lundi 13 février 2012

JAMAIS BLASÉE... ou Ruy Blas et sa modernité


A l'entracte, les adolescents venus en masse écouter la pièce, sans doute sur l'injonction de leurs profs de littérature,  se sont précipités dehors, et la moitié d'entre eux cliquetait sur les portables tandis que l'autre moitié discutait ferme. Il fallait avoir du courage comme cette jolie brunette pour dire que cela vous avait plu : les railleries fusaient, les sarcasmes pleuvaient et tous manifestaient bruyamment leur désapprobation. Rien compris, un blabla qu'on n'avait pu écouter, trop nulles ces histoires, pas pu suivre, ridicules ces roucoulades... bref, tous disaient "on se tire" et appelaient parents et amis à la rescousse pour les tirer de ce mauvais pas. Pourtant ils avaient l'air très BCBG ces petits jeunes, le look rassurant du bon élève "propre sous le nez", mais pour eux, trop c'était trop et Victor Hugo, manifestement, c'était dépassé. Et pourtant, si l'on en croit le forum où parfois l'insulte vole bas contre ceux qui réclament de l'aide sans faire montre d'un réel effort (Feignasse, va, c'est à cause de gamines comme toi que la Culture se meurt.... Un peu moins de Secret Story, et un peu plus de littérature, ça te fera pas de mal....), les profs de français aiment ça, Ruy Blas ! Cela nous donne "en quoi le héros du drame romantique Ruy Blas peut-il selon vous susciter l'admiration ? " à moins que ce ne soit "Le portrait antithétique de Salluste et de Ruy Blas". Et l'on se précipite à peine sorti de cours, sur son petit écran pour appeler la toile à l'aide !
Édifiants ces forums pour "tâter" de l'esprit des jeunes, on y croise même parfois le prof en embuscade (cliquez pour agrandir, c'est savoureux... la jeune Mi 83 deviendra-t-elle finalement fleuriste, Monsieur Laurent n'ayant pas l'air de croire beaucoup en elle !!) :


Je vous sens nerveux, où veut-elle en venir Michelaise avec ses escapades sur les forums ados ? Je voulais voir ce qu'ils en pensaient, les jeunes, de Victor Hugo. On leur donne des sujets pointus "En quoi la pièce Ruy Blas illustre-t-elle la théorie du drame romantique?" et les jeunes potaches nous proposent comme plan :
I) Ruy Blas écrit en .. pendant le mouvement du romantisme... Refus de la bienséance, de la règle trois unités...
II) Plein de contraste comme le voulait le romantisme : Tragédie/Comédie Sublime/Grotesque (Noblesse/Pauvreté ?)
III) Entièrement dédié au personnage de Ruy Blas... héros romantique.
Pas si mal, me direz-vous, tout y est, ou presque ! Faut pas désespérer de la jeunesse ! D'autant que les valeureux défendeurs de la littérature sont convaincus que le discours du maître reste moderne : de ceux qui s'extasiaient l'été dernier sur l'à propos de la tirade d'ouverture prononcée par DSB (entendez Don Salluste de Bazan)

« Ah ! C’est un coup de foudre ! ... — oui, mon règne est passé,
Gudiel ! — renvoyé, disgracié, chassé ! —
Ah ! Tout perdre en un jour ! — L’aventure est secrète
Encor, n’en parle pas. — Oui, pour une amourette,
— chose, à mon âge, sotte et folle, j’en conviens ! —
Avec une suivante, une fille de rien !...
... à ceux qui aiment encore à dire et entendre la célèbre apostrophe qui n'a pas pris une ride et qui illustre fidèlement toute activité "politique" tant soit peu installée :


   
Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !
Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !...
Quant à moi, je l'avoue, comme la courageuse jeune fille qui bravait les moqueries de la foule de ses copains en partance vers d'autres plaisirs alors qu'elle revenait se plonger dans le drame hugolien, j'ai une gourmandise intacte pour les vers de notre grand poète. Je l'accorde, le propos est parfois lourd et long, il demande énergie et attention pour être démêlé et dégusté à point, mais il est si élégant, tellement bien ciselé que c'en est, de l'entendre, un bonheur toujours renouvelé. Oui la pièce est par trop romantique, les intrigues y frisent même parfois le ridicule et pourtant... l’héroïsme y règne en maitre et le sacrifice s'y impose comme la seule issue, sublime ! Et le tissu des vers me ravit et me charme à tout coup.


D'autant que la mise en scène de Schiaretti, dont nous sommes décidément des inconditionnels, est lumineuse, claire, lisible et chatoyante. Courageux pourfendeur des tendances modernes, de celles qui vénèrent le spectaculaire, le clinquant, l'inutile pour se faire mousser, les écrans vidéos immenses ou les échafaudages qu'on trimbale avec force vociférations, il nous offre un plateau splendide, un décor d'azulejos éclatants, un peu ébréchés mais pourtant somptueux, et une sobriété qui fait la part belle au verbe et aux mots. Schiaretti fait irradier le texte, structurant l'espace de lumières cruelles, de fenêtres évocatrices et de portes secrètes. Le décor écrase les acteurs, pauvres pantins aux mains d'un ambitieux blessé qui a décidé de détruire pour se venger. Les acteurs sont éblouissants, tous différents : de Robin Renucci, nouveau directeur des Tréteaux de France, qui accentue avec énergie un côté diabolique mais jamais excessif, au jeune Nicolas Gonzales, qui campe Ruy Blas avec une diction particulière et tellement moderne : parfois sa voix se casse d'émotion, parfois il laisse traîner une fraction de seconde de trop la dernière syllabe de chaque vers, sans dénaturer le texte ni virer à la déclamation. Quant au Don César de Jérôme Kircher, il dépoussière l'alexandrin avec un talent qui lui permet toutes les audaces, il slame, il bredouille et on est conquis. 
Et des audaces, des interprétations, il y en a dans cette mise en scène, sans y toucher, sans provoquer, mais sans jamais falsifier la pièce. La reine qui fuit lâchement lorsque Ruy Blas se meurt, César en voyou dont les pitreries sont là fort à propos pour détendre l'atmosphère, tout est bon pour le metteur en scène : il a décidé de faire entendre et aimer ce mélodrame que d'aucuns pourraient juger démodé, et il a réussi. La tournée des Tréteaux de France, "notre" théâtre, celui qui vient à nous sous chapiteau ou dans des salles des fêtes peu coutumières des alexandrins, permettra à tous d'en profiter et je ne saurais trop vous inviter à y courir !! Quant à Hugo, croyez-moi, il a encore de beaux jours devant lui, même si les ados n'ont pas encore "accroché", ils comprendront demain ce que ces mots célèbrent !

10 commentaires:

  1. Michelaise, je comprends votre double enthousiasme à la lecture de Ruy Blas puis en assistant à un spectacle destiné à lui redonner vie avec tant de talent. L'état de nos adolescents n'est sans doute pas une totale catastrophe tant qu'il en restera quelques-uns qui sauront apprécier (choyons-les!) et - c'est mal de dire cela - parfois je me demande si la volonté d'une "culture de masse" est une si bonne chose. Ne trouve-t-on pas ce qu'on se donne la peine de rechercher ? Je pose la question, je n'y réponds surtout pas...
    Anne

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    1. Il en restera quelque chose, c'est certain, et ce qui était important c'est qu'une, fusse une seule, jeune fille ait été séduite !!! d'autres l'étaient aussi mais n'osaient pas l'avouer

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  2. Sans aucun doute une réflexion profonde pour attirer les nouveaux jeunes à la rencontre de ce patrimoine littéraire.
    Difficile en effet pour les malheureux et courageux professeurs de français qui ont été formés à cette rhétorique,et doivent l'enseigner à une masse élevée au verlan ou autre "dialecte"...
    Nous avons connu cela dans nos "humanités", il est vrai parfois avec ennui car cela n'était pas encore à notre portée, vu "l'âge naissant".
    J'y reviens souvent à ces longues tragédies, et la connaissance élargie par le temps, la lecture, la connaissance emmagasinée, je savoure de mieux en mieux.
    Cependant ne baissez pas les bras jeunes enseignants, il ne faut pas voir disparaitre ces trésors des temps anciens, c'est tellement plus facile de toignorer.
    Jeunesse en herbe tu auras besoin plus tard de ce bagage, pour pouvoir argumenter de tes choix persos!

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    1. J'espère que, d'avoir vu la pièce, si bien jouée et surtout parfaitement mise en scène, laissera des traces dans les mémoires... même si certains flambaient en disant n'avoir pas aimé et d'autres n'osaient tout simplement pas se démarquer : pas facile à 15 ans d'avoir un avis différent de celui des copains.
      Et c'est vrai que plus on les entend, plus on les aime ces vers !!

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  3. Bonjour Michelaise. Quand j'ai "ouvert" le premier extrait, j'ai cru -vu la longueur- que je n'irai pas au bout et en fait, non seulement je l'ai écouté et regardé, mais j'ai été déçue lorsque cela s'est arrêté.
    Qu'il s'agisse du premier extrait ou du second, j'admire ces grands acteurs qui disent si bien les alexandrins qu'on en oublie qu'il s'agit de vers...
    Je comprends aussi bien ton engouement que le " désintérêt " des jeunes. Tout ceci est tellement inhabituel pour eux et ce n'est pas facile à aborder. Il faut une sacrée préparation en classe pour qu'ils adhèrent à ce style qui n'est pas le leur.
    Les échanges sur le forum à propos de la dissert sont vraiment savoureux. Ça valait le coup d'agrandir la page pour lire ce que disent l'élève et le prof...
    Bonne journée à toi :-)

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    1. Je suis ravie que tu aies écouté et aimé, jusqu'à la fin ces extraits, preuve s'il en est qu'on a encore envie de les entendre ces vers hugoliens
      Ah ces forums, une vraie mine !!! c'est parfois très drôle en effet...
      C'est inhabituel pour les jeunes, un ton et des valeurs qui les surprennent, mais l'important est que certains, même rares, aient aimé ! et puis, des jeunes qui font du théâtre, il y en a vraiment beaucoup !

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  4. Bonjour, Michelaise.

    Il eût fallu être bien sot pour imaginer que tu fusses déçue...
    Bien sot pour se convaincre le maître de convaincre ses élèves pour être en harmonie avec ces alexandrins.
    Mais qu'allaient-ils faire dans cette galère, ces jeunes qui savent à peine conjuguer le verbe aimer ?
    Et il faut être bien sot pour faire disserter sur un thème qui ne se découpe pas en rondelles...

    Ces vers restent immortels.
    Les jeunes changent au gré de la vague culturelle.

    Merci beaucoup.

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    1. Il faut en effet, surtout actuellement où le langage de Victor Hugo véhicule des notions qui sont si loin de nos préoccupations, être préparé pour apprécier. Quant aux sujets des dissertations, tu as bien senti que mon approche était septique !!!! tant d'ambition si loin des réalités d'appréhension réelle : résultat, ils font du "copié-collé" des vagues renseignements glanés sur le net. Étonnant que ceux qui "pondent" de tels sujets s'en offusquent !!!

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  5. J'arrive un peu tard, mes obligations de prof de lettres, justement, m'ayant retenue. Je préciserai d'emblée une petite chose : je suis de l'autre côté de la grande mare, et cela fait certainement une grande différence.

    La France a en effet une culture qui s'appuie sur des siècles de fréquentation et d'enracinement. C'est probablement le pays où elle sera le plus longue à disparaître.

    Au Québec, je ne me fais plus d'illusions depuis un bon moment déjà: lorsque le hasard informatique fait que je retrouve les mêmes étudiants à deux sessions d'affilée, les questions que je leur pose pour faire un lien avec ce qu'ils ont vu quelques mois, voire quelques semaines plus tôt, me montrent bien qu'ils ne retiennent rien, et je crois que ce n'est pas uniquement lié à leur âge.

    La fragmentation de l'attention liée au monde d'hyperconsommation dans lequel ils sont plongés depuis le berceau empêche la rétention des informations dont ils sont constamment bombardés et dont ils n'ont jamais appris à faire le tri. La plupart des gens que je fréquente à travers les blogs ont reçu une formation qui me permet de constater qu'ils ont la "tête bien faite" que préconisait Montaigne. C'est la seule chose qui nous permet de résister aux sirènes de l'éparpillement et encore... il ne faut pas que la fatigue se fasse trop sentir.

    Je crois que nous sommes vraiment à un tournant de civilisation. La civilisation de l'otium que supposaient la lecture patiente et l'assimilation progressive des grands textes est en voie de disparaître. La seule chose qui me rassure, c'est que je suis maintenant assez vieille pour espérer ne pas voir son total déclin...

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  6. Aucun rapport. J'ai regardé " Cadmius et Hermione" sur la 2, je l'avais enregistré. Un vrai bijou. Me suis régalée: interprétation à l'ancienne, qualité des chanteurs, costumes, chorégraphies, mise en scène. Donné à l'Opéra Comique par "Le Poème Harmonique".

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