samedi 15 octobre 2011

AUBAZINE 2 LE CANAL DES MOINES



Lorsque, au Moyen Age, les jeunes gens à la vie un peu agitée (déjà !!) se trouvaient en mal de sens et s'interrogeaient sur leur devenir spirituel, il n'était pas rare qu'ils choisissent de devenir ermites. Certains s'intallaient dans des lieux inaccessibles, d'autres partaient au désert, ou dans des endroits reculés où ils cherchaient à fuir les tentations du monde. Ce qui ne les empêchaient pas d'avoir à se rouler parfois dans des buissons d'épines !! Ainsi Etienne qui, vers 1130, s'installe avec un compagnon en pleine forêt, vivant de peu et partageant leur temps entre prière et privations. Mais évidemment, de tels anachorètes intrigaient, séduisaient aussi, et rapidement de nouveaux disciples se joignaient à eux. C'en était alors fini de l'ermitage et, pour gérer ces nouvelles populations, il fallait choisir entre la joyeuse et austère contemplation du mystère divin, et l'organisation ! On créait des monastères. Et pour cela, il fallait choisir un lieu favorable, susceptible d'assurer la survie d'une population qui ne cessait de croître. On sait le rôle qu'ont eu les moines dans le défrichement des zones sauvages, la diffusion de l'agriculture et, d'une certaine façon la réorganisation des campagnes.


Ces installations, accompagnées de mise en culture de lieux sauvages, se faisaient, c'est une évidence, près de points d'eau. Les abbayes, dont on aime aujourd'hui les situations ombragées et fraiches, se sont construites dans des vallons, près de sources ou à proximité de points d'eau commodes. A Aubazine, l'affaire s'est révélée un peu plus compliquée : lorsque les moines de Citeaux vinrent, vers 1147, rendre visite au tout nouveau monastère dont Etienne avait demandé le rattachement à la maison mère de l'Ordre cistercien, ils jugèrent que le site, vu son développement humain, était insuffisamment pourvu en eau. Il fallait faire quelque chose, on ne pouvait continuer à être dépendant d'un torrent dévalant non loin de là, parfois avec fureur, et aux saisons sèches, avec un débit trop faible.

Les moines décidèrent d'opérer la capture bien en amont du monastère, à une altitude qui permettait à l'eau d'arriver jusqu'à l'abbaye avec l'abondance et la force requises, quelle que soit la saison. Cette prise d'eau fut décidée sur le torrent du Coyroux et installée à 360m d'altitude. Cela représentait un dénivelé de 70m par rapport aux bâtiments, et le lac de retenue prévu se sitait à plus de 1500m du monastère. Un modeste bassin de réception fut maçonné et délimité vers l'aval par une digue en moellons afin de répartir l'eau entre le torrent et le canal de distribution. Ce dernier, précédé d'une vanne (première photo) et d'un déversoir de crues, permettait de réguler les afflux vers l'amont. Peu profond, il progresse inlassablement à travers forêt et roches, une des réussites de l'opération consistant dans la parfaite étanchéité de son fond, afin que l'eau ne se perde pas en chemin.


Le canal, un véritable défi technique, déverse donc l'eau après une course d'un kilomètre et demi, avec une pente de 0,5%, très faible donc, mais sans à coup, et d'une régularité parfaite. Epousant les contours du versant rocheux et escarpé de la vallée du Coyroux, l'ouvrage d'art court le long des falaises, affronte des à pics qui ont conduit à construire de vrais aqueducs, en bâtissant contre la paroi un arc de décharge qui permet de faire passer le canal en encorbellement le long de la falaise. Ce sont les fameuses "picsines" (photo numéro 2 à gauche) qui constituent, avec le passageau travers de la roche de la brèche de Saint Etienne (photo numéro 2 au centre et à droite) les parties les plus spectaculaires de cet ouvrage.
Connu depuis longtemps, mais, grâce à d'importants travaux de remise en eau, consolidation et entretien, restauré il y a peu, le canal des moines est "ouvert" à la visite depuis l'été 2010 seulement. Cette "visite" se traduit par une délicieuse promenade en sous-bois ou le long des falaises arides de la vallée, on franchit quelques endroits très évocateurs comme ceux que j'indique ci-dessus, mais au total, ne vous attendez pas à  un "monument" insolite ou phénoménal. Ce travail de cheminenement de l'eau à raison d'un dénivelé de 5cm par mètre parcouru reste discret et modeste. Et pourtant terriblement efficace.
J'avoue que, lorsque j'ai appris la "réouverture" de ce canal, j'ai eu une envie folle d'y aller car cette idée de l'eau, captée, dirigée et mise au service des monastères, m'a toujours fascinée. D'imaginer ces hommes qui, à main presque nue, ont décidé, dans un coup de folie religieuse, par conviction, par amour du prochain, par bravade aussi, de construire des monastères dans ces lieux sauvages et souvent inhospitaliers, m'émerveille. Tant d'enthousiasme, cette volonté de franchir les obstacles, cette foi qui renverse les montagnes, creuse les roches et contourne les falaises, que voulez-vous, ça m'éblouit. Je les entends, je les vois en train de creuser leur canal, de surveiller la pente, de contourner les obstacles techniques, seulement désireux de réussir et de s'unir dans l'effort. Et je suis aussi éberluée quand je vois que leur réalisation a traversé les siècles. Nous laissant en témoignage, certes ces abbayes dont la beauté souvent nous subjugue encore, mais aussi d'autres traces plus modestes, mais nécessaires à la mise en oeuvre de leur projet fou !


Au retour de la promenade on peut bifurquer pour aller voir, dans la vallée, les ruines suggestives de l'abbaye de femmes. Etienne, ayant été réjoint par des hommes et des femmes dans son ermitage, conçu le projet de créer deux abbayes proches. Celle des femmes n'était pas, loin de là, la mieux placée ni la mieux servie. Elle ne bénéficiait justement pas de l'eau du canal et les soeurs étaient souvent soit à sec, soit envahies par les eaux du torrent Coyroux. Longtemps rattachées administrativement au couvent masculin, elles dépendaient pour leur survie, du bon vouloir des moines et les aléas rencontrés par l'abbaye principale ont eu, sur le monastère féminin, des effets parfois dévastateurs. Ce deuxième monastère connut ainsi bien des vissicitudes, et ce ne sont que des ruines évocatrices et imposantes qui s'offrent à notre contemplation, en peu en dehors d'Aubazine.



4 commentaires:

  1. Une bien belle image pour terminer ce billet...
    Bon dimanche à toi et... à cette ombre près de toi !

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  2. le canal est classé aux Monuments Historiques depuis 1966.
    L'eau a toujours coulé depuis sa création à Aubazine.
    Ce sont des effondrements qui avaient nécessité sa fermeture il y a quelques années.
    Un peu plus haut en allant vers Tulle on peut voir le lac du Coyroux autour d'un golf!!! qui retient le ruisseau puis le laisse se frayer sa route jusqu'à Aubazine

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  3. Bonjour, Michelaise.

    Moine ermite, moine magique...
    Tout est simple, finalement.
    Monastère et verdure vont si bien ensemble quand l'ombre tutélaire se reflète dans l'eau pure...
    Merci beaucoup, Michelaise.
    Bon dimanche.

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  4. Enfer et damnation, il a d'abord fallu que je tapote pour voir où se situait Aubazine, si le nom m'était connu j'étais incapable de le situer
    Après ce ne fut que du plaisir, lecture du billet, plaisir des photos

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