A LA CONQUETE D'AVIGNON

L'art du Off... c'est tout une préparation car devoir choisir entre 1120 pièces et éviter de se tromper trop souvent pour ne pas risquer la dépression et l'overdose, cela demande une certaine organisation.

L'affaire commence quelques semaines auparavant, quand les organisateurs de cette manifestation de plus en plus complexe publient sur internet le catalogue des œuvres qui seront jouées. On y trouve l'intégralité des prestations prévues, classées par salles, par auteur, par genre, par titre, bref tout un tas de critères de choix parmi lesquels il va falloir trier pour faire son miel.

Sur internet, le travail consiste essentiellement à choisir les auteurs car nous avons une approche du théâtre relativement "classique". On y aime les textes et si certains auteurs ne sont jamais représentés (un absent systématique est par exemple Montherlant), on trouve assez régulièrement Horowitz, Visniec ou Marivaux. Ce premier tri donne un "fond de panier" tout à fait exploitable, à condition toutefois que la salle où seront jouées les pièces ne fasse pas partie de la "liste noire" (les lieux où l'on a vu des massacres à la tronçonneuse les années précédentes) et que le descriptif ne vous annonce pas triomphalement qu'on a enfin dépoussiéré Racine ou transformé Lagarce en farce.

Mais le plus utile, l'indispensable outil de tout festivalier consciencieux reste la Bible, LE programme, un épais catalogue de deux ou trois cents pages sur lequel on annote, on biffe, on coche, on entoure et dont on corne les pages pour mieux se repérer. Catalogue qui constituera aussi la mémoire du festival, archives d'autant plus précieuses qu'elles permettent, les années suivantes de retrouver les salles qu'on a aimées et de fuir celles où l'on s'est ennuyé.

Car les salles sont des références primordiales, surtout pour aller voir des spectacles dont on ignore tout : le thème semble sympa, mais le talent des acteurs, l'intelligence du metteur en scène, la qualité du texte restent autant d'inconnues que, sauf critique bien ciblée, on ne découvrira qu'au dernier moment. Les critiques, me direz-vous, voilà qui pourrait être une aide précieuse. Certes mais, d'une part nous arrivons au début du festival car en général la fréquentation est moindre avant le 14 juillet. Et à ce moment-là, les articles sont encore rares. D'autre part, les critiques sont souvent convenues, très à la recherche d'une originalité qui n'est pas nécessairement notre tasse de thé, et dans l'ensemble il vaut mieux les ignorer. D'autant que, dès qu'un spectacle commence à être reconnu, il est très malaisé d'y avoir des places, la queue est interminable pour entrer et l'ambiance dans la salle est, forcément, surchauffée et agitée.

Une autre technique consiste à se fier au bouche à oreille. Et là, allez savoir pourquoi, chaque fois, nous sommes déçus, voire accablés. Donc on évite comme la peste les "on-dit" de file d'attente, car il est difficile de résister à l'enthousiasme de certains spectateurs, et la déconvenue est parfois totale.
Une fois qu'on a sélectionné les spectacles à voir, il faut les organiser, faire un vrai planning, qui tient compte des durées, des déplacements et aussi de la charge de la journée. Pas question d'aligner un Genet, un Saint Augustin, un Corneille pour finir sur Bernanos ! Il faut mêler rire et texte, mise en scène intimiste et grand spectacle, il faut conjuguer le léger et le sérieux ! Et enfin, pour en terminer avec cette logistique d'enfer, il faut réserver, le téléphone portable chauffe, on essuie des refus, on doit alors trouver des solutions de remplacement.
Mais rassurez-vous, parfois aussi on improvise, un coup de cœur, on se laisse séduire par un bonimenteur, une espèce qui pullule dans les rues d'Avignon. Les troupes égaient leurs artistes dans la ville qui vous offrent des dépliants, vous entreprennent pour vous expliquer que leur spectacle est celui qu'il ne faut rater sous aucun prétexte. Et parfois, comme ils sont sympas et convaincants, on y va... Mais l'impro encore un art plus difficile que celui du catalogue et il faut une longue expérience pour ne pas s'y brûler les ailes !!