mercredi 1 août 2012

MISIA LA MUSE exposition Misia Reine de Paris



Que diriez-vous si votre maman, 77 ans, (ou votre grand-mère) se faisait arrêter pour consommation de drogue et passait une nuit au poste ? Vous seriez sans peine choqué(e) de cette indignité et forcément incrédule devant une telle inconséquence ! C'est pourtant ce qui est arrivé à la belle Misia, à un âge, surtout à l'époque (1949), où les mamies se consacraient plus volontiers à la confiture qu'à la culture du chanvre indien !

 
Il faut dire qu'elle n'était pas conventionnelle cette femme-là, et qu'elle n'en était pas à une provocation près. L'exposition que le musée d'Orsay lui consacre en cet été 2012 permet de découvrir plus avant tous les aspects de cette inspiratrice éblouissante que fut "Misia, Reine de Paris". L'argument de l'exposition insiste sur le fait que la belle, muse de toute une génération d'artistes, peintres (Vuillard, Vallonton, Toulouse-Lautrec, Bonnard, Renoir ...), musiciens (Fauré, Ravel, Stravinsky, Satie, Auric, Poulenc...), hommes de lettres (Mallarmé, Cocteau, Morand...), danseurs (Nijinski, Diaghilev ...) et même Chanel ... que cette femme donc, pour laquelle tous et toutes inventèrent, écrivirent, soupirèrent, au point de la nommer "opérateur artistique majeur", n'a jamais rien créé ni réalisé d'elle-même. J'avoue que le thème me semble un peu surfait et l'opposition simplement formelle, voire sans intérêt. Misia fut une inspiratrice, mais cela ne l'obligeait en rien à être créatrice. Et talentueuse, elle le fut, les faits sont là : c'était, quoique fort paresseuse et dolente, une pianiste hors pair qui s'avéra si douée pour l'interprétation qu'elle eut, à son arrivée à Paris, Gabriel Fauré pour maître. Bien jouer du piano n'est pas un mince mérite ! Quant à ses créations artistiques, elles restent modestes, mais elle aima, à la fin de sa vie, inventer des arbres miniatures avec du jade et du corailqui n'ont certes pas révolutionné l'histoire des arts mais qui prouvent qu'elle n'était pas si inactive que cela ! Pas au point de dire d'elle "le drame était son élément, sa forme cachée de créativité"*.
Cette remarque posée, l'exposition est absolument passionnante car Misia fut une figure emblématique du milieu artistique bouillonnant de la première moitié du XXème siècle, qui vit naître tant de talents et s'épanouir tant de nouvelles tendances.


Allumeuse, "aussi capitonnée qu'un sofa" selon Paul Morand, elle fascine ses admirateurs sans leur accorder grand chose : Toulouse-Lautrec aura tout juste le droit de lui chatouiller la plante des pieds avec ses pinceaux, Vuillard parviendra à la photographier durant sa sieste, suprême audace ! Elle refuse de poser nue pour Maillot, ou pour Renoir, n'acceptant de dévoiler à ce dernier que le haut de sa gorge ! Elle n'accepte très exceptionnellement de se dénuder pour Bonnard, uniquement pour se venger des infidélités de son second mari.


Et si Valloton parvint, semble-t-il, à ses fins, elle le lui fit sans doute durement payer, à en juger par l'amertume de ces planches dont l'héroïne est, sans conteste la "panthère sanguinaire", une femme en l'espèce peu recommandable et qui semble surtout faite pour faire le malheur de l'homme qu'elle séduit.


Et la hargne du peintre apparaît avec clarté quand, s'agissant de supprimer de ses négatifs en bois une pièce rectangulaire qui en détruise définitivement le retirage pour garantir l'impression limitée, il coupe systématiquement la tête de celle qui fut sa maîtresse !


Sa première période, quand elle est l'épouse de Thadée Natanson, l'époque que l'exposition qualifie de "la Revue Blanche"**, est celle des peintres, qu'elle enjôle et attire comme des frelons avides. Ils la peignent sous tous les angles, éperdus quand elle est à sa toilette (Valloton), frustrés quand elle somnole dans un fauteuil ou qu'elle n'offre que sa nuque à l'artiste (Vuillard), attendris quand elle baille à son petit déjeuner (Bonnard), dépités quand elle pose en robe du soir sur un sofa (Bonnard), émoustillés quand elle accepte enfin d'arborer un large décolleté (Renoir, dont la fine guêpe prétendra qu'elle a reçu une intense correspondance amoureuse, qu'elle aurait détruit). Elle devient la femme la plus portraiturée du siècle, voire de tous les temps.***
Encouragée par Natanson, en grandes difficultés financières avec son journal, à fréquenter Edwards, dont il espère quelques subsides et que Misia qualifie plaisamment "d'ogre", elle finira par quitter le premier, désargenté, pour le second, richissime. Il fait d'elle "la petite fille la plus gâtée du monde", mais n'est pas particulièrement raffiné dans ses mœurs amoureuses, et le couple tourne rapidement à l'aigre. C'est durant cette période qu'elle devient l'égérie de musiciens, qui, encore, composent pour elle : Ravel lui dédie ses Jeux d'eaux, écrit pour elle le Cygne, Satie lui offre ses "Trois morceaux en forme de poire"... elle inspira autant de notes que de couleurs. Elle trouve dans cette nouvelle forme d'art, qui est son territoire de prédilection, matière à se passionner. Riche, elle aide les artistes en difficulté : elle vole au secours de Debussy pour la création de Pelléas et Mélisande, elle mobilise le ban et l'arrière-ban de la société parisienne pour promouvoir les Ballets Russes, elle évite la prison à Satie qui avait insulté un critique à propos de Parade, elle sauve le Sacre du Printemps de coupes intempestives voulues par Diaghilev. En un mot, elle se passionne encore plus pour la musique qu'elle ne le fit pour les barbouilleurs !


C'est Diaghilev, pour lequel elle fut d'une grande générosité et sur qui elle eut un grand ascendant, qui lui présente José Maria Sert en 1908. Elle vient de se séparer d'Edwards avec lequel elle n'aura finalement été mariée que 2 ans, et devient la maîtresse, puis l'épouse de ce peintre décorateur inventif et prolifique dont nous avons admiré les toiles au Petit Palais il y a peu. C'est d'ailleurs pour avoir croisé Misia sur les murs de l'exposition Sert que nous avons eu la curiosité de la connaître mieux et décidé d'aller à Orsay ! Ce n'est pourtant qu'en août 1920 qu'elle deviendra Madame Sert. C'est alors la saison des écrivains : Marcel Proust en fait la princesse Yourbeletieff de Sodome et Gomorrhe et s'en inspire pour Madame Verdurin, Cocteau la campe en princesse de Bormes dans Thomas l'Imposteur et elle nourrit les journaux de Gide et de Colette, et apparaît dans bien d'autres livres encore****.


Mais le succès absolu est en train de décliner pour Misia : Chanel, dont elle fut l'ardent mentor et l'inconditionnelle "créatrice", vole soudain de ses propres ailes, n'hésitant pas par exemple à consoler "efficacement" Pierre Reverdy, victime des refus de Madame Sert. Cette dernière s'est démodée et la trahison de Sert, qui tombe éperdument amoureux d'une jeune russe, Roussy, la blesse d'autant plus que ce dernier fut sans doute le seul homme dont elle fut éprise. Après une tentative de ménage à trois dont Cocteau fit une pièce radiophonique sans concession (les Monstres Sacrés), la rupture est consommée et le divorce prononcé en 1927. Misia a 55 ans et elle est trop paresseuse pour relancer sa carrière de pianiste, malgré le succès obtenu lors de deux concerts salués par la critique. Sa vue baisse, elle se néglige, plus rien ne l'intéresse et elle s'adonne de plus en plus à la morphine. Elle mourra, relativement seule et amère, en 1950.


"Découvreuse, mécène et Pygmalion", elle fut certainement une des inspiratrices les plus fécondes du XIXème finissant et du XXème triomphant*****. Pourtant elle jouit d'une réputation assez terrifiante de croqueuse d'hommes, de monstre d'égoïsme, de caprices et de cruauté, de charme et de méchanceté, de talent et de paresse, de gaieté et de bouderie, bref une personnalité ravageuse et qui électrisait ses proches pour mieux les dominer. Une femme passionnante et dont il est étonnant de découvrir le poids dans l'art moderne, la lecture du catalogue de l'exposition se faisant comme celle d'un roman à multiples rebondissements. Si vous n'avez pas l'espoir d'aller à Orsay, attendez que le catalogue se vende sur Ebay et ainsi, découvrez Misia la Reine de Paris !



* Selon Claude Arnaud page 23 du catalogue
** Créée par les frères Natanson en 1889, cette publication culturelle et artistique attire les meilleures plumes et les artistes les plus novateurs de l'époque. Elle entretient une effervescence intellectuelle dont les débats touchent à tous les domaines, politique, artistique et social.
*** Selon Claude Arnaud page 28 du catalogue
**** La pêche aux souvenirs de Jacques-Emile Blanche, les Mémoires de Jacques Porel, les Comédies de notre temps d'Alfred Savoir et le Lierre de Pierre Brisson
**** Selon Claude Arnaud page 36 du catalogue qui ajoute : "Proust parlait d'un "monument d'histoire" dont Paul Morand prédit qu'il surpasserait en importance toutes les Mme du Deffand du XVIIIème siècle, dans la formation du goût. Cocteau invoqua "un génie vague, aérien", Porel "une sorte de lieu humain", on pourrait parler aussi d'un fluide comme l'absinthe, qui rendait génial et tuait à la fois."

9 commentaires:

  1. Ce n'est vraiment pas la peine d'être si adulée et terminer de cette façon !
    Une exposition qui doit bien refléter l'époque de Misia, non ?

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  2. Quel personnage et quel destin!

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    1. Une chipie, une capricieuse qui n'a rien de très sympathique mais qui a tiré son épingle du jeu avec brio !!

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  3. Je ne sais pas si cela vaut la peine d'attendre le catalogue que tu cites. Tu nous parles si bien de Misia que l'on a presque l'impression de connaître cette femme assez redoutable, il faut le dire. Quelle drôle de vie quand même.
    Je suis contente d'avoir une nouvelle fois élargi mes connaissances grâce à toi.
    Merci Michelaise !

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    1. Merci Oxy, c'est vrai que pour cette coquette pas très intéressante, un peu volage, très "peste" finalement, il suffit d'en savoir assez peu, le personnage n'a rien d'attachant !

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    2. Mais avec toi j'en ai appris beaucoup, crois-moi, et j'en suis ravie :-)

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  4. je n'ai pas encore eu le temps de feuilleter le catalogue que mon "amie" de chez Gibert m'avait mis de côté
    A mon retour je vais relire L'Allure Chanel

    "Misia est le goût même, si avoir du goût, c'est dire non."
    "Pour elle-même, qu'elle déteste, pour l'homme qu'elle sert, sa science tactique, sa stratégie publicitaire sont toujours en éveil. "
    Confidences de Chanel à Paul Morand

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    1. Tu auras peut-être aussi le temps de retourner voir l'expo !! Le catalogue est très intéressant, car c'est finalement le principal de l'expo !

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  5. Superbe reportage qui fait regretter notre immobilise forcé... j'aime beaucoup la dernière photo... quand il ne reste plus que le chien pour tenir compagnie.

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