dimanche 30 septembre 2012

CORPS ET OMBRE : TOULOUSE LA SOLUTION

Suite de : 

Presque toutes les chandelles du billet étaient l’œuvre de peintres du Nord, sauf trois ainsi que je l'annonçais.
VOICI LES PEINTURES DU NORD :


01 = cette aiguière en contre-jour, illuminée par une bougie qu'on ne devine que par la lueur qu'elle diffuse, est un détail de scène de repas réalisée par un anonyme flamand ou hollandais du dernier quart du XVIIème siècle. Elle a été prêtée par le musée de Colombus et intrigue fort les critiques. Car en effet, non seulement l'auteur en demeure inconnu, mais le sujet en reste mystérieux.


Difficile d'admettre en effet que le repas représenté soit uniquement le prétexte à exécuter une jolie nature morte, agrémentée d'un somptueux pâté en croûte et d'un riche vase aux courbes élégantes. Certains ont voulu y voir, à cause de la servante et de la surprise des protagonistes, un reniement de Pierre mais ce dernier ne dînait pas quand il nia être le disciple de Jésus. Les turbans orientaux ont fait imaginer des scènes bibliques, mais il me semble pas qu'il s'agisse d'événements impliquant Rebecca, Isaac, Jacob, Esaü ou Rachel, comme on a voulu le dire.
Une piste intéressante remarque qu'on peut dissocier les deux couples : le plus vieux, attablé et occupé par l'un des rares plaisirs qu'on partage encore à cet âge (??!!), manger et boire ; le plus jeune, en une muette complicité, semble lié par des préoccupations plus juvéniles, l'amour et ses complots. Le contraste des âges serait accentué par le choix des costumes, antiques pour les vieux, modernes pour les jeunes.On remarque que l'artiste a utilisé deux sources lumineuses, à la chandelle cachée de gauche répondant une bougie que la jeune fille protège précieusement de sa main droite.


02 = Cette peinture d'un anonyme flamand ne doit pas être vue comme celle d'un peintre secondaire : au contraire, attribuée dans un premier temps à des artistes reconnus, ce Saint Jérôme a peu à peu abandonné toutes ces attributions au motif que l’œuvre en question était encore supérieure à l'art de ces maîtres. Arpès l'avoir donné à Artus Wolffort, à Van Dyck, à Seghers, à Jordaens, on préfère aujourd'hui le déclarer anonyme, en attendant d'autres études. 


Ce nocturne, à la forte plasticité, au ténébrisme lyrique, présente une gamme éblouissante de coloris, éclatants et variés, une facture large et impressionnante et ne peut qu'être l’œuvre d'un très grand maître. Les chairs flasques du vieillard, les veines saillantes de ses mains, le visage marqué par le temps décrivent avec brio la médiation du saint devant les livres sacrés qu'il a traduits, sa main droite posée sur un crâne rappelant la vanité de toute chose.


03 = un détail d'un autre anonyme hollandais, de moins belle facture mais dont le sujet, la découverte du corps d'une femme suicidée dont le personnage barbichu brandit avec stupeur le dernier message, est original.


04 = Ce détail de la libération de Saint Pierre par un anonyme a beaucoup intrigué les historiens de l'art, tant son style est virtuose. On l'a attribué à Honthorst ou à Blomaert.


La touche est lumineuse, transparente et la composition audacieuse : le traitement du mur, crémeux, la description précise des lames du parquet, l'audace de la composition en font un oeuvre de très grande qualité. Que le pommeau de l'épée en contre-jour violent colore d'une touche rembranesque. 

 08 et 09 : Gerard Séghers dans une version un peu agitée du reniement de Saint Pierre, nous offre deux sources de lumière indirectes. 


L'une à gauche qui met en valeur le cri de surprise de la servante qui démasque le disciple de Jésus, l'autre à droite, au centre de la scène de genre qui accompagne souvent le thème : les soldats jouent aux cartes, indifférents au drame qui se joue près d'eux, et un ou d'eux d'entre eux manifestent par leur surprise ce que l'événement a d'inquiétant. Le soldat de dos profite manifestement de l'agitation provoquée par la menace d'arrestation de Pierre pour mettre la main sur l'argent misé et pour changer ses cartes dans son dos. La scène insiste sur la panique de l'apôtre, et les lumières violentes des deux chandelles ne nous épargnent aucune faiblesse humaine.


10 = un détail du repas d'Emmaüs de Matthias Stom. Le peintre a aimé le sujet puisqu'on dénombre 10 variantes du thème de sa main. 


Autrefois attribuée à Honthorst, la version présentée à Toulouse saisit par la bougie centrée, plantée au milieu de la scène de surprise générale, attendrit par le détail naturaliste du chien qui se hisse sur les genoux de l'apôtre de gauche, convainc par la puissance de sa nature morte qui rappelle, dans ce contexte pesant de la Contre-Réforme, le dogme de l'Eucharistie. La composition, simple et austère, présente une puissance dramatique intense et le naturalisme de Stom se teinte d'un certaine poésie, en particulier dans le regard émerveillé et surpris du garçon d'auberge.

11, 12, 13, 14, 15 et 16 = Gerrit van Honthorst aimait tant à représenter des chandelles qu'il en est devenu le spécialiste ! Ces détails du Christ aux outrages, du Reniement de Saint Pierre, de Samson et Dalila montrent combien il savait, en jouant du contre-jour et de l'effet lumineux, donner du sens et du relief à ses scènes.


ALORS LES INTRUS ??


07 = cette audacieuse décapitation d'Holopherne par Judith, peinte par Saraceni, plus italien que nature, a été peinte à Rome vers 1602-1603. La bougie, complétement invisible ici, démultiplie les effets lumineux et dramatise intensément la scène. 


Judith est d'une beauté incomparable, l'ombre portée sur son décolleté profond accentuant encore, s'il en était besoin, ses charmes ! La tête d'Holopherne est complètement dans l'ombre, presqu'insignifiante. Et la trouvaille est la représentation de la servante, qui émerge à peine de l'ombre, tenant dans sa bouche le bord du sac dans lequel Judith va déposer son forfait. Elle regarde sa maitresse avec un air totalement épouvanté que souligne l'éclaire venant du bas. L'ensemble est saisissant.


06 = la lumière entourée d'un papier dont on voit parait-il le filigrane, brandie par la servante d'Irène alors qu'elle est en train de soigner Saint Sébastien, est le centre de la délicieuse composition attribuée à un peintre inconnu, nommé à cause de cette toile, le Maitre à la Chandelle. On a pensé qu'il pouvait s'agir de Trophime Bigot, mais il semble que la réalisation soit de trop belle qualité pour lui être imputable. 


La scène est noble et presque mystérieuse. Les ombres sont profondes, denses et douces. Très au-dessus de ce que faisait Bigot. L'expression habitée des trois visages est dépourvue d'affectation et l'on pense à quelque grand maître italien encore mal documenté.


05 = le dernier intrus provient, comme les deux précédents de l'exposition de Montpellier, mais même là, était classé par les commissaires de l'exposition comme un intrus ! Car Georges de la Tour n'est pas un caravagesque. La salle qui lui est consacrée à Montpellier le rappelle honnêtement, parlant en ce qui le concerne "d'affinités électives" avec Caravage. 


Si certains critiques ont voulu démontrer qu'il était possible que de la Tour soit allé en Italie, un tel voyage n'a jamais été prouvé et rien, dans l’œuvre du maitre ne semble indiquer qu'il ait subi la moindre influence, autre que très indirecte, de son lointain prédécesseur. Certes la Lorraine n'est pas une province isolée, certes des copies de Caravage ont pu être à sa disposition, certes il a pu en entendre parler par d'autres peintres (Jean Le Clerc en particulier), mais rien ne les rapproche, si ce n'est une qualité étonnante de peinture et une personnalité hors du commun dans l'exécution de leurs toiles. Plus un certain luminisme, qu'on trouve conjugué à son apogée dans cette superbe Marie Madeleine à la flamme fumante, où la vive lumière fournie par la lampe à huile met en relief tous les éléments indispensables à une bonne compréhension du tableau. Les livres, la croix de bois, le crâne, la discipline insistent sur la conversion de la sainte et décrivent son intense repentir. Cette scène, réalisée avec une étonnante économie de moyens, est d'une éloquence spectaculaire. Quel bonheur de contempler de près cette superbe peinture d'ordinaire à Los Angeles ! Un des mérite du FRAME que de nous permettre une telle émotion.

A SUIVRE
Corps et Ombres : Montpellier fin

7 commentaires:

  1. Je n'ai meme pas de loin essayé de deviner, mais en revanche je trouve que les tableaux présentés à l'intérieur de ce billet sont l'un plus beau et plus intéressant de l'autre, surtout car tu sais si bien nous servir de guide !

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    1. Merci Siu de ton indulgence sans cesse ré-accordée !!

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  2. ces détails sont magnifiques, on redécouvre les tableaux, un vrai bonheur pour les yeux!

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    1. Ah oui, Eimelle, c'est dans le détail qu'on apprécie le mieux les toiles

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  3. Je suis content de voir enfin tous ces détails s'animer et prendre forme dans leur cadre d'origine. J'ignorais presque tous ces tableaux! J'espère que tu as conscience que ta devinette était tout simplement hors de portée (j'avais reconnu seulement la nature morte aux livres de la Madeleine de La Tour). C'est un peu comme si j'avais sorti 15 phrases de mes Essais de Montaigne, que je les avais mélangées avec trois autres de la Sagesse de Charron, et demander à mes lecteurs d'identifier les trois phrases mon montaigniennes!!!

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  4. Oui oui je sais GF ce n'était pas trouvable, c'était juste pour le plaisir de faire des détails de chandelles !! c'est tellement beau toutes ces flammes aux lueurs indirectes !! Il fallait, comme Robert, avoir le catalogue ou avoir vu l'expo, et encore, pour trouver la solution. Tu l'auras compris c'était surtout prétexte à publier des détails puis à les remettre dans leur contexte, sans trop ennuyer mes lecteurs !

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  5. Je n'ai même pas cherché tes devinettes! Trop forte Michelaise !!!!
    En tout cas tu as su éclairer ma chandelle, moi qui ai beaucoup aimé ces clairs-obscures sur place...

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