samedi 18 août 2012

HENRI MARTIN 2 - Une exposition rare à Cahors


Lors de la vente de la collection Paul Riff, le musée Henri Martin, grâce à des décisions de préemption imposées par l’État, a réussi à acquérir 16 des toiles mises en vente. Il fallait les exposer pour montrer aux lotois et aux autres ces nouvelles acquisitions. Le conservateur, conscient du caractère exceptionnel de l'événement et désireux de rassembler une dernière fois la collection constituée par le magistrat douaisien, obtint des autres acquéreurs, Musée des Lettres et Manuscrits, particuliers français et étrangers, le prêt des toiles emportées lors de la vente, le temps d'une exposition très émouvante et fort riche. J'ai compté 67 toiles dans les trois salles que le musée, déjà occupé par deux autres expositions *, a consacré à l'exposition. 17 appartenaient déjà au musée de Cahors. Une bonne trentaine provenaient de la collection Riff. D'autres enfin ont été prêtées par des musées français pour l'occasion, Bordeaux, bien sûr, Douai, mais aussi Orsay qui a envoyé ce sublime auto-portrait du peintre à contre-jour, qui me ravit chaque fois que je le vois (et pas parce qu'il ressemble à Alter !!). Quelle chance ont les cadurciens d'avoir accès, jusqu’au 31 août, à cet ensemble exceptionnel de toiles qui nous a fait nous précipiter, toutes affaires cessantes et dès que je l'ai su, dans la capitale du Lot. Malheureusement le caractère un peu improvisé de la manifestation, l'absence presque totale de communication sur le sujet et la passivité générale dès lors qu'un événement n'est pas "tendance" font que le musée est d'une tranquillité certes fort agréable, mais bien décevante !! Si vous avez l'occasion de passer près de Cahors, n'hésitez pas, il FAUT y aller !


La première salle montre les toiles déjà en possession du musée, mais qui méritent largement qu'on s'y attarde. 


Henri Martin avait une vigne qui produisait sans doute, on n’avait pas à l’époque une grande pratique de l’œnologie, une méchante piquette, mais il ne supportait pas qu’on critique son vin ! En 1927, il expose au Salon le triptyque des Vendanges, en 1928 un panneau représentant des ouvriers fouissant les vignes et, l’année suivante, « Labeur, préparation des vignes en Quercy ». Le président du Conseil Général du Lot lui avait en effet obtenu une commande, qui sera officialisée en 1930 et qui décore aujourd’hui l’escalier d’honneur de la Préfecture du département, sur le thème de la vigne, grande richesse locale. Ce petit panneau est certainement une étude préparatoire pour cette commande officielle, et traduit avec légèreté l’éblouissement que le peintre ressentait devant les vignes à l’automne, vignes dont « l’adorable incendie » le ravissait d’autant plus qu’il avait une connotation nostalgique : les vendanges marquaient, à Marquayrol, le signal du retour sur Paris.



Une seule représentation de Collioure à l’exposition alors que les toiles d’Henri Martin sur ce thème sont nombreuses. Celle-ci, intitulée « Barques à Collioure », appartenait déjà au musée de Cahors et insiste sur la lourde silhouette de la résidence des rois de Majorque, qui scande la composition. Vue de près, on est ébloui par la touche dansante, qui brouille la vue des coques et des mâts... il faut reculer de quelques pas pour distinguer clairement la scène, vivante, malgré l'absence de représentations humaines, et fort joyeuse.



Une des œuvres majeures du musée de Cahors avant son enrichissement, ce petit matin calme sur Labastide du Vert est sans doute une de nos toiles préférées : on s’y émerveille, avec Martin, du lever du jour dans la vallée du Vert, où de légères colonnes de fumée disent le réveil des hommes et le commencement d’une journée de labeur.

Une ingénieuse présentation en dos à dos permet d'admirer le soleil sur les pierres dorées d'une humble maison de Labastide du Vert, tel qu'Henri Martin aimait à le représenter, friand des jeux de lumières et des tonalités différentes selon les heures du jour.


D'autres toiles, en particulier de Saint Cirq Lapopie où le peintre acquit une maison en 1912, lançant la mode parmi les artistes de ce village perché qui surplombe le Lot, des toiles de jeunesse, l'autoportrait au chapeau et le monument aux morts de la ville de Cahors, injustement refusé par les édiles qui le trouvèrent trop original, permettent d'arriver tout doucement dans la salle aux inédits : des peintures jamais vues d'Henri Martin et dont certaines sont des merveilles.


Conservées à l'abri des agressions par des vitres protectrices, souvent dans leur encadrement d'origine voulu par le peintre **, les toiles de la vente sont exposées "en l'état", excellent au demeurant, et viennent admirablement illustrer la carrière du peintre. J'ai déjà parlé de la pièce maîtresse de la vente, la Jeune Fille au Bassin de Marqueyrol mais d'autres sont aussi intéressantes. Je vous livre les plus belles (selon mon goût, bien sûr !)


Cette Fillette cueillant des fleurs", datée de 1894, est présentée dans un cadre en chêne peint en gris à décor de colonnettes et moulures, probablement de Bellery -Desfontaines. Dédicacée à la femme de Paul Riff (on lit en bas, à droite, "à Mme Paul RIFF respectueux hommages") elle pourrait bien représenter Pauline, la fille du couple à l'origine de cette succession. L'enfant tient à la main un bouquet de jonquilles qui suggère le printemps. Le délicat contre-jour qui auréole la fillette, l'ombre projetée qui donne sa profondeur à la composition réalisée en contre plongée, font de cette scène banale un véritable poème à la jeunesse et à la nature.



Cette peinture intitulée Amour et datée 1894 illustre bien les rapports qu’a entretenu un court moment Henri Martin avec le mouvement Rose-Croix fondé en 1891 par Joséphin Péladan (1858 -1918).
La première exposition a lieu en 1892 à la Galerie Durand-Ruel où expose Henri Martin. Ce courant traduit une volonté de revenir à l’idéal et au spirituel en art, par opposition au matérialisme contemporain et au réalisme pictural.
Dans cette œuvre, Henri Martin révèle un jeune enfant ailé portant un carquois symbolisant l’Amour, entouré de motifs décoratifs végétaux. Les plumes de paon symbolisent la beauté, les roses la passion, le lys qu’il tient dans la main la pureté. Cette représentation mystérieuse de l’enfant en symbiose avec la nature est caractéristique de l’imagerie symboliste et de la recherche d’idéal du mouvement Rose-Croix. Mouvement éphémère d’ailleurs, et que notre peintre quittera bientôt, puisqu’il exposera pour la dernière fois dans ce groupe en 1895.
***


La "Rêverie automnale" est datée de 1900. Elle est pourvue d'un cadre de Bellery-Desfontaines, simple, aux
proportions élégantes et à vue cintrée, dont les végétaux sculptés complètent la symbolique de la peinture.
La figure de Rêverie Automnale semble se fondre dans la forêt qui l’entoure, absorbée dans ses pensées et abandonnée, son corps suivant la ligne des arbres, eux-mêmes se courbant sous son appui, créant une osmose entre figure humaine et paysage. Toutefois Henri Martin ne se contente pas d’une impression mélancolique, mais complète celle-ci par une exécution libre, dans des tons chauds et purs d’orangé, de jaune, de bleu et de vert, comme un dernier rayon de soleil frappant avant la nuit.***


"La Charité", une toile de 1895, surprend par son côté éthéré et mystique chez ce peintre qui deviendra bientôt le peintre du quotidien, fut-il embelli par la magie de la lumière. Regardez bien, ce n'est pas une simple maison !
Le choix de la représentation du tableau intitulé Charité dévoile le double cheminement suivi par Henri Martin vers le milieu des années 1890. La scène est située devant une vieille maison en pierre, sûrement à Labastide -du -Vert, que l’on retrouve dans d’autres compositions de l’artiste. Toutefois le peintre ne représente pas la simple vue d’un village, il idéalise son sujet par l’ajout d’un ange survolant la porte, laissant au spectateur le choix d’interpréter la signification de cette présence surnaturelle, ce dernier n’étant guidé que par le titre de l’œuvre. Cette composition réunit les deux passions de l’artiste à cette époque, symbolisme et paysage rural, en un rendu très nuancé des harmonies colorées.***

A SUIVRE

Avec ou sans lunettes, entre lotois, fut-ce d'adoption, on se reconnait et on s'apprécie !


Notes :
* prévue certainement avant la vente de Rennes, une exposition fort intéressante, mais que nous n'avons guère eu le temps d'apprécier tant nous avions les yeux remplis des toiles d'Henri Martin, est consacrée à Louttre B., le fils de Roger Bissières, mort en avril 2012. Ses grandes compositions abstraites, aux couleurs flamboyantes, occupent la majorité des salles du musée, ne laissant que peu d'espace à Henri Martin. Par ailleurs, une exposition sur l'Art Dogon, est installée dans la chapelle du musée, où les pièces rituelles et usuelles de cette peuplade malienne voisinent de façon inattendue avec les ors d'un tabernacle XIXème ! Qui a dit que le musée de Cahors était un "petit" musée ??? Encore une fois courrez-y, l'été est propice !!

Entre quelques œuvres "classiques" d'Henri Martin, plutôt de jeunesse, le portrait du peintre tel qu'on le voit rarement, la barbe sombre et svelte, campé par son ami Bellery-Desfontaines.

** de nombreuses œuvres sont entourées de cadres en bois sculpté, réalisés en s'inspirant du thème du tableau par Bellery-Desfontaines, peintre, illustrateur et décorateur, qui travailla beaucoup pour Martin et fit même un portrait de lui, qui figure dans l'exposition.

*** d'après le catalogue de l'exposition, rédigé par Michel MAKET Expert, Membre du Syndicat Français des Experts Professionnels en Oeuvres d’Art et Objets de Collection - 17, avenue de Messine - 75008 Paris 

4 commentaires:

  1. Cette maîtrise de la couleur et de la lumière est vraiment extraordinaire et je suis carrément sous le charme, totalement séduite par cet artiste dont je connaissais le nom, mais pas l'oeuvre.
    Je craque complètement pour la vigne automnale, Collioure, les paysages au soleil levant ou couchant et la petite cueilleuse de jonquilles.
    Quant aux dernières photos, je me demande bien pourquoi le reflet d'Alter porte un chapeau dans le miroir alors qu'il n'en a pas en réalité.... ;-)
    Je rigole, mais la ressemblance est vraiment saisissante !

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  2. Oh oui, la petite cueilleuse de jonquilles, quelle délicatesse dans la lumière, quelle poésie dans la mise en page, quelle douceur dans le rendu !! tu te rends compte qu'il y a un heureux mortel qui s'est offert cette toile (heureux mais riiiiiche !!!)
    J'ai éclaté de rire avec ton histoire de chapeau !!! Tu comprends pourquoi Alter adore Martin, je plaisante aussi car quand j'ai connu Alter, il y a presque 40 ans, il ne jurait déjà que par Henri Martin et n'avait pas de même look qu'aujourd'hui ! mais qui sait, peut-être son admiration est-elle teintée de sympathie pour l'homme !!

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  3. bravo,
    pour information, une vente de tableaux d'Henri MARTIN aura lieu à Saumur le 1er décembre 2012, voir catalogue sur www.ivoire-saumur.com

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    1. Ah ah, merci beaucoup pour cette info, quoique je n'aie guère les moyens de m'offrir un Henri Martin, c'est intéressant. Ravie de vous avoir intéressé

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