Le retable de la Passion de Jean Poyer
Il était temps !!! Eimelle nous avait alertés par de nombreux articles superbement documentés et il aurait été absolument dommage de rater cette exposition tout à fait dans la lignée et de la qualité de France 1500, entre Moyen Age et Renaissance, organisée en 2010 aux Galeries Nationales du Grand Palais. C'est bien sûr la présence royale et le développement d'une cour de haut vol qui permit à la région de connaître, dans les années 1500, un essor artistique inusité dans un pays de centralisme excessif. La matière première de l'exposition, disons les œuvres d'importance qui furent le prétexte à l'organiser, sont l'extraordinaire retable de la Passion, de Jean Poyer, les Vierges d'une élégance rare de Michel Colombe et de son atelier, et les superbes Heures de Louis XII, reconstituées pour l'occasion. Autant je me suis extasiée sur la chance insensée que nous avions de pouvoir découvrir au Louvre, le manuscrit "dépaginé" des Belles Heures du Duc de Berry, prêté par les Cloisters, autant je me suis esbaudie sur l'exploit qui consiste à avoir réuni, le temps d'une exposition, 11 des 15 feuillets connus du livre d'Heures de Louis XII, réalisé par Jean Bourdichon (vers 1457-1521). Imaginez, certains viennent du Paul Getty Museum de Los Angeles, d'autres de Philadelphie, de Londres, de Bristol et même d'une collection particulière.
Réalisé pour Louis XII ainsi que le prouve le portrait, retrouvé il y a peu, du commanditaire en prière, entouré des saints patrons du royaume, ce livre de prière a ensuite été emporté à Londres par Marie Tudor, la soeur d'Henri VIII qui fut la dernière épouse du roi et rentra rapidement en Angleterre après son veuvage. Il semble que le portrait soit fidèle et le souverain, revêtu d'une armure d'apparat sur laquelle il porte une cotte d'or semée de soleils, arbore le collier de l'Ordre de Saint Michel. Il est agenouillé sur un coussin semé de fleurs de lys, symboles qu'on retrouve sur le pommeau de son épée, sur le fourreau de celle-ci et en cimier de sa couronne, toute de lys et de pierres précieuses entrelacée. Un portrait officiel donc, et qui se fait fort de clamer la majesté du roi. Importance soulignée par la présence des deux protecteurs du royaume, Saint Michel et Saint Denis qui le désigne et semble lui soutenir le coude de sa main gantée. Pour faire bon poids et rappeler l'onction divine du roi de France, deux rois sanctifiés s'ajoutent à cette scène de manifestation affirmée de pouvoir central : Saint Louis et Saint Charlemagne, dont le culte a été imposé dans le royaume par Louis XI en 1475.
Du calendrier il ne subsiste que 4 mois. Février montre un marchand chaudement vêtu d'une houppelande fourrée, debout devant une table modestement garnie, un bon feu dans le dos. La cheminée porte un blason qui désigne une famille de petite ou de moyenne noblesse. Juin est consacré, selon l'usage, au fauchage : faux sur l'épaule, une pierre à aiguiser suspendue à la ceinture, le paysan porte un tonnelet pendu à son bras droit, dont la main est passée dans l’échancrure de sa chemise. Il contient l'eau qui lui permettra d'utiliser la pierre à affuter. Dans un lointain bleuté et d'une rare délicatesse, une ville, sans doute identifiable tant ses monuments sont traités avec précision. Au mois d'août, le vanneur renverse le grain dans un tamis et, derrière lui, deux sacs de grains montrent qu'il a bien travaillé et que la récolte est bonne ! En septembre enfin, les choses n'ont guère changé depuis le Moyen Age, on fait les vendanges et on foule le raisin dans une grande cuve. Tout autour de la pièce, des barriques contiennent le vin déjà pressé.
Seule la Vierge de l'Annonciation du livre d'heures a été retrouvée : traitée avec une finesse et une élégance d'autant plus frappantes qu'elles sont sans mièvrerie, elle est d'une beauté peu commune. Le manteau bleu est modelé par un drapé vigoureux, rehaussé de fines hachures dorées. La Vierge se détache devant le mur d'un oratoire traité à l'antique, scandé de pilastres et de plaques de marbre rouge et vert, couvert d'une voûte qu'on devine à caissons, pendant que sur la gauche on aperçoit le début d'une abside en cul de four. C'est de là que vient le rai de lumière qui, symboliquement, représente l'Esprit Saint.
Les autres scènes sont traitées de façon plus conventionnelle : la Visitation pour l'Office de Laudes, relate avec beaucoup d'acuité la rencontre des deux femmes enceintes devant une loggia classissisante. La Nativité pour l'office de Primes, explore savamment un effet de scène nocturne en opposant le faible halo de la lanterne que tien Joseph à la lumière surnaturelle, matérialisée par des rayons d'or, qui tombe des cieux, évoquant l'étoile de l'annonce aux bergers. La présentation au Temple, pour None, préfigure le sacrifice du Christ : Siméon soulève l'enfant au-dessus d'un autel recouvert d'une nappe ornée du monogramme IHS plusieurs fois répété. Enfin la Fuite en Égypte, qui illustrait les Vêpres, est très émouvante avec l'enfant endormi sur l'épaule de Marie sous l’œil vigilant de Joseph. L'âne donne à cette scène familière une coloration naturaliste.
Enfin la série se terminait par l'exceptionnelle figure de Bethsabée au bain, qui ouvrait les psaumes de la pénitence et dont Eimelle a longuement parlé. Debout dans l'eau très (trop !!) claire d'une fontaine, au premier plan d'un jardin de tradition médiévale (il est bordé d'un mur crénelé) et bizarrement dominé par des bâtiments antiquisants, la jeune femme semble avoir repéré du coin de l’œil le regard concupiscent du Roi David accoudé à la fenêtre de son palais. Le corps offert est d'une blancheur parfaite, seins ronds et hauts, ventre rebondi, hanches larges, sexe soigneusement épilé et longue chevelure dorée ondulant vers le flot. Difficile devant une telle beauté d'entamer une démarche de contrition à laquelle invitent les prières de pénitence qui suivent cette image !
J'ai tenu à reconstituer pour vous aussi cet ouvrage éparpillé à travers le monde (on peut le feuilleter en lisant les images en diaporama !!), et qui montre une unité de réalisation et d'inspiration vraiment éblouissante. On suppose que le manuscrit, entrepris en 1498, a été achevé en 1502, et offert par Bourdichon au roi pour célébrer son accession au trône.
Présentés sur fond d'une miniature aux enluminures fleuries, les deux bustes de terre cuite attribuées à "un artiste italien actif en Touraine" qui furent retrouvés murés dans la façade du manoir de la Péraudière en 1850, remises dans leurs niches sans autre forme de procès, et enfin rentrées dans le château en 1880. C'est là qu'elles furent repérées par un spécialiste de la renaissance française, trop heureux de démontrer qu'à Tours on faisait aussi bien, sinon mieux qu'en Italie ! Elles étaient, au moment de leur découverte, encore revêtues d'une lourde polychromie, qui déplut, et qu'on nettoya, sans autre précaution ! Les deux pièces ont été examinées par le C2RMN qui a identifié la provenance des terres qui les composent : elles sont locales, mais on pense que le sculpteur, lui, serait italien.
De nombreux autres livres enluminés enrichissaient cette prodigieuse exposition qui fut, en outre l'occasion d'admirer vitraux, sculptures, pièces d'or, peintures et objets d'art et de piété, tous d'une qualité et d'une richesse impressionnantes. L'exposition est terminée et je ne vais donc pas vous en faire la liste mais plutôt vous parler de ce foyer culturel actif et florissant que fut Tours à la fin du XVème siècle.
Ville attractive aux talents aussi puisqu'on y dénombrait environ 5% d'étrangers, italiens essentiellement. Rarement des artistes mais plutôt des artisans, ouvriers spécialisés, armuriers, tisseurs de draps de soie, jardiniers. On y comptait aussi des allemands et des néerlandais, orfèvres, canonniers ou palefreniers, et des écossais qui fournissaient la garde royale. La ville était riche : équipée d'une manufacture armurière, les fabrications s'étendaient surtout à des produits de luxe : draps d'or, brocarts, satins et surtout soieries. On y trouvait une cinquantaine d'orfèvres, des brodeurs, des tapissiers, mais aussi des écrivains (entendez des copieurs de manuscrits) et des enlumineurs. Une trentaine de peintres, verriers et enlumineurs sont recensés dans les années 1500. Par contre, on ne comptait que 2 imprimeurs : capitale du luxe, Tours n'était pas celle de l’innovation. La capitale intellectuelle reste Paris, mais Tours fournit des objets d'une très grande originalité et d'une qualité indéniable. Par ailleurs, le chantier de la cathédrale se poursuit avec intensité, formant aubaine pour les maçons, maîtres d'"œuvre, sculpteurs et verriers.
Et la Gatienne sous le ciel bleu, ouf, vous avez eu au moins un peu de beau temps (entre deux averses?, non, dimanche, il faisait beau!)
RépondreSupprimerC'est vrai que ce calendrier est exceptionnel.
Rendez-vous peut-être pour la prochaine exposition du musée des Beaux-arts de Tours?
(PS : une rumeur locale voudrait que l'un des "Caravage" de Loches, fasse partie d'une exposition temporaire à la pinacothèque de Paris, à suivre!)
Oui du beau temps dimanche, nous étions à Meslay... et samedi alors qu'il pleuvait, nous étions à l'expo ! donc tout était nickel
Supprimerquant à la prochaine exposition du musée des beaux-arts, j'ai entendu sussuré (!!) qu'elle serait plus modeste car, on s'en doute, Tours 1500 a coûté une fortune. Mais à bon escient me semble-t-il.
Quant au Caravage, gggggrrrrrrrrrrrr tu vas voir que ce sera la prochaine fois qu'on viendra qu'il aura pris la poudre d'escampette, encore !!! car cette fois-ci on ne les a pas vus, musée fermé jusqu'au 30 juin
Comme je le disais à Eimelle ,pour aller plus loin ce livre
RépondreSupprimertéléchargé dans ma bibliothèque !! merci j'aime beaucoup persée comme site, on y trouve vraiment des documents intéressants
SupprimerVraiment envie d'aller y faire un Tours...
RépondreSupprimerl'enfant endormi est tellement touchant, quel regard Michelaise... On se régale.
Bises du jour.
Ah Danielle, je suis certaine que tu pourras aller voir les Caravage de Loches, tu n'es pas si loin, et tu en profiteras pour un petit périple tourangeau
RépondreSupprimerJe trouve que toutes ces images sont très touchantes, et au meme temps d'une remarquable et admirable élégance.
RépondreSupprimerC'est le fait de la miniature, un art vraiment exaltant quand on a la chance de le voir de près. Et qu'internet nous permet de pratiquer à loisir, les bases de données d'enluminures sont très riches !
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