiment très appétissant... Avec un bon petit vin en plus... Ajoute une assiette s'il te plaît, je fais comma Alba : j'arrive... ;-)))

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  5. Oxy, Alba, Bon je sens que la tablée s'agrandit ! Evelyne, j'ai l'impression que ce culatello (on voit bien de quelle partie du corps il provient n'est-ce pas) est une spécialité parmesane, donc on en trouve forcément ailleurs, mais dans les épiceries de luxe. A Parme il est partout !
    Herbert, je te trouve bien sobre, je crois que tu as préféré la décapotable aux gourmandises charcutières ! Bravo... pour la ligne (pas pour le portefeuille !)

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  6. Le culatello on en trouve à Monop et à la Grande Epicerie,même pas besoin d'aller à Parme!!
    Je retourne à mes fourneaux soirée djeunes ce soir un peu plus de trente cinq qui fêtent la fin de l'année et c'est toujours chez les mêmes que cela se passe!!!
    Heureusement il fait beau
    Demain matin les valises et la transhumance commencera jusqu'à fin septembre

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  7. ah oui, on se demande ?? tu ne leur offres pas du culatello tout de même ??? allez vaisselle, puis valoches ! toujours prête madame Aloïs !

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  8. Eh bien, passer des géomètres romains au culatello dans le même billet relève du grand art, toujours quelque chose à apprendre chez toi, un régal et visiblement là le régal n'a pas été que virtuel !!!

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