La conception renaissante du métier de peintre est très éloignée de la nôtre, romantique, entièrement basée sur un supposé talent ou génie propre et qui surdimensionne l'ego des artistes. A la Renaissance, être peintre est un métier comme un autre, pas nécessairement le plus respecté d'ailleurs, et l'art s'apprend. On ne naît pas artiste, la vocation n'a pas l'aura qu'on lui donnera plus tard, et il faut, pour le devenir, subir un difficile et long apprentissage qui implique modestie et rigueur. Confié très jeune, vers 8 ans, à un maître, l'apprenti commence par des taches simples mais nécessaires, comme le broyage des pigments avant d'apprendre la technique du dessin, puis plus tard d'avoir le droit de peindre selon les ordres que son maître lui imposera. Jusqu'au XVIIème siècle au moins, le peintre vit par les commanditaires qui imposent le choix des sujets, le programme iconographique, voire même en supervisent l'exécution. Deux sortes de commanditaires existent, qui, tous deux, agissent de même manière. L'Église, qui on s'en doute demande des sujets bibliques ou mythologiques, et le pouvoir civil qui souvent demande des oeuvres qui le glorifient ou qui exaltent ses valeurs. La marge de manoeuvre du peintre est assez faible s'il veut être payé, il ne doit pas déplaire et l'on sait qu'une oeuvre refusée est à la fois une humiliation et une perte financière que tout peintre censé évite de provoquer. Le peintre est donc plus un artisan qu'un artiste au sens moderne du terme, et dans ce contexte les femmes n'ont pas vraiment leur place dans les ateliers. Sauf si elles y sont nées, étant filles d'artistes, ou si elles bénéficient d'une éducation raffinée moderne et qui leur permet d'être éduquée à la technique avant de s'y livrer elles-mêmes.
L'atelier est, par définition, un lieu très masculin, les règles de l'apprentissage interdisent aux jeunes gens de se marier, ce qui n'est pas grave pour un homme mais peut être dramatique pour une femme. De plus, la vie dans l'atelier, avec ce qu'elle comprend de promiscuité, de fréquentations pas toujours recommandables, est considérée comme dangereuse pour le renom d'une jeune fille. A raison d'ailleurs, que l'on pense au procès pour viol intentée par Artemisia Gentileschi contre un des collaborateurs de son père, procès très douloureux et dont elle aura du mal à sortir indemne.
A cette répartition des places dans la société, presqu'impossible à remettre en cause et qui rend difficile la formation technique des femmes, s'ajoute quelques handicaps culturels qui, même si elles décident de prendre le pinceau, les limiteront dans leurs ambitions. Les sujets religieux occupaient le degré le plus élevé dans la hiérarchie des
genres artistiques et aucun peintre de talent ne pouvait atteindre la gloire, sans
avoir eu l'occasion de se faire valoir sur de tels sujets. Que l'on pense aux difficultés de Chardin à être reconnu pour n'avoir été "qu'un" peintre de natures mortes. Mais pour peindre un
retable il est nécessaire d'avoir une excellente connaissance de la morphologie et de l'anatomie. Notions auxquelles les femmes, qui étaient dans
l'impossibilité d'étudier les nus d'après nature ou de fréquenter les académies,
ne pouvaient pas acquérir. Elles devaient aborder le sujet religieux par
d'autres voies. Réduites à copier les oeuvres de leurs collègues
masculins, ou à créer des petits tableaux consacrés à la Vierge ou à la
dévotion privée, elles seront ensuite cantonnées aux genres mineurs. On leur demandera des toiles de petites dimensions, aux
sujets plaisants, portraits, bouquets de fleurs ou natures mortes. Tant que le talent se mesurera à l'héroïsme des scènes représentées, et cela durera jusqu'à la fin du XVIIIème, les femmes ne pourront trouver leur vraie place dans les ateliers.
A la fin de la Renaissance on trouve des femmes peintres "lettrées", telles les soeurs Anguissola, Lucia (1536-1565) et surtout Sofonisba (1535-1625), filles d'un aristocrate de Crémone et très cultivées. Au début elle ne faisait que des peintures privées, qui ne sortaient guère du cadre familial, mais sa réputation devenant grande, elle se mit à peindre à la commande et c'est d'ailleurs son père qui, au début, géra la boutique ! Elle doit toutefois se limiter aux portraits, n'ayant pas accès aux connaissances nécessaires pour sortir de ce genre. Sa vie personnelle un peu agitée la poussera même à créer son propre commerce à Gênes où elle s'installera avec son second époux.
Mais le cas des soeurs Anguissola reste assez isolé au XVIème siècle, les autres femmes peintres étant le plus souvent nées dans des familles d'artistes. Lavinia Fontana (1552-1614), fille de Prospero, Fede Galizia (1578-1630), fille d'un miniaturiste réputé, Nunzio, Catharina Van Hemessen (1527-28/1581-87) qui cessa sans doute de peindre quand elle quitta l'atelier de son père pour se marier, la fille de Longhi, Barbara (1552-1638) dont elle devint une collaboratrice importante, Levina Teerlinc (1510-1576), qui apprit son art dans l'atelier de son père, Simon Benninck, enlumineur célèbre, toutes suivent une voie familiale qui leur rend possible le maniement du pinceau sans scandales.
Au début du XVIIème, Artemisia Gentileschi (1593-1652) nait, elle aussi, dans un milieu artistique, et, alors que ses trois frères fréquentent tout naturellement l'atelier paternel, elle-même a toutes les peines du monde à s'y faire admettre. Mariée à un peintre florentin qui fait des dettes, elle pourra enfin exercer son métier ne serait-ce que pour renflouer les caisses du ménage et obtiendra même des commandes de Cosimo II de Medicis. Son style affirmé, non exempt d'une certaine violence, a permis de l'identifier très clairement et l'histoire de l'art moderne lui a redonné une place de choix.
Dès le XVIIème apparaissent des femmes peintres non issues du milieu artistique : Mary Beale (1633-1699), fille d'un pasteur puritain, Rosalba Carriera (1675-1757), d'origine modeste et qui commence comme brodeuse, Judith Leyster (1609-1660) devenue peintre pour sauver son père, propriétaire de brasseries et de tissages, de la faillite, Rachel Ruysh (1164-1750), fille d'un professeur d'anatomie et de botanique qui lui apprit sans doute les secrets des fleurs dont elle peint de superbes bouquets... on voit naître des vocations indépendantes et des talents oser s'épanouir.
Paradoxalement on note moins de noms connus ou reconnus au XVIIIème siècle, même si deux exceptions notables s'imposent : Anne Valayer Coster (1744-1818), fille d'un orfèvre à la cour royale et surtout Louise-Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) qui, bien que fille d'un portraitiste, n'était nullement destinée à la peinture par son père. Envoyée au couvent toute enfant, elle exaspérait les nonnes en griffonnant partout, y compris sur les murs du dortoir. Elle n'avait que 12 ans quand elle perdit son père, et ce n'est pas lui qui l'a initiée à l'art du portrait, dans lequel elle s'est cependant fait une superbe réputation. Son mariage, malheureux du point de vue affectif, lui permettra cependant d'approfondir l'art et la technique en partie grâce à son époux, marchand de tableaux. Inquiétée par la Révolution, elle devra fuir la France et sera alors adulée dans toutes les cours d'Europe. Au point qu'elle ne rentrera qu'à regret et tardivement. Auteur de 660 portraits et de 200 tableaux de paysages, elle affiche un goût marqué pour la nature d'inspiration très rousseauiste. Ses portraits quant à eux sont chargés d'affectivité et donnent à voir, au-delà des modèles, des sentiments, chose moderne dans l'art pictural.
Paradoxalement on note moins de noms connus ou reconnus au XVIIIème siècle, même si deux exceptions notables s'imposent : Anne Valayer Coster (1744-1818), fille d'un orfèvre à la cour royale et surtout Louise-Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842) qui, bien que fille d'un portraitiste, n'était nullement destinée à la peinture par son père. Envoyée au couvent toute enfant, elle exaspérait les nonnes en griffonnant partout, y compris sur les murs du dortoir. Elle n'avait que 12 ans quand elle perdit son père, et ce n'est pas lui qui l'a initiée à l'art du portrait, dans lequel elle s'est cependant fait une superbe réputation. Son mariage, malheureux du point de vue affectif, lui permettra cependant d'approfondir l'art et la technique en partie grâce à son époux, marchand de tableaux. Inquiétée par la Révolution, elle devra fuir la France et sera alors adulée dans toutes les cours d'Europe. Au point qu'elle ne rentrera qu'à regret et tardivement. Auteur de 660 portraits et de 200 tableaux de paysages, elle affiche un goût marqué pour la nature d'inspiration très rousseauiste. Ses portraits quant à eux sont chargés d'affectivité et donnent à voir, au-delà des modèles, des sentiments, chose moderne dans l'art pictural.
L'extraordinaire "Portrait d'une négresse", peint par Marie-Guillemine Benoist peu après l'abolition de l'escavage. Une symphonie de bruns rehaussés de blancs éclatants, un hymne à la beauté féminine, d'une dignité et d'une austérité qui ne cèdent en rien à l'exotisme ou à l'anecdotique. Le tableau fut exposé, avec succès, au Salon de 1800. C'est une toile d'inspiration fort classique (pensez à La Fornarina de Raphaël, avec son turban et une pose proche, la main sous le sein dénudé et le bras posée sur les genoux), mais rien d'académique dans cette oeuvre : quelle vituosité dans le rendu de cette peau sombre, alors qu’aucun
atelier de l’époque n’apprenait à peindre les chairs noires.
La critique ne manqua pas de souligner que ce
déploiement de virtuosité se faisait contre la nature même de la peinture, un
chroniqueur du Salon s’exclamant : « Une pareille horreur ! c’est une main
blanche et jolie qui nous a fait cette noirceur » (Filles et Arlequin auMuséum)
On le voit, jusqu'au début des années 1800, le métier de peintre est rarement féminin, et celles qui l'exercent le font plus souvent par tradition familiale que par véritable vocation. Même si commencent à apparaître des tolérances pour cette activité, les femmes restent cantonnées à des sujets démonstratifs et raffinés, interdites de nu ce qui leur ôte tout espoir d'atteindre la renommée qui va de pair avec la peintre d'Histoire, qu'elle soit civile ou religieuse. Certaines en vivent, mais certaines doivent renoncer à leur art pour cause de statut social. Ainsi Marie-Guillemine Benoist, élève de David (1768-1826) mais ayant aussi travaillé avec Louise-Elisabeth Vigée-Lebrun doit en 1815 cesser de peindre et d'exposer alors qu'elle est au somment de sa carrière. Son banquier d'époux Benoist d'Angers, vient d'être nommé au Coseil d'Etat et les activités artistiques de madame sont jugées incompatibles avec ce nouveau statut. Les espoirs d'émancipation nés de la Révolution sont loin et son talent est étouffé par les conventions sociales. Pourtant, c'est le XIXème siècle qui verra, en même temps qu'une profonde évolution du métier de peintre, l'éclosion de nombreux talents féminins.
Voir aussi :
1 - FEMMES PEINTRES dans l'Antiquité et au Moyen-Age
3 - FEMMES EN PEINTURE : Le XIXème siècle
4 - FEMMES EN PEINTURE : Le XXème siècle et après
1 - FEMMES PEINTRES dans l'Antiquité et au Moyen-Age
3 - FEMMES EN PEINTURE : Le XIXème siècle
4 - FEMMES EN PEINTURE : Le XXème siècle et après
Merci pour cette passionnante série de publications!
RépondreSupprimerAnne
Passionnant ton billet.
RépondreSupprimerJustement, j´ai en attente un billet sur Sofonisba Anguissola que j´ai découverte en cherchant l´auteur d´un tableau de Felipe II. Il l´invita à venir à la cour d´Espagne comme peintre.
Coïncidence, nos projets se croisent souvent, n´est-ce pas. Très bien.
Bonne fin de vacances.