Au Petit Palais, endroit délicieux s'il en est pour se livrer à "l'art" de la visite, une exposition ratée lors de notre précédent séjour nous a offert sa magie délicate. Poèmes de Cristal, dont seul le titre est une promesse, présente une cinquantaine de verreries Art Nouveau, toutes plus inventives les unes que les autres. Toujours éblouissants, les vases de Gallé, Daum, Tiffany, Lalique qui enchantaient nos ancêtres au début du XXème siècle, sont complétés par des acquisitions récentes : un vase néo-grec de Baccarat (bof, bof !!), une lampe de mosquée de Brocard, un pichet de Bracquemond, un vase de Décorchemont, des verres de Marinot à décor émaillé...
L'exposition mérite d'autant plus son titre qu'on y admire des verreries parlantes de Gallé qui aimait particulièrement ajouter sur ses créations des poèmes dédiés au destinataire de l'objet. Ainsi le vase "Marguerite" qui lui fut commandé en mars 1896 par la comtesse Henri Greffulhe, pour l'offrir en cadeau de noces à la princesse Marguerite de Chartres qui épousait le duc de Magenta. Le poète Robert de Montesquiou, cousin de la comtesse, composa spécialement un quatrain qui fut gravé sur les parois du vase. D'autres poèmes ponctuent cette exposition, par exemple ces vers de Victor Hugo.
Parmi mes vases préférés, ce Daum Frères, Vase “scarabée”, vers 1911, cristal à plusieurs couches, décor gravé à l’acide, avec son insecte couleur céladon en application, le Vase “Ginkgo” de François Décorchemont, 1913, pâte de verre, et cet éblouissant Gallé de 1898, véritable mosaïque laiteuse et translucide.
L'autre exposition qui se déroule actuellement au Petit Palais est consacée à un peintre décorateur dont je n'avais personnellement jamais entendu parler et qui a été pour moi une véritable découverte. José Maria Sert est né à Barcelone en 1874 et il est mort en 1945. Un artiste qui ne se pose pas en peintre introspectif ou en génie torturé, cherchant l'inspiration dans une intériorisation bienséante. Sert, le Titan à l'Oeuvre, fait un art de spectacle, un art de mise en scène, pour le plaisir du spectateur. C'est un grand décorateur qui ne se cache pas d'admirer Tiepolo, Tintoret, Véronèse, Piranèse ou Goya : il en joue au contraire avec un talent de réinterprétation très personnel, très inventif, et ses influences baroques ou classiques sont autant d'atouts dont il fait son miel. Son style, nullement influencé par les mouvements avant-gardistes de son époque, n'a eu aucune postérité mais il est indéniable. Je pense qu'un décor de Sert est, dès lors qu'on a visité cette exposition, aisément indentifiable tant il est authentique. Il développe une iconographie très imaginative, colorée et vigoureuse, parsème son oeuvre de thèmes récurrents comme les ballons ou le fameux Titan, mais se renouvelle sans cesse et construit des mondes luxuriants et subtils qui donnent à rêver.
Comme il a surtout peint des décors pour de riches milliardaires, soit dans leurs salons, soit dans des lieux publics (comme le Rockefeller Center), il était difficile aux commissaires de l'exposition de décrocher ces fresques et de les transporter à Paris. Au début de sa carrière, il réalisa pas mal de ses commandes sur des paravents, afin que ceux qui les avaient achetés puissent les garder en cas de vente de l'immeuble pour lesquels elles avaient été faites. C'est ainsi qu'on est accueilli dans l'exposition par une époustouflante pièce, un monde clos foisonnant de couleurs et de vie qui décrit les 4 continents (oui je sais il en manque un !!) et les 4 saisons, peint pour une salle à manger et qui égrène des scènes à la fois lyriques et très modernes. On admire en fond de l'hiver, peint en 1919, les premiers buildings new-yorkais qui viennent contredire le côté très baroque de l'oeuvre. D'autres panneaux, très colorés ou mordorés, émaillent l'exposition en donnant une vraie connaissance de ce peintre des grandes dimensions : des dizaines de mètres de panneaux de plus de 3,5m de hauteur, autant dire qu'il est quasi impossible de les décrire, et plus difficile encore de les montrer en photo ! Il faut y aller.
Par ailleurs, les organisateurs de l'exposition ont patiemment et intelligemment reconstitué le travail en atelier de l'artiste, travail qui était particulièrement minutieux et complexe. Il a beaucoup utilisé la photographie pour préparer ses compositions, un peu comme des esquisses ou des croquis. Au début, il faisait poser des modèles vivants, dans des positions incroyables, et la photo lui permettait de saisir l'instant, la vivacité d'un geste, la fragilité d'un équilibre.
Puis il acheta une impressionnante collection de santons napolitains, qu'il habillait, mettait en scène, tordait en tous sens pour leur donner l'allure du mouvement. Ensuite, il prenait ces scènes en photo, les mettait au carreau et réalisait ses premières peintures. D'abord à petite échelle, il les insérait dans des maquettes de la pièce à décorer pour juger du rendu global. Cela nous vaut une série impressionnante de décors de taille réduite mais très précis, qu'on peut visiter un peu comme des maisons de poupée.
Plus tard, il remplaça ses santons par des modèles de bois articulés, auxquels il faisait subir les mêmes torsions avant de les représenter "vivants". Autant dire que ces "croquis", mis en parallèle avec les photos qui ont servi à les réaliser, constituent une étude absolument passionnante du travail de l'artiste. On y voit l'évolution de son style, on découvre des oeuvres qui, malheureusement, ont été détruites (comme la première cathédrale de Vic, abattue et incendiée en juillet 1936 et refaite plus tard par Sert à la fin de sa vie), on y comprend le renouvellement de son inspiration.
Une exposition qui dure jusqu'au 5 août et qu'il ne faut pas hésiter à aller voir car c'est une occasion unique de comprendre ce peintre d'une certaine démesure, un baroque exubérant et viril, moderne et pourtant pétri de culture classique, un monde qui fait rêver et qui incite à l'évasion de l'esprit. Un peintre mal aimé parce qu'il ne fit rien de révolutionnaire, qu'il peignit pour les milliardaires et qu'il fut trop à la mode de son vivant pour se tisser une réputation d'artiste maudit. De plus son oeuvre ne peut normalement se voir qu'in situ, et il y a des décors partout dans le monde ce qui n'est guère commode, ou elle reste cachée chez des particuliers. Le musée du Petit Palais a donc, avec cette exposition, fait oeuvre particulièrement originale et instructive et ce tour d'horizon moitié grandeur nature, moitié atelier, permet d'apprécier pleinement José Maria Sert. Et qui sait, donne envie d'aller à Vic voir sa dernière composition ... à défaut du Waldorf-Astoria, du Rockefeller Center ou de la Grande salle de la Société des Nations à Genève ! C'est du moins ce que propose la municipalité de Vic qui a judicieusement posé des prospectus pour inciter à venir visiter sa cathédrale, à la sortie de l'exposition !!
J'aime beaucoup ce musée, rien que pour la collection permanente (gratuite!) et le lieu, alors quand en prime l'expo temporaire est de qualité, le bonheur!
RépondreSupprimerOh oui, ce musée est calme, bien agencé et les expos temporaires y sont toujours intéressantes et originales
SupprimerDeux expos en une!
RépondreSupprimerSuperbe ce Gallé translucide.
Quant à Sert j'ai rencontré son nom maintes fois dans mes lectures autour de Picasso, Cocteau, Misia...mais je n'avais jamais eu la curiosité d'aller voir ses décors, je ne verrai pas cette expo mais votre compte-rendu est très explicite.
En effet Miss Lemon, et le tout dans un musée fort intéressant comme le souligne Eimelle. J'avoue, en ce qui me concerne, que je ne connaissais pas Sert et que j'ai beaucoup aimé découvrir en grandeur presque réelle, ou en grandes maquettes, son oeuvre peint.
SupprimerMais il est adorable ce José Maria Sert... on y retrouve en effet d'échos de Tiepolo (et du Giulio Romano de Palazzo Te à Mantoue aussi, peut-etre?), en tout cas une découverte surprenante.
RépondreSupprimerQuant à ces verreries Art Nouveau, j'aime bien ce genre d'objets... elles sont superbes
(des vers de Victor Hugo je n'était malheureusement capable de déchiffrer que les mots "vallée" et "palpitants")
Et oui, Siu, y a du Tiepolo dans l'air ! J'aurais dû noter les vers de Victor Hugo car je ne peux malheureusement pas t'en dire beaucoup plus
SupprimerEn voisine j'y suis allée plusieurs fois
RépondreSupprimerIl me semblait que ses oeuvres de Vic avait été détruites durant la guerre civile espagnole?
J'ai pu participer à une des journées organisées en collaboration avec Carnavalet autour de la salle de bal Wendel
Je te conseille Misia La vie de Misia Sert chez Folio,elle est enterrée tout près d'ici à Samoreau , elle est la princesse Yourbeletieff dans A la Recherche du Temps perdu
Misia a été peinte par Vuillard et Vallotton sous le nom de Misia Natanson
Les oeuvres de Vic ont, en effet, été détruites pendant la Guerre Civile mais, après la guerre, on lui a demandé de les refaire, et il les a refaites, différentes des premières. Ce fut un peu sa dernière oeuvre monumentale et il a juste pu assister à leur inauguration. Cette malheureuse Misia a l'air, en effet, d'avoir eu une vie fort romanesque, j'ai l'impression que les Sert étaient les "people" de l'époque !
SupprimerJe dépose le plumeau un instant : y'en a marre!
RépondreSupprimerAvant de convertir l'églsie Erskine and american en nouveau pavillon de l'art canadien, l'équipe du Musée des Beaux-Arts de Montréal a organisé une exposition autour de Tiffany, ce qui nous a permis de voir, à portée des yeux, les superbes vitraux qui ornent cette église. J'ai été charmée par la superposition des plaques de verre qui crée l'irisation. S'ajoutent évidemment à cela les diverses techniques de travail du verre. Des lampes et de très beaux vases complétaient l'exposition.
En ce qui concerne Sert, j'ai rapidement vu quelques-unes de ses oeuvres au Rockfeller, mais je m'y attarderai davantage au prochain voyage, car la cinquième avenue un 25 décembre, c'est un endroit à fuir. Je note tes commentaires et la référence de Françoise.
Une petite question technique en terminant... Pour être aussi précise dans tes descriptions, tu dois prendre des notes au moment de tes déambulations dans les galeries. A-t-on, chez vous, la manie d'interdire les plumes? Depuis la rédaction de mon livre sur l'analyse littéraire, je souffre, c'est bête mais c'est comme ça, des séquelles de la crampe de l'écrivain et j'écris difficilement avec un crayon mine. La plume fontaine me va beaucoup mieux...Or, on vient de me l'interdire au MBAM, et j'ai vu qu'on faisait la même chose à l'AGO de Toronto... Est-ce la stupidité nord-américaine et l'hyperprotectionnisme qui est encore à l'oeuvre ou est-ce généralisé?
Bonne fin de semaine à toi avec ou sans corrections! Je suis officiellement en vacances à partir d'aujourd'hui...
Alors, Marie Josée, je prends des notes, je photographie parfois les cartouches, j'achète souvent les catalogues, et ensuite, surtout, je m'approprie tout cela pour en faire un "compte-rendu" le plus succinct possible et revivre les moments que toute cette documentation, avec souvent des infos glanées sur internet, fait renaitre ! c'est du tourisme en trois étapes : 1) préparation 2) visites 3) bilan ! et je t'assure cela démultiplie la moindre chose !
RépondreSupprimer