LE VAL DE NOTO : FESTIVAL BAROQUE

Article à "lire" en diaporama" : n'hésitez pas à cliquer sur la première photo, les autres suivront !

Le 11 janvier 1693, un tremblement de terre d'un intensité égale à 7,4  de l'échelle de Richter a secoué la Sicile, et plus particulièrement la région du Sud-Est, appelée le Val de Noto. Le séisme a provoqué la destruction de plus de 45 villages, s'étendant sur 5600 km2 et provoquant un total de 60.000 victimes. Il semble qu'un premier choc avait été ressenti le 9 janvier, mais si les bâtiments furent sérieusement endommagés, il y eut peu de blessés et on avait, ce dimanche matin, l'illusion que tout était fini. Pourtant dès le matin la terre trembla et le choc fut terrible et destructeur. Les répliques, encore plus fortes, aggravèrent les dégâts. On dit qu'elles durèrent deux ans !

Le plus grand nombre de décès fut enregistré dans la ville de Catane où 16.000 personnes sur 20.000 disparurent. A Raguse, ce sont environ 5.000 morts pour 9950 personnes, à Lentini sur 4 000 pour 10.000 habitants, à Occhiolà (l 'ancien Grammichele) où vivaient 2.910 personnes, 52 % ont péri. Syracuse affiche environ 4.000 victimes sur 15.339 habitants,  Militello quelque 3.000 victimes pour une population de près de 10.000. Tous les autres centres ont été  décimé de 15% à 35% ... Tous ces noms, ce sont ceux des villes que nous avons parcourues, pour y suivre les traces de la reconstruction qui parfois, a duré des siècles.Ce sont les villes du "baroque tardif", baroque à son apogée, exubérant et théâtral, inventif et opulent, comme s'il fallait, par la magnificence des nouveaux bâtiments, effacer les souvenirs du drame qui avait endeuillé la région.

Huit villes du sud-est de la Sicile -- Caltagirone, Militello Val di Catania, Catane, Modica, Noto, Palazzolo, Raguse et Scicli -- ont toutes été reconstruites après 1693, sur le site ou à côté des villes qui s'y dressaient avant le tremblement de terre. Elles représentent selon l'Unesco, "une initiative collective considérable, menée à terme à un haut niveau architectural et artistique. Globalement conforme au style baroque tardif de l'époque, elles représentent des innovations marquantes dans le domaine de l'urbanisme et de la construction urbaine. Offrant un témoignage exceptionnel du génie exubérant de l’art et de l’architecture du baroque tardif, on a considéré qu'elles représentent l’apogée et l’épanouissement final de l’art baroque en Europe." L'homogénéité géographique et chronologique, ainsi que dans le foisonnement de l'inspiration qui s'y déploie, ont décidé l'UNESCO à les inscrire au patrimoine mondial. Il s'agit aussi de les protéger car elles sont placées sous la menace constante des risques de tremblements de terre et des éruptions de l’Etna.

Quel thème de voyage rêvé donc que de suivre, de comprendre, de lire et de visiter cet ensemble d'urbanisme "moderne", avec les variations d'interprétation pensées par les architectes qui en furent les artisans. Nous en avons vu 6 sur 8, voulant aussi consacrer un peu de temps à Syracuse et ne disposant que d'une dizaine de jours. Mais cela nous a permis de bien appréhender cette reconstruction, d'avoir nos préférences, et d'apprécier pleinement le baroque dans sa splendeur !

CALTAGIRONE a gardé un urbanisme complexe : reconstruite au même endroit, on y perçoit un lien assez net entre les périodes antérieures et postérieures à 1693. Ses monuments s'inscrivent dans un cadre urbain dicté par la configuration du site, un peu comme on le faisait au Moyen Age.

Malheureusement ces "m’panatigghi" proviennent d'une photo prise sur le net : j'ai même trouvé la recette ! Elle contient bien de la viande...

MODICA à l'inverse, est formée de deux centres urbains, dont le plus ancien est perché au sommet d'un éperon rocheux, tandis que le plus récent a été reconstruit en contrebas après le tremblement de terre, avec des monuments imposants. Ayant malencontreusement décidé d'y aller un samedi soir, nous n'avons pas pu aborder la ville haute, tant la foule d'italiens y était dense : on a donc dû, l'âme en désespoir, renoncer à la dégustation des pâtisseries fort originales* qui font sa réputation !

MILITELLO VAL DI CATANIA présente une riche architecture remontant au XIV^e  siècle et un remarquable plan urbain du XVII^e  siècle contenu dans une enceinte, antérieur au tremblement de terre, et qui était alors à l'avant-garde pour les villes féodales de Sicile ; ce plan fut fidèlement respecté lors de la reconstruction postérieure à 1693, d'autant que certains monuments ont survécu au séisme.

RAGUSA, l'antique Ibla, est construite sur trois collines séparées par une profonde vallée. Le passage de l'une à l'autre est parfois vertigineux et maintenant, la ville est formée de deux centres, l'un reconstruit sur la vieille ville médiévale et l'autre, la Raguse supérieure, construit en ex novo après 1693. On y trouve un nombre impressionnant d'églises et de palais foisonnants de décors luxuriants.

NOTO s'étage aussi sur deux niveaux : la partie supérieure s'étend sur le plateau, et la partie inférieure, sur la pente en contrebas, est la plus récente. C'est là qu'on trouve les édifices de la noblesse et les complexes religieux du XVIII^e  siècle. Topographie, plan et architecture s'y combinent pour créer une scénographie baroque spectaculaire, qui est sans aucun doute une de nos endroits préférés.

La dernière ville, qui nous a particulièrement séduits, est SCICLI. Ponctuée d'églises superbes, elle s'orne aussi de palais particulièrement ornés et savants. Tout au long du chemin qui relie la ville à sa partie haute, on trouve encore des habitations troglodites dans lesquelles les habitants, marqués par le séisme et encore apeurés, ont vécu jusqu'en 1960. Ce qui fait de Scicli la jumelle de Meschers !!! Enfin côté grottes... car le baroque, tardif ou pas, n'est pas très courant sur l'estuaire ...

Il faudrait consacrer à chacune de ces villes bien plus qu'un bref descriptif : on s'y sent tellement bien, une profusion de pierres blanches, un sentiment diffus de victoire sur les éléments, et pourtant une fragilité toujours à fleur de ciel ! L'Etna est là, superbe, inquiétant aussi... Et surtout, cette unité urbanistique, cette homogénéité de styles, d'une ville à l'autre, à quelques kilomètres de distance, font de ce baroque tardif en Val de Noto un itinéraire passionnant, attachant et qui mérite plus que le détour : il faut y séjourner, pour découvrir doucement, au rythme de ces rues en pentes folles, de ces places étroites et de ces palais dont la façade se devine plutôt qu'elle ne s'étale, cette terre d'art et d'urbanisme, riche du talent de ceux qui l'ont reconstruite !

* les "m’panatigghi" c’est-à-dire de petits gâteaux fourrés à la viande et au chocolat; les "liccumie", des gâteaux fourrés aux aubergines et au chocolat; le chocolat à la vanille et à la cannelle, préparé  nous dit-on, selon une recette aztèque originale; les "riposti" (petits gâteaux aux amandes); les "aranciate" et les "cedrate" (resepctivement aux zestes d'orange ou de cédrat) et les "nucratoli", figues séchées, amandes, confiture de coing et miel... Imaginez un peu le courage qu'il nous a fallu pour renoncer à tout cela pour cause de réunion électorale ! Heureusement nous étions en fin de voyage et déjà tellement gavés de douceurs qu'on a réussi à se faire une raison, celle de la balance !!!