lundi 7 janvier 2013

GLIE SCIUSCIE DI GAETA


Le 19 décembre 2012, le roi du Sciuscio est mort, et ses amis l'ont enterré avec les honneurs dus à son rang. Giovanni Granata, dit Nino Cocchetto avait 83 ans et il avait fait partie de ceux qui ont relancé à Gaëta dans les années 50 la tradition de "Glie Sciusce"*. Et si vous voulez voir une sortie d'obsèques peu ordinaire, allez vers la 18ème minute de cette vidéo et vous verrez le cercueil de Cocchetto accompagné en joyeuse musique jusqu'à sa dernière demeure par de grands gaillards en larmes.

"Nous avions un roi, un roi particulier, et nous, brigands, nous l'avons toujours suivi... aujourd'hui ce sont ses obsèques, il n'y a personne pour représenter la ville, les grandes télévisions, nationales ou locales. Mais nous, nous sommes là, tousstes vieux amis, pour l'accompagner"

Mais qu'en est-il de cette tradition ? Le dernier jour de l'année, le soir de la Saint Sylvestre, des groupes de personnes de tous âges, sans aucune connaissance musicale, mais armées de bonne humeur, sillonnent la ville de Gaëta pour apporter à tous leurs voeux de bonne année, en chanson. Les instruments sont très frustes et les airs on ne peut plus simples. Le nom de cette sérénade “Gliu sciuscio”**, que l'italien contemporain tente d'itialianiser en sciuscio; sciusce, sciuscia, sciusciata..., est une expression dialectale qui semble dériver du mot Sciuscella, caroube, qui se produisait en grande quantité sur les collines pierreuses de Gaëta, mêlés aux oliviers. L'une d'entre elle est une sérénade dédiée à François  II de Bourbon et date des années 1860. La reine Sophie y est aussi parfois chantée.


Relancée dans les année 1950 par un groupe de copains désireux de faire revivre cette tradition ancienne, un peu oubliée (la dévotion aux Bourbons dans les années 50 était tout de même un peu oubliée !), l'initiative de la reprise des sciusciate à Gaëta a immédiatement connu un succès tel qu'aujourd'hui il serait impensable de vivre une saint Sylvestre Gaetanne sans ces "concerts" de bonne année. Ce fut un succès immédiat et s'appuyant sur les souvenirs de la population locale, en particulier des personnes âgées qui se souvenait de cette tradition, les groupes ont refleuri. 

A tous bonne année !!  
On voit sur cette vidéo tous les instruments improvisés pour ce genre de sérénade : de grands ciseaux qu'on claque en cadence, une sorte de bassine dans laquelle on fait monter et descendre un long bâton, des marteaux aux formes bizarres, de simples sifflets, des grelots et quelques instruments traditionnels qu'on n'hésite pas à quitter pour chanter. Les instruments en fait sont à l'origine improvisés et c'est pour cela qu'on y retrouve des formes d'outils plutôt que de violons ! L'important est de faire du rythme !
Informations de Siù : Parmi les instruments j'ai reconnu le triccheballacche et le putipù -ce dernier dit aussi caccavella, et je viens de découvrir qu'il existe aussi un format de pâtes qui porte ce nom, de ma part totalement inconnu lui aussi, le voilà


 

Et normalement, on ne se produit pas sur une scène, mais bien en déambulant dans la rue, de maison en maison, d'atelier en atelier. Et tout le monde peut participer, les enfants, les jeunes, les vieux, qu'importe... tous se souhaitent la bonne année sur un rythme de tarentelle et chantent à qui mieux mieux.

La seule vidéo de Nino Cocchetto le montre déjà octogénaire et certainement moins fringant qu'à ses débuts, mais toujours aussi convaincu :


Cocchetto est mort le 19 décembre 2012 et le sciuscio continue sans lui : certains font dans le folklorique, costumes et micro à l'appui :



Mais le "vrai" sciuscio est plus "nature", presque spontané, comme celui des "Eredi del Re". Il m'a semblé reconnaitre sur la dernière vidéo mise en ligne par Brigante del Sud les amis présents le 19 décembre aux obsèques. Et cette vidéo montre les "héritiers du roi" en train de donner la sérénade au patron de "Illiano Pesca, entreprise de mitiliculture, gros et détail".  Car c'est bien la mission que s'assignent ces joyeux drilles, porter à tous les vœux pour la nouvelle année à la famille, aux collègues de travail, aux amis, en chantant juste ou faux, mais avec tout son cœur !

Auguri ...

 
Nui simme glie pòvere pòvere e venimme da Casorie; Casorie e Messine simme glie pòvere pellegrine. (ils viennent de loin les chanteurs de Sciuscie !)
Ogge è calanne, dimane è gli anne nuove, buoni e buon anne cu nu buon principie d'anne.
Buoni e buon anne cu nu buon principie d'anne. (oui, oui ça veut dire bonne année !!!)
Ogge è San Servieste, dimane magnimme prieste, venimme da luntane per purtà stu buon signale.
Venimme da luntane pe purtà stu buon signale.
Ohi Patrò (on dit ici le nom du patron de la maison à laquelle on est venu chanter la romance), dacce nu sciusce, annanze che s'ammosce dacce quatte fiche mosce. Annanze che se secche dacce quatte pere secche.(et un petit truc à grignoter, même 4 poires sèches, nous fera plaisir !)
Ohi patrò (nom) caccia gliu buttiglione che cu nu bicchiere aprone s'è fenute gliu buttiglione. (et bien sûr, un petit verre de vin ne sera pas de refus !!

Je ne pratique nullement, malgré mes origines "pur jus", le dialecte de Gaëta, et mes suggestions sont approximatives, mais remarquez combien, angevin aidant, cela ressemble au français : "Nui simme" pour "nous sommes", bien plus proche donc du français que de l'italien "siamo". Donc vous pouvez comprendre aussi bien que moi ces textes désuets.


* Prononcez " li chiouchie"
* Une thèse a même été écrite en 2000, Théâtre et Fêtes populaires dans le Sud Pontino par Patrizia Stefanelli, qui parle de "Glie Sciuscie" et tente d'en retrouver la tradition, de l'expliquer et de la définir... spectacle folkolrique, tradition populaire, émanation d'un certain communautarisme ... 

PS je n'ai jamais vu Glie Sciuscie à Gaëta, mais certains d'entre vous comprendront, au-delà de l'anecdote, de l'hommage à Cocchetto et des vœux implicites, quoique tardifs, que contiennent ce billet, la raison qui m'a poussée à l'écrire !

7 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas cette petite ville du Latium, ni sa tradition...
    Heureusement, Wikipédia (et toi !) m'ont permis de me sentir un peu moins ignorante...
    Bonne journée, Michelaise !

    RépondreSupprimer
  2. La ville de mes grands-parents ! Partis au début du XXème pour fuir la pauvreté ... et installés à Marseille, ouf !! on a évité l'Amérique

    RépondreSupprimer
  3. Certains se perdent dans les dédales de la vie, ne s'inquiètent de rien et sans renier vraiment leurs origines, s'appliquent tant bien que mal à les ignorer.Quelle tristesse!
    D'autres, au contraire, savent bien dans quelle terre leurs racines ont pris leur élan , dans quel substrat elles ont puisé leur force.Bien qu'elles soient lovées au creux de nous,il faut parfois un peu de temps ( parfois juste un accident de la vie) pour reconnaître la puissance de ces racines-là.
    " Pur jus" oui et c'est une vraie richesse d'autant que ce 'jus-là, tu le revendiques.Ce n'est pas moi qui te retiendrai...j'ai toujours su d'où je venais mais c'est à 40 ans seulement que j'ai vraiment compris le sens et la valeur de mon patrimoine wallon.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Papa avait honte de ses origines "ritales" mais une génération plus loin, cela ne fait plus le même effet !! D'autant que je suis, comme il l'était aussi, très fière d'être française... enfin quand je n'écoute pas trop les médias car par moments, j'ai, en tant que française, un peu honte de nos histrions et de nos préoccupations "peopl...iques" !! Mais cela va bien finir par passer ...

      Supprimer
    2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

      Supprimer
    3. J'aurais dû écrire " aujourd'hui, certains se perdent...et surtout préciser que je pensais plus à "patrimoine et folklore" ( ce à quoi m'a fait penser ton billet) qu'à une nationalité.

      Pour ce qui est de ton papa, c'était l'époque qui permettait cette "honte" qu'il ressentait.Malheureusement.

      Pour la suite...le ridicule ne tue pas, heureusement pour un certain "tovarich"...beaucoup de bruit pour rien.

      Supprimer
  4. Comme tu t'en doutes j'ai mis un peu de temps mais, un point d'honneur a regarder et surtout a écouter TOUTES les vidéos.
    Quel régal! Et que cette tradition est émouvante et en même temps joyeuse.
    Je connaissais bien Gaëta pour ses olives et certaines recettes de sa gastronomie mais, je n'avais jamais entendu parler de cette coutume traditionnelle.
    Je connais par contre les pâtes qui sont les plus grandes pâtes existantes. Je suis une inconditionnelle des Gragnano.
    Cette forme se prépare farcie et c'est délicieux.
    Merci beaucoup pour ce billet très original et qui nous a plongé dans tes belles racines.
    Gros bisous Michelaise et belle soirée.

    RépondreSupprimer

Pour vous aider à publier votre commentaire, voici la marche à suivre :
1) Écrivez votre texte dans le formulaire de saisie ci-dessus
2) Si vous avez un compte, vous pouvez vous identifier dans la liste déroulante Commentaire
Sinon, vous pouvez saisir votre nom ou pseudo par Nom/URL

3) Vous pouvez, en cliquant sur le lien S'abonner par e-mail, être assuré d'être avisé en cas d'une réponse
4) Enfin cliquer sur Publier

Le message sera publié après modération.

Voilà : c'est fait.
Et d'avance, MERCI !!!!

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...