Encore une exposition à courir visiter avant qu'elle ne ferme, le 15 juillet. Il était d'autant plus urgent d'en parler que les organisateurs de l'expostion, Cima da Conegliano, naissance de la Renaissance vénitienne, au musée du Luxembourg, pensent que le peintre est largement méconnu en France et mérite donc cet hommage. Aucun mérite pour nous, nous l'avons découvert en même temps que Bellini, Antonello ou Crivelli et tant d'autres, quand nous hantions, animé de l'ardeur des convertis, les musées du nord de la péninsule. Si certains noms étaient difficiles à retenir ou à situer dans le temps, le sien nous amusait beaucoup, proche de "coniglio" il était aisé à mémoriser ! Nous apprîmes bien vite que ce Conegliano était, comme souvent, la ville natale du peintre, une ville de la province de Trévise dans la région Vénétie, située à environ 70 kms au nord de Venise. Cima fait donc partie de notre univers pictural depuis longtemps et nous avons visité avec plaisir cette manifestation dont nous avions dû voir toutes les œuvres éparpillées au fil de ans : Vicence, Milan Florence, Modène, Parme ... et bien sûr Venise.
1489, 1492, 1494, 1504 et 1514
Mais revenons sur le nom de l'artiste. Bien que célèbre depuis longtemps, l'homme demeurait pour sa commune natale un inconnu quand, en 1891, le curé de Conegliano commença à mettre de l'ordre dans les archives municipales et à recenser "amoureusement" tous les détails possibles pour éclairer le passé du héros de la ville. Aujourd'hui encore, et malgré de nombreux travaux qui ont enrichi le fond de connaissances sur l'artiste, peu de documents privés existent sur l'homme et sa famille, et de nombreuses questions restent en suspens, sur sa date de naissance, sa formation et sa jeunesse.
Le nom de son père, Pietro, fils de maître Antonio (le grand-père donc) est mentionné en 1449 dans le contrat de fermage d'un petit domaine. Et l'on apprend alors que les deux hommes, père et fils, étaient des "cimatori", c'est à dire des artisans pratiquant le tondage des tissus de laine dont ils régularisaient la surface à l'aide d'une machine conçue à cet effet. Cette activité, sans doute lucrative et prospère, permit à Pietro d'acheter maisons et terrains, de figurer dignement dans parmi les membres de la Scuola locale auprès de notaires, commerçants aisés et peintre. Il devint assez riche et socialement bien introduit pour offrir à ses fils une éducation convenable : l’ainé reprit l'affaire familiale. Et Giovanni Battista partit à Venise pour se former au métier de peintre. Rapidement célèbre et reconnu, il signe ses toiles de son prénom suivi de Da Conegliano ; puis de Cima, en référence du métier de son père qui lui donna sans doute ce surnom. Bien qu'il ait gardé toute sa vie des liens avec son village natal, Cima est un vrai vénitien, qui a voix au chapitre lors des délibérations de la Scuola dei Depentori. C'est en 1517, âgé d'environ 45 ans, à l'apogée de sa notoriété et de sa renommée que le peintre meurt, en pleine activité. Un reçu qui fait mention de sommes reçues pour dire des messes pour le repos de son âme atteste ce décès.
Quand Cima arrive à Venise, Giovanni Bellini de plus de trente ans son aîné, y est déjà fort célèbre et Antonello, le gendre de celui-ci a déjà marqué de son empreinte l'art lagunaire. L'atelier des Bellini, lancé au début du XVème par Jacopo et repris avec brio par ses fils, est au sommet de sa gloire. Mais à côté de ce dernier, qui réalise de prestigieuses commandes pour le palais des Doges, à côté de Carpaccio à qui l'on demande volontiers de grands cercles narratifs, Cima va se faire une place respectable dans une "niche" libre, celle de la peinture de dévotion. Il appartient en quelque sorte à la troisième génération,celle des "modernes" qui reçut en héritage la luminosité et la technique des illustres aînés et les enrichit de sa propre créativité. Avec lui d'autres noms prestigieux s'imposent dans la serenissime : Lorenzo Lotto, Giorgione, Previtali, Palma il Vecchio, Sebastinao del Piombo et, plus tard, le tout jeune Titien. Avec ces trois générations l'art vénitien fournit une contribution déterminante à l'évolution de l'art européen et s'affirme comme un nouveau langage, dans lequel Cima sut parfaitement tenir sa partition.
Ce qui est surprenant c'est que l'homme semblait naturellement doué car dès 1489 (on ignore sa date exacte de naissance qu'on situe entre 1460 et 1470) il fait preuve dans cette Vierge conservée au musée civique de Vicence, d'un caractère et d'une maturité déjà très affirmés.
Il a assimilé le nouvel art de la couleur selon Bellini, use à bon escient du rôle central de l'architecture comme élément fondateur de l'espace et y développe un art de la perspective absolument irréprochable.
L’éblouissante tonnelle qui rythme la partie haute du tableau, est envahie de pampres légers qui cassent le côté trop géométrique de ce raccourci audacieux. Elle assure avec brio et une inventivité qui nous touche encore le lien entre le sacré qui émane des personnages, le quotidien qui s'exprime par le jardin et l'au-delà auquel la Madone et son Fils nous convient.
Le message est souligné par la présence d'un lézard dont la signification symbolique est un des indices. "Lorsqu'il vieillit, ses yeux se voilent et il devient aveugle de sorte qu'il ne voit plus la lumière du jour. Que fait-il alors... ? Il cherche un mur exposé à l'est et il pénètre dans une de ses fissures : lorsque le soleil se lève, ses yeux s'ouvrent et redeviennent sains. De la même manière, toi aussi homme, si tu portes l'habit de l'homme âgé et que les yeux de ton cœur soient fermés, cherche le soleil naissant de la justice, le Christ notre Dieu ... et il ouvrira les yeux de ton cœur"*.
Mais l'allégorie ne s'arrête pas à ce petit saurien. La présence et la stature de Marie, porte du Ciel, sont développées avec beaucoup de discernement par ce jeune peintre. Passage nécessaire pour accéder à la béatitude céleste, Marie porte sur son genou le Livre qu'elle n'a pas besoin de lire et qui contient toute l'histoire du Salut, donc aussi l'histoire de son Fils.
A sa gauche, ébouriffé et négligé comme à l'ordinaire (enfin toutes proportions gardée !!), car il a choisi d'être nazaréen, donc peu soucieux de son aspect physique, Saint Jacques le Mineur est occupé à consulter le livre sur lequel il fonde son apostolat**.
A droite, sévère et concentré, Saint Jérôme tient bien sûr sa traduction de la Bible qui ferme ce triangle savant de livres écrits, lus et traduits. Une triangulation entre l'Ancien et le Nouveau Testament, installée par Cima dans un décor à l'Antique qui lui offre autant de perspectives délicates, marbres polis, marches, dallage et trône raffiné.
Cette triade peut évoquer aussi les trois âges de l'homme et une synthèse encore plus élaborée, entre l'architecture, la nature et l'humanité, entre le temps de la vie, l'éternité et l'espace. Autant dire une œuvre d'une grande qualité artistique doublée d'une culture profonde qui montre que le jeune provincial avait déjà bien assimilé l'ambiance vénitienne en 1489 !
A sa gauche, ébouriffé et négligé comme à l'ordinaire (enfin toutes proportions gardée !!), car il a choisi d'être nazaréen, donc peu soucieux de son aspect physique, Saint Jacques le Mineur est occupé à consulter le livre sur lequel il fonde son apostolat**.
A droite, sévère et concentré, Saint Jérôme tient bien sûr sa traduction de la Bible qui ferme ce triangle savant de livres écrits, lus et traduits. Une triangulation entre l'Ancien et le Nouveau Testament, installée par Cima dans un décor à l'Antique qui lui offre autant de perspectives délicates, marbres polis, marches, dallage et trône raffiné.
Cette triade peut évoquer aussi les trois âges de l'homme et une synthèse encore plus élaborée, entre l'architecture, la nature et l'humanité, entre le temps de la vie, l'éternité et l'espace. Autant dire une œuvre d'une grande qualité artistique doublée d'une culture profonde qui montre que le jeune provincial avait déjà bien assimilé l'ambiance vénitienne en 1489 !
Il me semble que si cet homme était né deux ou trois siècles plus tard, il serait devenu paysagiste, tant son plaisir à décrire les fonds de ses tableaux religieux est palpable. Il y apporte une minutie, un inépuisable sens du détail et de l'anecdote, une couleur et une fraicheur qui sont des constantes dans cette exposition et déploie derrière ses conversations sacrées tout une vie luxuriante.
* Augusto Gentili d'après un passage du Physiologus
** c'est l'auteur de la lettre de saint Jacques apôtre
PS les photos sont extraites du catalogue Cima maitre de la renaissance vénitienne, RNM du Grand Palais
PS les photos sont extraites du catalogue Cima maitre de la renaissance vénitienne, RNM du Grand Palais
ou comment juste un titre d'article peut faire surgir des images de canaux dans la brume ou de reflet de palais dans la lagune... Je reviendrais ensuite lire en détails, je suis entre Bethsabée et Phèdre, des fresques de Pompéi aux miniatures 1500, en attendant de revenir à Cima...
RépondreSupprimerBon week-end!
Merci Eimelle !! Le week-end a été merveilleux... sauf qu'on s'est heurtés à porte close à la galerie Antonine ... quelle déception alors que c'était un des buts de notre we. On reviendra !
SupprimerUne grande découverte pour moi.
RépondreSupprimerPassionnant.
Ravie Miss que tu aies apprécié : le peintre mérite vraiment qu'on en parle, surtout en France !
SupprimerS'il est une expo peu courue et que l'on voit en toute tranquillité c'est bien celle-ci.
RépondreSupprimerSaint Jean baptisant le Christ que j'ai ou voir à la Bragora est vraiment très beau dans des tons bleu et argenté.
Une église très peu visitée c'est dommage pour elle....
Oui Cima in situ est encore plus frappant !! on a l'impression de découvrir les pépites d'un trésor disséminées dans Venise
SupprimerPas que Venise !
SupprimerIl y a aussi Strasbourg
Le musée de Strasbourg renferme une très belle collection de Primitifs et XVI italiens
C'est sûr c'est loin de l'estuaire
Il est indéniable que Paris présente, parmi ses innombrables avantages, celui d'être à deux pas de Strasbourg et de ses merveilles !! un jour, qui sait ??
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RépondreSupprimerCima vu par Michelaise est génial ! Je suis ravie que tu en parles avec brio, à Venise c'est mon "chouchou" tous les jours je vais le voir en passant dans l'église Carmini. Il y a un Cima magnifique "Une Nativité" sublime, mon logeur dit d'ailleurs que c'est le plus beau Cima de Venise...Et je le pense aussi...
SupprimerLe paysage y a une très grande place, et le beau château du lointain ressemble comme deux gouttes d'eau à ceux que tu montres... Ce tableau a été peint par Cima en 1510, donc dans une période de grande maturité...
Bon samedi à toi et bises du matin.
Le petit film est très évocateur quant aux paysages qui ont inspiré Cima : on se sent "chez soi" dans ces lointains si présents encore à nos yeux.
SupprimerCette expo fut, pour moi, une découverte. Je n'avais pas remarqué le lézard! Mon préféré est celui des Lamentations sur le christ Mort pour le tragique des visages .
RépondreSupprimerRavie de partager ce plaisir avec toi Miriam ... pour la lamentation quelques détails sur le site du ML (clique)
RépondreSupprimerPetite suite de l'expo, vue par ma fille (ce qu'elle a aimé) aujourd'hui !! tu retrouveras d'autres détails que tu aimés aussi