lundi 25 juin 2012

MOZART A BORDEAUX



"A Meslays, j'ai vu un bouquin consacré au tempo chez Mozart"
On est entre deux actes. Dans l'ombre : la salle est éteinte et les instrumentistes se livrent à quelques raccords en attendant le chef, et pourtant les yeux d'Alter brillent de convoitise.
"Il était épais comme ça ..."
Ses doigts, très méridionaux pour l'occasion, me montrent au moins 3cm d'épaisseur.
"Comme ça ???"
J'en rajoute un peu, histoire de rappeler que la méridionale, ici, c'est moi !
"Oui, oui" il n'en est pas à un centimètre Alter dans son envie du bouquin qui, en réalité ne fait (que) 306 pages.
"Et tu ne l'as pas acheté ?"
Moue désolée ...
"Ben non, il coutait 40 euros !! Mais il devrait le lire, lui, ce bouquin"


Du nez il me désigne le chef qui revient. Et de fait, si le tempo de Mikhail Tatarnikov est parfois admirablement enlevé, il a de réelles difficultés à maîtriser ses troupes, ce jeune chef russe,  directeur du Théâtre Mikhailovsky à Saint-Pétersbourg, et mozartien pour deux soirées. Dans les Noces de Figaro, il est très sensible, très vif, très attentif. Son orchestre boit le moindre de ses gestes, et la fusion entre eux est parfaite. Par contre, avec les voix, ça va un peu moins bien et parfois, il y a des décalages qui font désordre. Ce qui fait qu'il est sifflé quand il vient saluer, mais c'est injuste car son interprétation était très belle, quoiqu'un peu cahotique par moment.
Ce sera pire le lendemain, dans Don Juan, on aura de vrai dérapages incontrôlés et là, le public enthousiaste, ne le boudera pas à la fin. En fait Mikhail Tatarnikov m'a fait l'effet d'être un chef d'orchestre, traitant ses chanteurs comme des instruments. Et un chef, cela a l'habitude d'être obéi, pas de faire plaisir aux instrumentistes. Or, les chanteurs, souvent, ont leur propre façon de rentrer dans le rôle, que certains chefs suivent, pliant l'orchestre au tempo du soliste. Ici, pas question ! Tout le monde devait suivre, et parfois, en particulier avec les chœurs qui avaient manifestement travaillé avec un chef de chœur n'ayant pas la même sensibilité que notre slave, cela a donné lieu à des patinages pas franchement artistiques. Et puis, pour en revenir à son tempo, s'il était en effet brillant, pétillant, spirituel et très inspiré, il avait parfois une certaine tendance à "romantiser" certains passages, qu'il devait aimer particulièrement, et qui, par contraste, devenaient presque doucereux ! Au total, une belle lecture de Mozart mais un manque évident de travail : cela se sentait, par contraste, quand on abordait certains quatuors, sextuors (ou plus) vocaux, qui, eux avaient été particulièrement mis au point et qui, du coup, étaient au cordeau.


Vous l'avez compris, ce "Mozart à Bordeaux", c'étaient deux opéras, donnés en alternance (on avait pour l'occasion divisé l'ONBA en deux formations mozartiennes du meilleur aloi : un coup de chapeau au passage du premier violoncelliste des Noces : Kenji Nakagi *) ce week-end au Grand Théâtre de Bordeaux. Mise en scène de "notre" vibrion local, Laurent Laffargue, qui met les papis et les mamies du GTB en transe. Pensez, le scandale "Les noces en costume moderne" (c'est ce que nous a dit notre hôte d'un air dégoûté), cela fait trente ans qu'ils n'arrivent pas à s'y faire, nos bordelais, à ce type de mise en scène . 

 Décors, Eric Charbeau et Philippe Casaban

Pourtant il a du talent Laffargue et des idées, même si, parfois, il veut un peu trop en faire. C'était le cas pour les Noces de Figaro : au début, j'ai adoré sa mise en scène, Figaro comptant les pièces du lit en kit acheté chez Ikea, un décor années 30, des personnages surgissant comme d'un chapeau de magicien des boîtes trimballées de ci de là par des acteurs affairés, tout était léger, drôle et très dans l'esprit de la "folle journée" de Beaumarchais. Mais ensuite, quand il a rhabillé tout le monde en costume d'époque (il fallait bien calmer les bordelais avant les applaudissements) pour transformer la fin de l'opéra en marivaudage (ça c'était un bonne idée), il s'est englué avec une série de figurantes voilées qu'il déplaçait comme des pions sur un échiquier sans que cela soit convaincant.

Costumes, Hervé Poeydomenge

Et puis, il en a fait un peu trop dans le genre farce : on avait compris que le comte est un obsédé sexuel, et que Cherubino ne pensait qu'à "ça" : point n'était besoin de transformer tous les chanteurs en bêtes en rut, ni de leur faire passer leur temps à farfouiller sous les jupes des dames. Cela finissait par être lourd et, justement, cette pesanteur sied mal à Mozart !


Par contre, le lendemain, la mise en scène de Don Juan était parfaite. Dans l'excès, mais parfaite ! Il s'agit en fait de la reprise du Don Giovanni déjà présenté sur cette même scène en 2002 (en coproduction avec le théâtre de Caen). L' approche se veut contemporaine, grâce au décor épuré de Philippe Casaban et d'Eric Charbeau, pensé comme une page blanche sur laquelle s’écrit le drame. 

Quant à Laffargue, il a fait du séducteur irrésistible qu'est parfois le héros de l'opéra, un salopard de la pire espèce, dont seule Donna Anna est désespérément amoureuse, les autres ne cédant à ses avances que par peur et par contrainte. Souvent, les femmes ont un rôle ambigu dans Don Juan, elles minaudent, disent non mais pensent oui, et finalement il y a souvent une sorte de complicité passive dans leur façon de céder. On est souvent gêné de leur duplicité. Là, pas de quartier : l'homme est brutal, violent, imbu de lui-même, il achète son valet en lui donnant quelques lignes de coke, et il tonitrue de bout en bout avec une outrecuidance qui en fait un personnage franchement haïssable.


Et la fin imaginée par Laffargue prend tout sa justesse quand on admet, avec lui, que le cas est pathologique. Le chanteur qui interprétait le rôle titre, Teddy Tahu Rhodes, était superbe : non content d'avoir une voix ample et imposante, quoiqu'assez peu mélodieuse, il avait une présence sur scène, un abattage, un dynamisme qui en faisaient le personnage idéal pour ce rôle démesuré. Charismatique et très sexy, il s'est taillé un triomphe à la taille de la prestation imposante qu'il nous a offerte. Et sa musculature, à l'identique de sa voix, impressionnante, a sans doute déchainé encore plus les spectatrices féminines (et oui, les mamies ne sont plus ce qu'elles étaient !... allons je plaisante, c'était dimanche après-midi, et le public des matinées est nettement plus jeune que celui du samedi soir !!). J'avoue que nous l'avions déjà vue en 2002, mais avec Teddy Tahu Rhodes, cette mise en scène prend une dimension nettement plus magistrale. Mention spéciale pour la donna Anna très respectable de Jacquelyn Wagner.


* la première violoncelliste de Don Giovanni a, elle aussi, réussi une superbe basse continue d'accompagnement de Zerlina, mais je n'ai pu trouver son nom : sa collègue l'a discrètement applaudie à la fin !

2 commentaires:

  1. On pouvait voir les costumes créés par Hervé Poeydomenge à la médiathèque d'Orthez jusqu'au 20 juin je crois que c'est Catherine qui m'en avait parlé
    Quant à Mikhail Tatarnikov ,outre le fait qu'il a une belle "gueule" son talent n'est pas trop contestable au vu de ses engagements.
    J'avais lu à l'époque d'excellentes critiques pour Les Contes d’Hoffmann au Komische Oper Berlin.

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  2. Beau week-end opératique en tout cas! Cela ne doit pas être facile pour faire s'accorder (au propre et au figuré!) tout ce petit monde en si peu de temps souvent!

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