dimanche 14 août 2011

POUSSIN ET MOÏSE : du dessin à la tapisserie


Nous avions, pour cette escapade bordelaise, sur la route obligée des visites à belle-maman, un programme d'enfer : visiter un jardin, s'offrir un bon tartare au Régent et visiter l'expo Poussin. Nous envisagions de n'y passer qu'un court moment, pensant, sans trop oser se l'avouer, qu'hormis une juxtaposition de panneaux décoratifs du plus bel effet, l'ensemble serait fort vite vu car plutôt ennuyeux. Quelle erreur, et du coup notre beau programme est tombé à l'eau  (on n'a même pas déjeuné !!) car, sauf à poser un lapin à belle-maman, nous n'avions pas le temps de faire autre chose ! ce sera pour une autre fois, les visites à belle-maman sont fréquentes...


Une exposition passionnante s'il en est, qui permet de découvrir la suite splendide des tapisseries tissées par la manufacture royale des Gobelins, une trentaine d'années après la mort du peintre et d'après des toiles de ce dernier, sur le thème de la vie de Moïse. Cette tenture composée de 10 pièces (8 d'après Poussin et 2 d'après Le Brun et qui contribua à renforcer la renommée de manufacture royale, était considérée avant la Révolution comme une de ses plus belles réalisations. Elle assura ainsi la prédominance de l'école française en Europe tout en diffusant l'incomparable prestige du Cabinet du Roi. C'est dire la qualité de ces réalisations qui ont été tout spécialement restaurées pour être exposées d'abord à la Villa Medicis, puis à Bordeaux (jusqu'au 26 septembre 2011) et enfin à Paris (galerie des Gobelins été 2012). C'est sans doute la première fois depuis le XVIIIème siècle qu'on peut la contempler dans son intégralité.


L'ensemble, augmenté des peintures qui l'ont inspiré et de dessins préparatoires, gravures et autres pièces diverses, permet de suivre le cheminement de la création artistique du dessin au tableau, du tableau au carton peint et enfin du carton à la tapisserie. Et ce d'autant plus d'un carton dû à Pierre de Sève et qui a servi aux lissiers pour l'exécution du Veau d'Or a été, lui aussi, restauré pour l'occasion. Cela est d'autant plus intéressant que les toiles qui ont servi de modèle aux tapissiers n'étaient nullement prévues à cet effet et qu'il a fallu adapter les motifs à des dimensions sans commune mesure avec les oeuvres qui les inspiraient. Changer d'échelle constituait en effet une difficulté majeure pour les lissiers et une première démarche en ce sens, tentée en 1665 par Chantelou avait échoué : Colbert, persuadé que l'entreprise échouerait, s'était carrément endormi pendant que Chantelou lui exposait son projet ! 20 ans plus tard, le passage de compositions à petites figures à des tapisseries à figures grandeur nature s'est fait grâce à d'habiles recadrages, des remises en espace savamment conçues pour disposer au mieux les scènes. Il est absolument captivant de voir comme les auteurs des cartons ont remanié les toiles de Poussin, n'hésitant pas à en changer le fond, allant parfois jusqu'à mêler deux oeuvres de l'artiste pour rendre les tentures plus lisibles. Un catalogue fort bien documenté, la présence de nombreuses toiles de Poussin et de gravures illustrent admirablement cette transformation.


Un autre intérêt de l'exposition est de suivre et comprendre la philosophie de Poussin en matière de peinture. Ce dernier jugeait l'art pictural menacé de "destruction" par le succès du naturalisme du Caravage et la flatterie des peintres décorateurs. En 1647, il écrit dramatiquement à Chantelou "La pauvre peinture est réduite à l'estampe. Je pourrais dire mieux, à sa sépulture..." et il lui parle de ce qu'il appelle sa mission. Il voulait restituer à l'art de peindre sa dignité, et se posait en véritbale "peintre philiosphe". Après avoir connu à Venise la tentation coloriste, puis s'être essayé à l'art baroque, romain ou toscan,, il s'impose une approche harmonique et prétend faire de son art le vecteur d'un véritable idéal antique. Chaque toile de Poussin veut être "un cosmos" en soi,d'un style et d'un effet différent, selon la pensée, toujours nouvelle, que le sujet aura éveillé en lui. Il se plaisait à Rome et son séjour parisien fut pour lui une véritable épreuve. introverti, méditatif, casanier, il ne lia que de rares amitiés, mais indéfectibles.Il npréférait la conversation socratique, la pensée (concetto) au sens de Port Royal (une illumination de l'esprit, formulée avec bonheur sous une forme fulgurante) aux collaborations d'atelier et aux intrigues de cours. Arrivé à Rome en 1623 et il s'y plut tellement qu'il fallut de pressantes invites de Louis XIII, pour l'inciter à revenir à Paris. Jaloux de son indépendance et très conscient de sa valeur, il résista longtemps. Mais sa notoriété avait fait de lui un enjeu de taille dans la grande partie diplomatique qui se jouait entre Paris et Rome, deux capitales en apparence solidaire dans la meêm foi et dans la même Eglise, mais dont la première voulait affirmer sa suprématie artistique. Exilé à l'envers en terre gallicane, il retourne bien vite "a cas sua", bien décidé à y rester jusqu'à la fin de ses jours.

Le thème de la vie de Moïse convenait fort bien à ce peintre exalté, le thème du prophète exilé et incompris correspondant parfaitement à son état d'esprit. Né français, il avait fait son miel à Rome, non pour devenir romain mais pour offrir à la France le meilleur de l'Italie. Mission sacrée et vocation presque sacerdotale, sa correspondance montre combien il s'est impliqué dans cette charge. De fait, il a rendu possible l'apparition à Paris d'un art de peindre purifié de maniérismes, digne, ainsi qu'il le souhaitait, de l'Antique.

11 commentaires:

  1. Voilà une expo à ne pas manquer et pour une fois près de chez nous. Merci pour ce reportage... on va prévoir les sandwichs.

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  2. avec la vidéo, j'ai découvert le festival de Blaye, je ne te pose pas la question, euh ? tu connais bien-sur , suis-je bête, alors ? dois-je réserver, iras-tu, le programme est intéressant......
    Bonne fin de journée,
    monica

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  3. Nous avons un autre Nicolas ici: Mignard, mais seul son frère Pierre a fréquenté Poussin.
    J'avais été déçu par l'expo Rubens-Poussin à J. André (peu d'oeuvres au final).
    La tapisserie me laisse assez froid, mais c'est peut-être parce que je connais mal ce sujet. La couleur des tapisseries que tu montres est remarquable.
    Poussin fait de temps en temps la une de la presse locale:
    http://www.laprovence.com/article/region/son-tableau-est-bel-et-bien-une-oeuvre-de-nicolas-poussin
    Je connais cette toile, accrochée chez ce sympathique rêveur...

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  4. Vous me donnez envie de voir cette exposition. Merci de cette publication!
    Anne

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  5. ROBERT, non, non, si vous y allez appliquez notre programme, petit repas resto et, pourquoi pas, si vous ne les connaissez pas, les jardins de Majolan ... nous ça fait deux ans qu'on essaie d'avoir le temps d'y aller, un coup il pleut, un coup c'est l'hiver et c'est fermé, une autre fois faut aller voir belle-maman à Ares... mais on va y arriver ! Pour que l'expo soit interessante faut acheter le catalogue qui apprend beaucoup sur Poussin, son rôle de peintre officiel, son rôle presque politique, et sur la tapisserie aussi.

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  6. ROBERTO le célèbre et inimittable bleu Mignard !! un peintre de portraits surtout... Quant à la tapisserie, comme je le dis end ébut d'article, on n'était pas très chauds, trouvant aussi cela ennuyeux (sauf les tapisseries modernes)... mais pourtant c'était passionnant, à cause, comme je le disais à Robert M, du catalogue, à cause du cycle, c'est très intéressant, et à cause de l'état merveilleux des tentures : tu as remarqué les couleurs en effet

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  7. ANNE, Limoges est un peu loin pour voir cette expo, mais qui sait, si vous passez par Bordeaux, pourquoi pas ??
    MONICA, nous sommes des fidèles du Festival de Blaye, tu as raison... mais je t'avoue que cette année, nous avons tourné et retourné le programme dans tous les sens, et pas vraiment réussi à trouver une journée qui nous branche. Car quitte à se déplacer, on aime bien qu'il y ait trois spectacles. L'an dernier, nous avionsbeaucoup aimé les petites comédies de l'eau, assorties d'un pique nique absolument délicieux sur l'île nouvelle, mais le pique-nique a été supprimé et cela rend la journée moins sympa... en plus Alter travaille donc cela nous supprime pas mal de jours possibles. Bref, le sujet est encore en suspens...

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  8. Oui heureusement pour ceux qui n'auraient pu la voir à Rome et à Bordeaux il restera Paris aux Gobelins de juin à septembre 2012.
    Je ne sais pas si les tableaux ajoutés par les commissaires de Bordeaux hors catalogue seront à Paris,comme:

    Louis XIII remettant à Poussin le brevet de Premier peintre du Roi

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  9. Je garde un excellent souvenir d'une magnifique expo Poussin aux Galeries du Grand Palais, par contre les tapisseries ça c'est une belle découverte, on en voit très peu dans les expos

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  10. ALOÏS et DOMINIQUE, si vous avez le temps, vous pourrez la voir à Paris ... je pense qu'elle ne sera pas très courrue et que cela vaudra la peine d'y faire un tour

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  11. C'est vrai que ça vaut la peine d'être vue. Rien qu'en photo, on est surpris par la qualité des détails.

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