Cela remonte à 1963… Richter, au sommet de sa gloire, donne un concert à Paris et quelques tourangeaux vont l’applaudir. Puis, n’écoutant que leur enthousiasme, ils vont à l’issue du concert, l’inviter à venir faire un concert en Touraine. Et Richter accepte : rendez-vous est pris pour un événement rare et prestigieux : le 17 novembre, le maestro donne un récital au Grand Théâtre de Tours : d'affilée, il joue les trois dernières sonates pour piano de Beethoven.
Ayant plus ou moins en projet de fonder un festival, il en profite pour
visiter les alentours, avec l'architecte de la ville, Pierre Boille. Pendant la
balade, il pénètre dans une grange dîmière, à une dizaine de kilomètres de
Tours, au bord de la RN 10. Cette ferme fortifiée, bâtie entre 1210 et 1218
pour l'abbaye voisine de Marmoutier, comporte une grange d'un volume intérieur
exceptionnel, aussi grande qu'une église, avec une monumentale charpente en cœur de
chêne. Des arbres qui ont presque mille ans ! A l'époque, la grange est
utilisée à sa fin première, bourrée de paille, de charrettes et de poules
picorant. Le sol est en terre battue. En entrant dans cette bâtisse trapue,
Richter aurait dit : «C'est là que je veux jouer.» Séduit au premier coup d'œil
par l'ampleur exceptionnelle de son volume intérieur et la majesté de son
architecture.
On le prend au mot. Son premier récital à la Grange de Meslay se tient le 23
juin 1964, avec un programme Prokofiev, Scriabine et Ravel. La paille dégagée,
on a essayé de faire du vaste entrepôt à blé moyenâgeux une salle de concerts.
La scène est placée sur le flanc droit, pour permettre une vision en ligne de
fuite entre les piliers monumentaux. L'acoustique n'est pas remarquable.
«Assez mate, reconnaît René Martin, directeur artistique depuis 1988. Ce qui n'est pas un problème pour le piano,
mais plus compliqué pour les récitals de chant. Mais plus l'acoustique est
exigeante, plus l'artiste est intérieur.»
Et, de fait, pour Richter acoustique et piano sont accessoires. Son coup de foudre pour Meslay n'est pas musical, mais spirituel. «La magie, ici, est inouïe : ces volumes, cette présence du bois, comme une confidence qui s'installe, dit René Martin. Le musicien joue quasiment pour vous.» Dès lors, et pendant 25 ans Richter va être le directeur artistique de ce Festival, vite mythique. Il joue, bien sûr, souvent, même si, assidus du festival des années 80 nous n’avons pas eu la chance de l’y entendre. «Il venait avec des brassées de fleurs, racontent Claire et Patrick Lefebvre, les propriétaires. Il sortait manger des cerises aigres-douces, des framboises et des groseilles dans le potager derrière, pendant l'entracte.» Les premières années, la terre battue est à nu et le confort est réduit à l’extrême, mais déjà, et à ce moment-là encore plus qu’aujourd’hui, le courant passe.
Une année, pendant un récital de Richter, on distingue un net ronronnement et les spectateurs jettent des regards alarmés sur leurs voisins, tentant de repérer l'intrus qui ose perturber le maestro avec ses ronflements. on oublie un nid de chouettes dans une encoignure. Soudain, surgissant d’un nid caché dans une encoignure, une chouette s’envole dans'un battement d'ailes.
De nombreux musiciens rêvent de jouer avec le maître et n’hésitent pas à
venir affronter la charpente séculaire.
Benjamin Britten y donne son drame sacré Curlew River, avec le ténor Peter
Pears, en 1965. Le chanteur allemand de lieder Dietrich Fischer-Dieskau se
produit en 1967. Trois ans plus tard, la diva Elisabeth Schwarzkopf et le
pianiste Arturo Benedetti Michelangeli emplissent la Grange. Pierre Boulez
viendra aussi. La prestation de Jessye Norman, un soir d'orage, finit aux
chandelles. Les pianistes Aldo Ciccolini, Noël Lee et Bruno Rigutto, la
violoncelliste Natalia Gutman... D'autres moins connus trouvent ici un début à
une carrière brillante.
C’était cette année la 47ème édition ! On a, depuis les héroïques débuts, amélioré un peu l’acoustique grâce à des panneaux de bois conçus par un ingénieur acousticien à la demande de René Martin et placés en conque au-dessus de la scène. Les bottes de paille ont disparu mais on entend toujours les oies qui se chamaillent, les coqs qui s’égosillent et, malheureusement les avions de la base aérienne voisine. Le son est toujours très mat et, malheureusement, le piano n’est pas à la hauteur : il y faudrait un accord Fauvin, qui prendrait en compte l’atmosphère feutrée du lieu et le rendrait moins métallique, plus plein.
On y découvre toujours de jeunes talents, témoin cette jeune pianiste russe, Yulianna Avdeeva, qui nous a subjugués par la délicatesse sans mièvrerie, une vraie dentelle de notes, de son jeu. Un jeu très « français », d’une rare élégance, et d’une réelle intelligence de « texte ». Le reste du programme était dédié à deux concerts donnés par l’Orchestre de Chambre de Paris sous la direction de Joseph Swensen. Un concerto pour violon de Beethoven nous a permis d’écouter Vadim Gluzman, la jeune « bassoniste » de l’orchestre de nous a montré son talent dans une pièce de Weber, et le soir, Anne Quefelec a remplacé Birgitte Engerer, souffrante, dans le concerto pour piano numéro deux de Chopin. Nous n’avions pas la programmation la plus excitante, ayant choisi ce week-end à cause de la date de clôture de l’exposition Tours 1500.
Mais Meslay reste un lieu à part, un monument très parlant, datant de cette époque follement entreprenante que j'appellerai le Moyen Age actif, celui qui s'était donné pour mission de défricher et de faire vivre les campagnes isolées. Des pierres splendides et très évocatrices, encore perdues en pleine nature, au bout d'une route qui ressemble à un cul de sac, entourées de champs de blé et de coquelicots pour une manifestation bon enfant, pastorale et champêtre.
On y déjeune dans l’herbe au bord de l’étang où les oies chassent en criant les poules qui s’approchent d’un peu trop près. On s'assoit dans l'herbe à côté des solistes. On y boit sans façon un petit pétillant de Loire bien frais, l’entracte. Et la formule festival sur deux week-ends, à raison de 6 concerts par fin de semaine, permet d’y venir pour l’occasion et de se gaver de musique en toute sérénité.
Vertigineuse cette liste de têtes d'affiches prestigieuses déjà venue ici! La grange fait tellement partie du "paysage", que l'on en vient à oublier l'historique, merci pour ce rappel!Et il faut bien reconnaitre que là bas les aléas animaliers font partie du charme du lieu...
RépondreSupprimerPar contre les avions ryanair, manifestement pas concernés par l'accord pr éviter les atterrissages pdt les concerts c'est vraiment bruyante. oui eimelle une ambiance fort agréable
RépondreSupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerRonron
RépondreSupprimerMiaou ???
SupprimerJ'aime beaucoup l'histoire de cette grange et le coup de coeur de Richter. Cela rend les lieux encore plus attachants et donne sans aucun doute une aura particulière à ce festival même si l'environnement aéronautique n'est pas idéal pour savourer des concerts.
RépondreSupprimerBonne fin de semaine à toi Michelaise
ce qui est merveilleux c'est que cela reste, vraiment, LE festival de Richter, et qu'on se fiche des avions (enfin presque !!!) : une ambiance, un lieu de mémoire, un lieu de musique
SupprimerTrès bel écrin pour un festival de cette envergure ! Dommage pour le bruit intempestif des avions...
RépondreSupprimerLe mot est bien choisi Enitram, écrin ! bon we à toi
RépondreSupprimerGlyndebourne meets Monsieur Haydn, on dirait. Ca a l'air bieeeen (et manifestement, le temps est plus sympa qu'à Paris!)
RépondreSupprimerBlandine
Ah oui Blandine, c'est vraiment une ambiance délicieuse, et la formule week-end permet d'en profiter très agréablement, surtout si le soleil est au rendez-vous, tu as raison !!!
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