Pas de chance !! Nous avions programmé notre voyage en Touraine autour de trois événements : le Festival de la Grange de Meslays, le Festival des Jardins de Chaumont sur Loire et l'exposition Tours 1500. Avec, en prime, cerise sur le gâteau, la jubilation de "découvrir" à notre tour les deux Caravage récemment identifiés à Loches et pour lesquels la municipalité a organisé un petit musée, la Galerie Antonine.
Un concept intéressant que cette Galerie : installée à l'emplacement de l'ancienne bibliothèque de l'église Saint Antoine, elle a été conçue par l'architecte Guillaume Prouvé, toute de pierre d'ardoise vêtue, parfaite intégration du contemporain dans l'ancien, fut-il en grande partie XIXème. En accès libre de 10h à 18h45, elle se dispense apparemment de gardien : on y entre par une porte automatique, sur le côté gauche une présentation détaillée de la vie de Caravage, de la découverte et de l'analyse des deux peintures attribuées au Caravage, et à droite, derrière des vitres blindées, les fameuses toiles, ainsi que quelques pièces de choix du trésor religieux de Loches.
La galerie telle que nous ne l'avons pas vue !!
Mais las ! de toiles point, et sur la porte du musée un petit écriteau annonçant que, suite à des travaux de réorganisation, la galerie était fermée jusqu'au 30 juin. Le but ? Installer dans cet espace le splendide triptyque de Jean Poyet qui était le prétexte et le clou de Tours 1500. Il nous faudra donc revenir pour nous faire notre propre impression sur ces deux peintures dont tout porte à croire qu'elles sont bien de la main du maître, et non de vulgaires ou même d'anciennes copies comme on l'a cru longtemps. Vous aurez sans doute l'occasion d'y aller bien avant nous mais, dores et déjà, l'histoire de cette découverte mérite d'être contée. Ces deux toiles étaient, au XVIIIème siècle accrochées sur les murs de la Chartreuse du Liget. Elles faisaient partie des nombreux objets d'art abandonnés par de généreux donateurs comme Hippolyte de Béthune , comte de Selles, neveu du grand Sully, et fils aîné de Philippe de Béthune.
Le 2 novembre 1789, l'Assemblée
Nationale décide que tous les biens ecclésiastiques sont mis à la
disposition de la nation. L'année suivante ces biens sont mis en vente
par lots. Le 12 mai 1790, le comité révolutionnaire de Loches décide de saisir la chartreuse et tout ce qu'elle contient et une visite est organisée afin de réaliser un premier inventaire. Les
« inspecteurs » dénombrent 6900 volumes dans la bibliothèque. Le
patrimoine des Chartreux est estimé à 21 000 livres. Parmi les œuvres saisies, le triptyque de la Résurrection qu'on a depuis attribué à Jean Poyer, deux toiles qui sont, plus tard, déposées dans l'église Saint Antoine et oubliées. Sur ces toiles, des armes :
On les identifiera comme étant celles de Philippe de Béthune, frère du grand Sully et ministre d'Henri IV. Premier gentilhomme de la chambre du roi, c'est un érudit, fin politique et grand
amateur d'art. C'est donc tout naturellement qu'il devint, lors de son ambassade romaine de 1601 à 1605 ami du Cardinal del Monte et du Marquis Ciriaco Mattei, tous deux protecteurs et mécènes du Caravage. Il semble admis par ailleurs que Béthune fut très actif dans les tractations menées pour obtenir le pardon pontifical
après son exil... ce qui est normal puisqu'il était ambassadeur et devait manier avec art la diplomatie !
Notre collectionneur profita donc de son séjour romain pour acquérir de nombreuses œuvres
d’art dont un inventaire, établi à l’occasion de son remariage en 1608,
nous offre la liste complète. Ce document, précieux pour l’historien d’art car
dument signé par Philippe de Béthune ce qui renforce la valeur des mentions « original »
portées en face des lignes qui nous intéressent, mentionne expressément 4
tableaux originaux de Caravage, assortis de leur prix d’achat.
« …
un grand tableau dudit Michel Lange, représentant le pèlerinage de Notre
Seigneur à Emmaüs, se trouvant entre deux disciples … prisé deux cent cinquante
livres…
un autre grand tableau dudit Michel Lange représentant Saint-Thomas mettant son
doigt en la plaie de Notre Seigneur … prisé cent trente livres. »
Les biens du gentilhomme furent partagés entre ses enfants à sa mort, et il semble
avéré que les Caravage restèrent à Selles sur Cher où il résidait. Rien d’invraisemblable
donc à ce que son fils, Hyppolite, les ait déposés à la Chartreuse du Liget, où
il avait une chapelle, et qu’elles aient fait partie des biens saisis à la
Révolution. Déposées plus tard à l’église Saint Antoine, elles y seront
stockées, encrassés, poussiéreuses et peu appréciées jusqu’à ce que, intrigué par
les blasons figurant sur ces toiles, le maire de Loches demande une expertise
au Conservateur des Monuments Historiques de la Région Centre. Dès lors, la
machine à détecter les chefs d’œuvres était en marche !!!
Ayant identifié les armes de Béthune, dès 2002, on entreprit des recherches qui se
sont révélées fort instructives. On a exhumé l’inventaire dont je parlais plus
haut, on a analysé sous différentes lumières les toiles, on a effectué des prélèvements
confiés au C2RMN, et, après les avoir classées, on a restauré les peintures.
Les conclusions des rapports quant aux matériaux utilisés sont particulièrement
frappantes.
Après examen, les châssis, le cloutage et les anneaux d’accrochage apparaissent comme caractéristiques de ce qui se
pratiquait au tout début du XVII siècle, c'est-à-dire à
l’époque où Philippe de Béthune fit la connaissance du Caravage. Elles font surtout
état de similitudes étonnantes avec les œuvres reconnues du Caravage. L’analyse
a révélé l’utilisation de pigments identiques à ceux, particulièrement coûteux,
utilisés par le peintre (cinabre pour les rouges ou lapis-lazuli pour les
bleus). Par ailleurs, la texture et la qualité du support utilisé, l’emploi d’une préparation rouge et de fines
traces de gravure sur cette préparation semblent parfaitement correspondre à la
manière du maître (qui, on le sait, ne faisait pas de dessin préliminaire). Enfin, l’existence de repentirs sur les deux toiles,
semblent prouver qu’il ne peut s’agir de copies, ces dernières ne pouvant avoir
été reprises ou changées, le modèle étant déjà défini, pas de repentir donc !
Enfin, on note que les toiles correspondent toutes deux à des sujets déjà traités par le Caravage, qui n’hésitait pas à reproduire ses propres toiles pour le compte de riches acheteurs qui les avaient appréciées. On connait du Christ à Emmaüs une autre version détenue par la National Gallery et dont la composition est très proche de celle de la galerie Antonine. Mais alors qu’à Londres le Christ présente un visage aux formes arrondies, presqu’enfantin, la toile de Loches le montre plus mûr, le visage triangulaire et portant une légère barbe.
Il est frappant à cet égard de le comparer avec un portrait de Philippe de Béthune !! On admet volontiers qu’un copiste ne se serait en aucun cas permis de modifier ainsi la physionomie du Christ ou d’apporter à la nature morte sa touche personnelle. Ce qui plaide encore en faveur du caractère autographe de ces deux peintures. Les découvreurs se gardent, on est devenu très prudent en matière d'attribution, de toute déclaration intempestive, et proposent la liste des présomptions et autres indices qui permettent de penser que nous avons en face de nous les toiles achetées par Béthune à Rome en 1604. Pour autant, si les arguments historiques et techniques sont forts, nous aurions aimé en juger par nous-mêmes et nous faire une idée !! Ce sera pour un prochain voyage tourangeau !! D'ici là, les avis sont bienvenus, surtout si vous avez la chance de les voir... car sur de simples reproductions de qualité plus que limitée, il faut bien avouer qu'il est difficile de se faire une religion !
Documentation :
Les amis du musée de Béthune sont allés voir les Caravage de Loches (et se sont heurtés, comme nous, à porte close !!)
Un livre sur l'église Saint Antoine et le nouveau musée
L'ombre d'un doute, court-métrage sur les deux toiles
Le site de la Galerie Antonine
Le dossier de presse de la collection
Et, bien sûr, l'article d'Eimelle qui nous alertés !! suivi d'un second billet de la même.
Un livre sur l'église Saint Antoine et le nouveau musée
L'ombre d'un doute, court-métrage sur les deux toiles
Le site de la Galerie Antonine
Le dossier de presse de la collection
Et, bien sûr, l'article d'Eimelle qui nous alertés !! suivi d'un second billet de la même.
Je suis vraiment déçue pour toi, d'avoir fait le déplacement jusque là pour rien (cette fermeture n'a d'ailleurs pas été annoncée dans les publications locales), c'est vraiment dommage!
RépondreSupprimerBon, pour positiver, cela sera l'occasion de revenir, mais tout de même , c'est rageant!
Le site du musée lui-même n'en parlait pas ! et le personnel des autres monuments n'était même pas au courant. C'est vrai que c'était une de nos raisons d'escapade... Mais bon, cela fait partie des aléas des voyages et, au moins, nous avons la possibilité de revenir ! ce n'est pas toujours envisageable ! on essaiera de ne pas revenir quand le caravage aura été prêté, on va se tenir au courant ! Et là, je suis en train de me pencher sur les remarquables expositions Toulouse Montpellier : Corps et Ombres, c'est géant et on ira sans doute en septembre !!! un we grandiose en perspective !
SupprimerA l'époque, quand les deux Caravage de Loches avaient été découverts et que la presse s'en était fait l'écho, je me souviens que la bataille de l'attribution des toiles au peintre faisait rage. A l'exception d'une personnalité du monde de l'art, la plupart des historiens de l'art considéraient qu'il s'agissait de copies. Qu'en est-il maintenant? Je suppose que l'analyse des pigments et la découverte des deux repentirs avait dû déjà être menée avant que tout ce beau monde se prononce en faveur du tableau de Londres... Et s'agissant de l'Incrédulité de saint Thomas, le second tableau, en sais-tu un peu plus? J'avoue que depuis 2006, je n'avais pas fait de recherches, mais tout ce que je lis ici donne envie de fouiller la question... Sinon, je trouve que la galerie Antonine, avec ses grandes vitrines en verre blindées, particulièrement décourageante pour le spectateur.
RépondreSupprimerBah, la bataille n'a pas fini de faire rage ! j'ai aimé exposer les arguments "pour", j'ai laissé de côté les "contre" n'ayant pas vu les toiles. J'avoue que, comme cela fait quarante ans que je biberonne au "caravage", j'ai l'impression que, en les voyant, j'aurai une "intime conviction" !!! Quant à ce galerie en verre blindée, elle est tout de même plus commode qu'une porte d'église fermée, clé chez le boulanger, qui lui-même est fermé !! et les toiles mal éclairées, sales et illisibles dans un coin d'église (c'était la situation antérieure). Quant à moi, je t'avoue que, fut-ce derrière ces vitres, j'aurais préféré les voir que de contempler le long couloir vide !!! Et du coup, les horaires d'ouverture du musée sont très larges, chose qu'on ne pourrait pas faire en payant du personnel, surtout hors saison : tu comprends, payer un gardien tout une année pour que Michelaise, et qui, sait deux ou trois de ses copains, passent un jour dans l'année !!!
SupprimerPS nous avons, quand nous étions à Londres, longuement examiné le Christ à Emmaüs pour avoir un point de comparaison bien vivace !!
SupprimerMerci Michelaise de cette information que je ne connaissais pas et n´oublierai pas de visiter à mon prochain voyage.
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