mardi 11 octobre 2011

METIER : SPECTATEUR

Quelle journée ce samedi 8 octobre pour notre vaillant Alter : levé aux petites heures, il s'est "clampé" devant l'écran mural qui nous sert de télévision quand s'agit de regarder un match de rugby. Super le système, l'équipement destiné à regarder des DVD "comme au cinéma" (et qui sert fort peu car on préfère aller au cinéma!) se transforme en stade dans les grandes occasions : Tournoi des VI Nations, finale du Top 14 et, bien sûr Coupe du Monde ! On est sur le terrain, on court le long de la touche, on plonge entre les poteaux et on ahane dans les mêlées. Très efficace pour éprouver les émotions du match en presque vraie grandeur et, du coup, Alter n'est pas fana des matchs "in situ" : on n'y voit pas grand chose dit-il !! Moi j'aime bien les matchs au Stade de France ou à Bordeaux ou à La Rochelle (oui, JE SAIS, La Rochelle n'est plus au Top 14, mais on va remonter, sûr !) parce qu'on vibre en grandeur réelle, le stade est une espèce de poumon géant qui retient son souffle au diapason, frémit, tremble, crie quand l'action est prometteuse ou dangereuse... bref, il y règne autre chose que dans un fauteuil !
Mais voilà que je m'égare : donc, Coupe du Monde oblige, et amour du rugby aidant, il était à pied d'oeuvre dès 7 heures, à jeun parce que ce mari délicat m'a attendue pour déjeuner, et il regardait le Pays de Galles battre l'Irlande. Il est ensuite venu me tirer du lit et en profiter pour avaler un petit déj' réparateur, et... en piste pour France Angleterre.


Un beau match ma foi, après que les journaleux en quête de sensationnel nous aient proclamé la défaite annoncée de notre vaillante équipe, cela faisait du bien. Aussi prompts à l'hallali qu'à l'encensement, les mêmes chattemites se sont plus, depuis, à chanter les louanges d'une équipe qui a remporté haut la main ce match contre des anglais qui sont, pourtant, des adversaires redoutables. J'imagine que les journalistes anglais ont repris, pour faire leurs papiers du lendemain, les articles de leurs collègues français à l'issue du match contre le Tonga. Car je suis toujours estomaquée par les excès langagiers, les recherches de responsabilité, les relents de règlements de comptes qui accompagnent les défaites, comme si perdre un match était inconcevable ! Or, si l'on raisonne en simple bonne logique, il y a 50% de risque ou de chance selon l'issue envisagée. Et une seule équipe gagnera la Coupe du Monde... faut-il pour autant pendre haut et court les entraîneurs du monde entiers et clouer au pilori les joueurs malheureux ? L'esprit de jeu est battu en brèche par un terrorisme de la réussite, qui s'alimente de sentences définitives, et se nourrit d'excès en tous genres. Il est naturel d'admettre la défaite, puisqu'on joue pour gagner. Et il est malsain d'en faire des affaires d'état, d'honneur national ou d'enjeux financiers trop importants.
Zut, je suis encore partie dans des digressions et m'éloigne du titre du billet ! Après ces trois heures intenses, un petit repas rapide, et nous avons foncé vers Bordeaux ! Non, non, pas pour Evento dont on parle beaucoup dans les salons, et qui est très tendance. Evento, on a donné une fois, et on n'a pas vraiment eu envie de recommencer. Pour Corneille. Deux pièces dont l'énoncé m'avait fait saliver quand elles sont passées au Théâtre des Abbesses
Alter tordait un peu le nez quand j'ai réservé cette cargaison d'alexandrins : 4 heures 30 de vers, avec les risques de massacre et d'ennui que cela suppose, et qui plus est, pour deux pièces totalement inconnues de nous. Mais moi, que voulez-vous, Corneille, ça m'excite toujours les oreilles et les méninges, je ne peux pas résister.

Et bien nous en a pris : les deux pièces très "actuelles" Nicomède et Suréna, qui se déroulent aux confins de l'Empire romain, en Orient, analysent l'ambivalence des rapports de domination que Rome entretient avec ses "alliés". Attirance et méfiance vont de pair, et si dans Suréna Rome vient d'essuyer une cuisante défaite, elle reste là, menaçante et redoutée. Partout c'est la même fascination pour le pouvoir et les lâchetés qui l'accompagnent. Dans Nicomède, traitée par Brigitte Jaques-Wageman comme une farce noire, la veulerie des protagonistes n'a d'égale que leur inépuisable prétention. A l'instar d'Attale, le frère finalement moins pourri que les autres et dont l'héroïne dit, avec un rien de mépris : il "... tremble à voir un aigle et respecte un édile".
Dans Suréna, la vilénie et la noirceur des personnages se dévoile insensiblement et de façon inéluctable, sous les horipeaux d'une certaine gloriole. Les héros, seuls, sont grands, purs et, forcément, sacrifiés. Tout cela dans une langue qui est, à la dire et l'entendre, une vraie gourmandise : ciselée, ouvragée avec précision, lumineuse et toujours audible. D'autant que ces textes superbes étaient servis par une troupe impeccable, respectant les césures, les diérèses et ne zappant aucune liaison. Tout en restant parfaitement naturels : une gageure ... essayez donc de lier "elle croit seulement qu'il n'est pas de son sanG Et croit que ce présent, par un miracle étrange..." en donnant un résultat compréhensible et pas trop affecté !!!  Avec une mention particulière à Bretrand Suarez-Pazos qui tient les deux rôles titres avec panache. Voix superbe, diction irréprochable, jeu précis et raffiné, il a un sens de la scène que pourraient lui envier bien des noms "connus" qui font courir les foules au simple bénéfice d'une peopolisation qui n'est pas nécessairement gage de qualité (petit coup de griffe aux spectacles qui se vendent sur un nom "consacré", dont le propriétaire n'est pas toujours, loin s'en faut, un acteur digne de ce nom. On va voir untel ou unetelle, même pas un texte, encore moins un metteur un scène et le théâtre n'a rien à y gagner, sauf des salles combles et souvent peu connaisseuses).

Les deux pièces s'articulaient autour d'une immense table posée de biais, comme une diagonale entre le bien et le mal, entre le vice et la vertu. Ce dispositif aurait pu être artificiel, mais au contraire, permettant des mouvements de scène naturels et bien orchestrés, il animait le texte de Corneille (c'est fou ce que l'on peut faire avec une table ! boire, manger, lire, l'enjamber, s'y asseoir, la couvrir, la découvrir...) sans le dégrader et sans détourner l'attention des mots. Photos interdites pendant le spectacle !

Des acteurs tragiques mais au quotidien, sans occulter la grandeur des vers cornéliens, jouant et se déplaçant avec naturel, bref un vrai bonheur. Aidés en cela par une mise en scène au cordeau, respectueuse du texte, de l'esprit et du sens, mais inventive sans dénaturer les vers. Une mise en scène contemporaine dans les deux cas, évocatrice de toutes les époques qui bafouèrent la dignité humaine au nom de la passion pour le pouvoir, et osant rajouter quelques traits à la lettre, mimiques, gestes évocateurs, mais sans jamais trahir Corneille. Une mise en scène au service de l'auteur, mais rendant présents au spectateur du XXIème siècle les états d'âme de ceux d'il y a trois cents ans (bientôt 400 !). Bref, un nom à retenir que celui de Brigitte Jaques-Wageman, sans doute reconnu puisque  ces deux pièces ont déjà été présentées au Théâtre de la Ville/Les Abbesses.
Alter, ravi de sa journée et les mirettes encore éblouies d'essais, de poignards et d'envolées diverses, me déclarait au soir : "Finalement, un match de rugby, c'est Cornélien. Pas de fatalité à la Racine, il y a un vainqueur et un vaincu, et le combat est rude" !! Dans un sens il a raison, et de plus, le théâtre est vraiment affaire de groupe, de travail d'équipe et une pièce réussie est celle dans laquelle la cohésion entre acteurs, auteur et metteur en scène est parfaite. Dans les deux cas on est reconnaissant à l'équipe qui a "mouillé le maillot" de tout le plaisir qu'elle nous a donné.

8 commentaires:

  1. Oui au grand écran ! quel plaisir de regarder hier soir la retransmission, de l'opéra il n'y a que pour les ballets que ça reste encore trop petit. Aller à un spectacle à Bordeaux devient un peu difficile, le retour est pénible l'hiver, ah ces vieux qui n'y voient plus pour conduire la nuit ! nous étions à un concert la semaine dernière La 5eme de Mahler dans le cadre somptueux que tu dois connaître ! Je dirais passable sans le frisson qui fait tout le plaisir de l'écoute.

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  2. :) Toujours un plaisir de te lire (belle plume en tous cas pas assassine), sinon ma p'tite Mimi...moi j'aime beaucoup Marc Lièvremont et je me sens très proche de lui...question caractère...j'ai eu l'impression de me voir dernièrement...je n'ai rien dit et c'est une copine qui m'a dit en se marrant : "....tu dois bien l'aimer lui....on dirait toi" maintenant je me tais mais mon regard en dit plus long ;)) Bises

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  3. Bonjour, Michelaise.
    Corneille, le rugby et Alter...

    Le tout harmonieusement mélangé et avec délicatesse...

    Merci beaucoup.
    Bonne jopurnée.

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  4. Frisson nécessaire Robert, particulièrement pour Mahler... sinon on n'a pas envie d'avaler des kms !! on est difficile quand il faut se déplacer de loin !
    Chic, sosie de Liévremeont, pourquoi pas ??? Avec ou sans moustache ??? tu sais mon petit chic combien les "parures pileuses" de ces messieurs m'intéressent !!! alors savoir si tu en as une ou non, c'est primordial !!!
    Herbert, comme tu le soulignes, on fait un peu dans le "divers" !!!!

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  5. Non non juste un trait de caractère, tu sais son fameux "tu m'emmerdes avec tes questions" et le "Et ben il faudra que tu te contentes de ça..." la suite aussi mais c'est mon gros défaut "Décidément tu me cherches toi" :))) C'est ensuite le regard noir qui a fait que ma copine (qui n'aime pas ça) m'a dit ça :)) Moi je crois que ça doit être comme moi un très gentil garçon :)) Mon meilleur ami m'a dit un jour "T'es un mec droit en amitié...on sent qu'il faut faire très attention". Question poil (sans transition), je suis poilu (c'est comme ça) mais les filles ne me laissent plus me laisser pousser la barbe. Quand je l'avais mon père m'appelait D'Artagnan :)) Bisou

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  6. un plaisir de retrouver ce beau spectacle vu à Tours de mon côté, j'en garde aussi un excellent souvenir!

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  7. j'ai pris beaucoup de plaisir aussi à voir ce Surena à Tours, j'en garde un excellent souvenir!

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