dimanche 31 mars 2013

FONTANA DELLA BOTTICELLA


L'affaire remonte au Pape Grégoire XIII Boncompagni, celui-là même auquel on doit le projet de la restauration de l'aqueduc de l'Acqua Vergine*. En 1572, pour célébrer dignement ce système d'alimentation en eau de sa ville, Grégoire projeta de faire réaliser 18 fontaines éparpillées dans le tissu urbain. Dont une qui devait se trouver près de l'Ospedale delle Celate (qu'on pourrait traduire par hospice pour les filles-mères). Pourtant il fallut attendre plus de deux siècles pour que ce dessein se réalise. 


En 1774, à l'occasion de la restauration de l'hospice, la Camera Apostolica jugea qu'il fallait accroître son alimentation en eau potable et l'on décida alors de réaliser à proximité une nouvelle fontaine. Sans doute pour disposer de plus de subsides, on adjoignit au projet la confraternité des aubergistes et des bateliers de l'ancien port de Ripetta où accostaient les navires chargés de marchandises en provenance du Haut Latium. 


La confraternité décida donc du motif de cette construction érigée en face de l'église Saint Roch, en hommage à ceux qui, alentour, déchargeaient bois, vin, eau, légumes et fruits arrivant à Rome par voie fluviale. De toutes ces marchandises, la plus convoitée était le Vin, en provenance de nord de la région. Ornée d'un tonneau de belle dimension, la fontaine présente dans sa partie haute une figure de porteur de vin, reconnaissable à son béret posé de côté, coiffe caractéristique de la corporation. 


L'inscription qui surmonte le bâtiment rappelle que le commanditaire officiel en fut le pape Clément XIV (1705-1774). Mais ce qui attire l'attention est la particularité épigraphique du cartel : les chiffres n'observent pas la tradition d'écriture à la romaine et on a bien du mal à en déchiffrer la date exacte, entre les C à l'envers et les I qui se multiplient ! A l'exemple du numéro du pape, devenu en l'espèce XIIII. 


Quand, dans les années 30, on entreprit les travaux de mise en valeur du mausolée d'Auguste, on détruisit une grande partie des édifices de la zone, mais on prit soin de sauver la fontaine pour l'installer à sa place actuelle, isolée dans une niche de l'arc qui relie les églises Saint Roch et Saint Jérôme des Esclavons. 


Une autre fontaine romaine, située Via Lata (entre le Collegio romano et la Via del Corso) s'orne, elle aussi, d'un tonneau : c'est la fontaine du Facchino. Adossée au mur de la Banca di Roma, c'est l'une des 6 statues dites "parlantes"** de la ville. Attribuée à tort à Michel-Ange, elle fut en fait réalisée par Jacopo del Conte en 1580 pour la corporation des porteurs d'eau. Si certains voulurent identifier Luther, la tradition romaine préférait y reconnaitre Abbondio Rizzio, un porteur d'eau célèbre pour sa consommation de vin! Une inscription latine lui dédiait, dit-on, la fontaine : "Abbondio Rizzio vécut tant qu'il put et il mourut un jour sans le vouloir, pendant qu'il portait un baril de vin sur les épaules et un dans le ventre! ".



* Aqueduc terminé par son successeur Sixte Quint et qui nous vaut, entre autres, l'horrible fontaine de l'Acqua Felice dont je vous ai déjà parlé dans "Mort de honte" !!

** Ce sont des statues qui sont devenues, par la malice du peuple romain, la bouche et les oreilles de Rome. Les gens prirent en effet l’habitude d’y placarder des critiques et satires à l’encontre du gouvernement et de ses représentants. Une satire en appelant une autre, les statues furent vite couvertes de petites feuilles dénonciatrices, régulièrement arrachées par les autorités et réapparaissant régulièrement.
On compte à Rome 5 autres statues parlantes :
- Le Pasquino, copie d’un groupe héllenistique de Pergame, représentant Ménélas et Patrocle, à l’angle de la Via del Pasquino et de la Via San Pantaleo, tout proche de la piazza Navona
- Marforio, personnage de la Rome impériale, allongé sur un triclinium, dans la cour devant l’entrée des Musées du Capitole
- Madame Lucrezia, buste de la fille de Nicolò d’Alagno, Sénateur de Rome en 1428, à l’angle de l’église S. Marco à Palazzo Venezia
- Babuino, statue de silène, via del Babuino ;
- et le Scanderbeg, prince albanais Georges Castriota Scanderbeg (transformé en Scannabecchi par les Romains) sur la façade de son palais, dans la ruelle Scannabecchi.

vendredi 29 mars 2013

TITEN ROME 2013 - Les accessoires

Pour vous reposer des considérations parfois un peu trop développées sur l'exposition Tien aux Scuderie de Roma, une autre suite de détails, ces savoureux accessoires dont Titien n'était pas extrêmement friand et qui n'en ont, dans sa peinture, que plus de saveur.


jeudi 28 mars 2013

TITEN ROME 2013 - Les autoportraits



Il est toujours émouvant d'admirer, dans une exposition, des autoportraits du peintre exposé. Certains se sont adonnés à cet art avec délectation, voire avec complaisance.
Ce n'est pas le cas de Titien, dont on connait peu ou pas de portraits jeune mais qui se représenta surtout durant les dernières années de sa vie, les autoportraits prenant alors une couleur de réflexion sur la vieillesse, encore plus touchante et émouvante pour le spectateur d'aujourd'hui.


Dans l'autoportrait de 1562 de Berlin, Titien ne respecte pas la pose classique, tournée vers le spectateur et l'englobant en quelque sorte dans le tableau en le sollicitant du regard. Aucun recours au traditionnel miroir qui permettait aux peintres de s'auto-représenter. Ici, Titien est appuyé sur une table, la main droite donnant l'impression de pianoter avec impatience sur la table, comme s'il était impatient d'avoir à garder la pose. Impression accentuée par la main gauche posée sur son genou, dans l'attitude de celui qui s'apprête à se lever. Ces mains, d'ailleurs, la qualité de la photo permet mal d'en juger (désolée pour les reflets,pas moyen de les éviter pour celle-là), sont juste esquissées, à peine finies, comme le fond, voire même l'habit, suggéré à grands traits nerveux. Toute l'attention du peintre s'est portée sur le visage, au regard aigu et intense, perdu dans un lointain auquel nous n'avons pas part.


C'est la vivacité et l'intelligence de ce regard qui, depuis des siècles, fascine les critiques. Rien de consensuel dans cet autoportrait : aucun instrument de travail venant rappeler le métier de l'homme, aucune déférence à l'égard du spectateur, aucune tentative de séduction ou d'affirmation de sa propre valeur. L'homme est là, puissant, vif et "vert" pour son âge, on sent qu'il ne peinera pas à se lever et que son corps est parcouru d'une énergie sans faille. Jodi Cranston a dit qu'il s'agit d'un portrait à "la troisième personne" : il a raison dans le sens où le "je" ne tient nulle place dans cette représentation volontairement distante, sans fioriture et sans ego surdimensionné. Mais pourtant Titien ne s'est pas vraiment peint comme un tiers. Il habite ce portrait de toute la force de son âme, qu'on devine profonde à travers ces yeux qui regardent vers l'infini.
Ce portrait, vraisemblablement à usage privé et destiné à rester dans la boutique de l'artiste 1, concentre donc toute l'attention du spectateur sur l'homme, et s'attache à être expressif, empreint d'une charge émotive très lourde. Le peintre est inspiré, et la toile est presque une représentation métaphorique de "l'idée", de la "pense" qui l'animent. Ce portrait induit chez le spectateur la conscience de la difficulté du travail de l'artiste et la prise de conscience du labeur que ce métier implique.


Le portrait de Madrid, peint 10 ans plus tard, montre un homme plus statique, l'élan qui animait le sujet de Berlin s'est tari. Tenant un pinceau dans la main droite, l'artiste a toujours un regard lointain, mais moins vif, plus rêveur. Le profil en médaille, tout à fait inédit pour un autoportrait, charge l’œuvre d'une signification toute différente : alors que le portrait de Berlin est une sorte de message didactique sur la nécessité d'aborder l'art avec une énergie jamais prise en défaut et une vigilance consciencieuse, celui de Madrid est plutôt prévu pour "graver dans le marbre" le profil hiératique de l'artiste. Il s'adresse à la postérité et c'est sans doute ainsi que l'a senti Rubens qui en a été l'un des premiers propriétaires. C'est une image idéalisée, quoique vieillie, sans concession mais magistrale. Le peintre est, ici, plus un visionnaire qu'un actif, il a depuis longtemps fait ses preuves et peut s'affirmer comme une référence, un modèle à l'aune duquel les générations futures pourront se mesurer.



Les traits sont creusés par l'âge, l'ossature est proéminente : on lit ici l'empreinte impitoyable du temps sur cet homme qu'on devine altier, et toute cette misère physique que la vieillesse a gravée sur ce visage est transcendée par le dard du regard, illuminé de l'intérieur. C'est une affirmation de son inspiration "divine", étayée par un réel espoir d’une renommée au-delà de la mort.


Il existe, nous l'avons dit, peu d'autres autoportraits du peintre, mais les critiques se sont plus à le reconnaitre dans un certain nombre de ses oeuvres où il se serait représenté en figurant. Pas de doute que ce soit lui qui figure sur le triple portrait du "Temps gouverné par la prudence", toile qui a toujours passionné les observateurs par les multiples messages qu'elle contient. Le sujet en est complexe et requiert une double, voire une triple lecture. En effet il s'orne d'une inscription qui, d'emblée, pose le débat : "Ex praeterito / praesens prudenter agit / ni futura actione deturpet" ("Informé du passé, le présent agit avec prudence, de peur qu'il n'ait à rougir de l'action future"). Il nous invite donc, dans une leçon morale très en accord avec l'état d'esprit des humanistes, à conjuguer mémoire, qui se souvient du passé et en tire des leçons, intelligence, qui juge du présent et agit sur lui, et prévoyance, qui anticipe sur l'avenir et arme pour ou contre lui. Tous ces modes de pensée invitant donc, comme la littérature classique le souligne 2, à cultiver la prudence pour agir sur le temps. Cette allusion au temps est amplifiée par la représentation évidente des trois âges de l'homme, que les artistes aimaient à représenter sous forme symbolique. On admet aujourd'hui  3 que ces trois portraits sont familiaux : Titien à gauche, son fils Horace au centre et un neveu éloigné, Marco, à droite. Cette interprétation ajoutant au précepte gravé sur les cartouches l'espérance d'une hérédité artistique, idéal logique chez ce peintre âgé.


Certes, le visage de gauche est moins serein que celui de l'autoportrait de la même année, il est moins "idéalisé", plus décharné par la vieillesse, mais le temps étant le sujet de la toile, rien de très anormal que Titien ait accentué ici les méfaits de l'âge. L'autre aspect intrigant de l’œuvre est bien sûr la présence des trois têtes animales qui soulignent le message de façon assez énigmatique. On admet généralement qu'elles seraient d'inspiration égyptienne, reproduisant la divinité tricéphale de Sérapis, revue et corrigée à la sauce vénitienne. Le présent y est représenté par le lion, censé être fort et éperdu d'action immédiate, le passé par le loup, réputé rancunier et capable de se souvenir de souvenirs anciens, et le futur par le chien, attiré par l'avenir.


Un autre autoportrait a été identifié avec quasi certidude dans le Midas, qui assiste, désespéré, au supplice de Marsyas. J'ai déjà parlé de cette peinture impressionnante dont la richesse iconographique est, elle aussi, complexe. Allusion évidente au drame de Bragadin, elle retrace officiellement le malheur de Marsyas, dieu local de Phrygie, en concurrence avec Apollon, venu de Grèce. Il jouait d'une flûte à deux tuyaux, modeste instrument local, alors qu'Apollon jouait de la lyre à 7 cordes. C'est ainsi qu'il apaisa la tristesse de Cybèle, inconsolable après la mort d'Attis, son serviteur et peut-être aussi fils et amant. Ce succès mit en colère Apollon, qui le défia devant un jury composé des Muses. Ces dernières n’arrivant pas à départager les concurrents, Apollon proposa à Marsyas de jouer avec son instrument à l'envers tout en chantant. Marsyas, vaincu, fut écorché vivant, sa peau vide étant suspendue à un pin.


Sur la gauche de la scène, l'observant d'un air de profond désarroi, figure donc le roi Midas, ceint d'une fine couronne ornée de pierreries et installé dans une pause qui rappelle Saturne, divinité mélancolique du temps. Il semble plongé dans une profonde réflexion philosophique sur la précarité de la vie et sur l'essence de l'art. Pourquoi le triomphe d'Apollon, ou plutôt de la lyre sur la flûte, doit-il se conclure par une scène d'une telle cruauté ?


Une autre toile où l'on admet aussi que figure, en comparse, le portrait du maître, est celle de l'inoubliable Pietà du Prado où il se serait figuré en Nicomède, penché avec compassion sur le cadavre du Christ pesant et déchirant qu'on est train d'ensevelir. Déjà présenté par Jean quand il prit la défense du Christ face à un groupe de pharisiens hostiles 4, ce même évangéliste est le seul qui le mentionne au moment de la mise au tombeau 5. Nicodème est un homme de l'ombre 6, qui ne se déclare pas disciple mais honore le crucifié.


On 7 a suggéré que la présence du peintre sur cette mise au tombeau, tout de compassion et de douleur retenue, témoignerait de l'adhésion de Titien à une forme de désapprobation modérée, "hostile aux normes bureaucratiques et aux subtilités théologiques que ce soit des papistes ou des luthériens", et favorable à une religion immédiatement compréhensible, connue sous le nom de "nicomédisme". Un doctrine de justification de la croyance par la foi seule, sans les apparats ou les complexités de la hiérarchie. La radiographie a montré que Nicodème-Titien portait à l'origine un turban et non un béret. Ce qui n'est pas sans importance si l'on se réfère au statut un peu à part de Nicodème auprès de Jésus : pharisien mais pas trop, disciple sans l'être et salué par le Christ comme "l'enseignant d’Israël".


La dernière toile où Titien figure peut-être est la Salomé (ou Judith) de la Galerie Doria Pamphilj. Peinte en 1526, Titien avait moins de quarante ans, elle présenterait donc un portrait de l'homme encore jeune, et nous n'avons guère de point de comparaison pour assurer qu'il s'agit bien de lui.


Pourtant l'ossature marquée, le méplat accentué de la pommette, cette joue raffinée et aristocratique, le nez caractéristique fortement busqué mais sans excès, semblent confirmer que, comme le fit après lui Caravage en se portraiturant en Goliath, Titien se serait mis en scène dans ce plat contenant la tête de Jean Baptiste (ou d'Holopherne). C'est en tout cas ce que suggère la critique récente, s'appuyant sur une meilleure lisibilité de l’œuvre depuis sa restauration. L'idée est d'autant plus séduisante que nous aurions ainsi devant les yeux un autoportrait de Titien dans son ardente jeunesse, et avouez Mesdames, qu'il est fort beau, à faire se damner une Judith ou une Salomé !



Notes :

1- "per lasciare quelle memoria di sé ai figliuoli" selon Vasari

2- Dans le Repertorium morale de Petrus Berchorius, l'une des plus populaires encyclopédies de la fin du Moyen Âge, on lit : "La Prudence consiste dans la mémoire du passé, la mise en ordre du présent et la méditation du futur" ("in praeteritorum recordatione, in praesentium ordinatione, in futurorum meditatione")...(...)...L'art du Moyen Âge et de la Renaissance trouva mille façons d'exprimer cette tripartition de la prudence sous forme d'image visuelle...(...)...ou enfin, selon la mode de ces Trinités que l’Église considérait, par suite de leur origine païenne, d'un œil méfiant, mais qui ne perdirent jamais leur popularité, elle est dépeinte sous forme d'un personnage à trois têtes, qui outre une face d'âge moyen symbolisant le présent, arbore deux visages de profil, jeune et vieux, qui symbolisent respectivement l'avenir et le passé. (information trouvée ici. On retrouve des définitions semblables tant dans Ciceron (De Inventione, II, LIII) que dans Albert de Grand ou dans Saint Thomas d'Aquin.

3- L'interprétation est, en effet, récente et remonte à Panofsky (1969). Les collectionneurs du 19ème siècle, soucieux de voir dans ce tableau une allégorie politique, voyaient à gauche le pape Jules II, au centre le duc Alphonse d'Este et à droite, l'empereur Charles V (Duvaux 1748-1758)... ou parfois à gauche le pape Paul III.

4- “Nicodème, qui était venu le trouver précédemment et qui était l'un d'entre eux, leur dit :
« Notre loi juge-t-elle un homme sans qu'on l'ait d'abord entendu et qu'on sache ce qu'il fait ?»
Ils lui répondirent :
« Serais-tu de Galilée, toi aussi ? Cherche bien, et tu verras qu'aucun prophète ne vient de Galilée.
»”
———————————————————————(Jean 7,50-52)

5- “Nicodème, qui était d'abord venu le trouver de nuit, vint aussi en apportant un mélange d'environ cent livres de myrrhe et d'aloès. Ils prirent donc le corps de Jésus et le lièrent de bandelettes, avec les aromates, comme les Juifs ont coutume d'ensevelir.
———————————————————————(Jean 19,39-40)

6- Dans l'évangile de Jean, la nuit est une circonstance connotée négativement. Elle est le temps où nul ne peut travailler (Jean 9,4). On y trébuche (Jean 11,10). C'est à la tombée de la nuit que Judas trahit Jésus (Jean 13,30). Même après la résurrection, le travail de nuit des disciples ne rapporte aucun poisson (Jean 21,3). En règle général, le motif de la nuit relève donc de l'opposition caractéristique lumière/ténèbres.
La visite nocturne de Nicodème fait exception, prenant un autre sens comme son intervention, vespérale sinon nocturne, pour embaumer le corps de Jésus (Jean 19, 39-40). (réflexion trouvée ici)

7- On = Gentilli (1993, 2003, 2012)

mardi 26 mars 2013

FESTIVAL SAINT ROCH



- Ah... vous allez à l'église Saint-Roch ?? Moi j'y vais souvent aussi ...
- ???
- Oui, oui, j'y vais pour les enterrements !
- Ah !?!?
- C'est qu'on y enterre plein de gens célèbres, beaucoup d'artistes... et c'est superbe ! Musique, décor, fleurs... Par exemple Pierre Vaneck, c'était drôlement émouvant ... Annie Girardot, ou encore Marie France Pisier, c'était pas triste, c'était une cérémonie d'hommage... Et l'enterrement d'Yves Saint Laurent, toutes ces fleurs, c'était aussi beau qu'un mariage...


Allez lui expliquer après cela que nous y allions pour un "simple" Festival de Quatuors à cordes !! Simple, mais d'une qualité indéniable ... Dans le tout petit milieu des "amateurs de quatuor à cordes", on est généreux et on ne cesse de se donner "les bonnes adresses". Il faut dire que, même sans l'avoir cherché, on se retrouve aux mêmes endroits, alors, à l'usage, on finit par se connaitre ! Pensez, on se croise dans les concerts mais aussi aux concours, Bordeaux, Londres ou Reggio Emilia... Et puis aux Festivals consacrés aux 4 instruments rois : Fayence, bien sûr, mais aussi Crozon, Saint Roch ou La Cité de la Musique, une fois tous les deux ans. "On" nous avait parlé de Saint Roch, avec enthousiasme, alors pourquoi ne pas en profiter pour aller voir notre Koka, visiter quelques expos et s'offrir quelques concerts ? D'ailleurs, "on" s'y est retrouvé, le club des 5 seulement... car certains étaient absents mais on les retrouvera à Bordeaux d'ici peu, au mois de mai !


Et, de fait, ils avaient raison nos "amis des quatuors", Saint Roch mérite le détour : une organisation parfaite, une acoustique excellente, une ambiance recueillie, une atmosphère très bon enfant et, surtout, de jeunes et beaux talents à découvrir ou à retrouver. Le Quatuor Armida, de jeunes allemands au palmarès déjà impressionnant, qui jouent avec une technique remarquable, une grande écoute réciproque et une belle harmonie. Le Quatuor Tercea, des français couronnés à Trondheim (encore un concours dont nous avons rêvé !!) et qui ont la particularité de se "passer la parole" avec une grande souplesse. 


Mais surtout, surtout, car ce fut notre coup de foudre - sûr que ceux-là, nous allons courir pour les écouter dès qu'ils se produiront dans notre région - le Quatuor Hermès ! Soutenus depuis leur création par le quatuor Isaÿe, le parrainage est prestigieux et leur talent le mérite. Une de nos "amies de quatuors" qui les avait appréciés, soutenus et encouragés lors du Concours International de Genève il y a deux ans (les parents du violoniste l'ont d'ailleurs reconnue !) nous disait qu'en deux ans, ils avaient acquis, en plus de leur fougue et de leur virtuosité initiales, une maturité impressionnante. Et, de fait, on sentait dans leur interprétation du quatuor numéro 12 (opus 127), un des plus difficiles de Beethoven, la "patte" des Isaÿe : certes, cela peut les énerver s'ils me lisent mais, après les émotions intenses vécues à Fayence en novembre dernier, c'est, de ma part, un immense compliment. Pas facile d'affronter Beethoven après avoir entendu cette intégrale au-dessus de tout soupçon par l'immense quatuor ! Or, bien qu'ils soient fort jeunes, les Hermès nous ont offert un fondu, une intelligence de la partition, un respect des différents registres dignes de leurs maîtres : bref, tout y était pour que le public soit sous le charme. Comme il l'avait été dès le premier morceau, le quatuor numéro 10 de Schubert, joué avec juste ce qu'il fallait de fougue et de jeunesse pour conquérir l'auditoire. Le lendemain, nous avons eu la chance de les entendre avec les frères La Marca (nous connaissions déjà l'altiste, Adrien, entendu il y a deux ans aux Vacances de Monsieur Haydn à la Roche Posay) pour un quintette de Mozart (sans doute l'interprétation la moins réussie, mais Mozart, il faut s'en méfier, il parait toujours simple aux jeunes formations et c'est un vrai piège à enthousiasmes mal maitrisés : ici, ils n'ont pas saisi que, sous des aspects "faciles", la pièce est foncièrement tragique) et pour le premier sextuor de Brahms : là, leur jeunesse, leur "diablerie", leur romantisme, leur passion, leur enthousiasme ont fait florès, et ils ont enlevé cette immense partition avec un brio qui nous a arraché des cris de joie.

Nous ne verrons pas les Hermès au concours de Bordeaux, ils ont déjà nombre de prix prestigieux et, d'après leur manager, ils seront à Crozon à ce moment-là. Mais nous avons dores et déjà repéré que Yann le Calvet les a invités cet été pour les jeudis musicaux du Pays Royannais, et là, pas question de les rater, nous serons parmi les fans !!

lundi 25 mars 2013

SANTA MARIA IN TRIVIO



On passe en général piazza dei Crociferi assez rapidement car, quand on est là, c'est en principe qu'on est en train de se diriger d'un bon pas vers la place de la fontaine Trévi, ses fastes et sa foule compacte. Fontaine qu'il vaut mieux venir admirer tôt le matin si l'on veut éviter la surdose d'asiatiques, de flashs et touristes posant un sourire béat aux lèvres. Même en soirée, le lieu est fort couru et plein d'une magie nouvelle puisqu'elle brille des mille feux d'une illumination à la hauteur de sa réputation. Bref, juste avant d'arriver à la Fontaine, quand on chemine par le côté droit (rue de gauche quand on est face à la fontaine), une petite église assez sobre* vous invite à rentrer pour, à la suite de Paul VI venu y confier le concile Vatican II à sa protection, y honorer un certain Gaspare del Bufalo, au nom exotique mais à l’œuvre pie très austère**. Santa Maria in Trivio n'a, manifestement, pas l'habitude de recevoir des touristes car ici, aucune œuvre n'est signalée par un cartouche, aucun descriptif ne vous indique qui a réalisé les fresques, admirablement restaurées (en 1999), qui en ornent le plafond. Pourtant elles sont de très belle facture et vous devez attendre d'avoir Google pour apprendre par qui elles ont été réalisées. 


L'église elle-même a été construite au VIème siècle quand l'Italie fut libérée des Goths. Elle s'appelait alors Santa Maria in Xenodochio, et n'a changé de nom qu'au 16ème sicèle quand elle fut reconstruite en 1571 par Giacomo Del Duca. Elle fut d'abord attribué à l'Ordre du Crucifix, puis aux Camilliani et enfin aux missionnaires du Précieux Sang, qui, le culte à Gaspare del Bufalo en témoigne, en sont encore les occupants. 


La façade de l'église est très classique, animée de parois, corniches et fenêtres, cartouches décortaifs et niches. L'intérieur, à nef unique, fut décoré à fresque par Antonio Gherardi en 1669-70 avec des représentations de la vie de Marie. Le peintre, de son vrai nom Antonio Tatoti, est né à Rieti en 1638, et a passé une bonne partie de sa carrière à Rome, où il mourut en 1702. Il était aussi architecte, et, en tant que tel travailla avec Bernin, Borromini et Guarino Guarini qui lui inspira son oeuvre la plus hardie, la coupole de la chapelle Avila à Santa Maria in Trastevere. 



Mais c'est bien sûr en tant que peintre, élève de Pietro da Cortona et de Pier Francesco Mola, qu'on le découvre ici, avec une de ses oeuvres majeures considérée par Filippo Titi*** comme "faite de bonne manière Lombarde"...Avouez que le qualificatif est savoureux et montre combien les écoles d'art étaient chauvines !


Peintre, architecte mais aussi décorateur, Gherardi maitrisait toutes les phases de la mise en place de ses peintures et il avait l'habitude de concevoir aussi l'agencement de l'ensemble de la chapelle ou du lieu auquel elles étaient destinées. C'est pourquoi ce plafond, entièrement réalisé par lui et intégralement préservé, forme un "unicum" artistique de premier intérêt, et ce d'autant plus qu'il n'avait pas recours, au contraire de nombre de ses confrères, à des élèves pour les finitions. Autant dire que l'impression d'ensemble est parfaite.



 La naissance de Marie, une scène intimiste mais solennelle, Marie est alanguie sur une couche posée en curieux équilibre sur une colonne antique, protégée par un dais violine.


La visite d’Élisabeth à Marie : traditionnellement la Vierge est montrée avec les signes d'une grossesse avancée puisque, globalement, elle était enceinte de 6 ou 7 mois quand sa cousine, stérile et devant enfanter elle aussi, vint lui rendre visite. C'est Luc qui raconte l'épisode :" En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers le haut pays, dans une ville de Juda. Elle entra chez Zacharie et salua Élisabeth. Or, dès qu'Élisabeth eut entendu la salutation de Marie, l'enfant tressaillit dans son sein et Élisabeth fut remplie du Saint Esprit. Alors elle poussa un grand cri et dit : « Tu es bénie entre les femmes, et béni le fruit de son sein ! Et comment m'est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? Car, vois-tu, dès l'instant où ta salutation a frappé mes oreilles, l'enfant a tressailli d'allégresse en mon sein. Oui, bienheureuse celle qui a cru en l'accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! » (Luc, 1, 39-45). L'homme qui descend l'escalier de droite est donc Zacharie, mais Marie, quant à elle, est particulièrement svelte, sans doute par pudeur.


  L'adoration des Mages


Jésus parmi les docteurs : la scène fait partie de la vie de la Vierge car c'est elle qu'on alerta pour l'avertir que son gamin faisait des siennes au milieu des doctes prêtres, et elle accourut au Temple avec Joseph pour comprendre ce qui se passait... " Mon enfant, pourquoi nous as-tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert en te cherchant, ton père et moi ! " Il leur dit : " Comment se fait-il que vous m'ayez cherché ? Ne le saviez-vous pas ? C'est chez mon Père que je dois être. " Mais ils ne comprirent pas ce qu'il leur disait." C'est de dialogue qui semble être reproduit dans cette scène.


La fuite en Égypte, consacré ici entièrement à Marie, Joseph, cheminant traditionnellement debout à côté de la Vierge, ne serait pas rentré dans le cartouche !



Et au centre du plafond, trois grandes toiles présentent les éléments essentiels de l'histoire de Marie : la présentation de Marie au Temple, dans la traditionnelle composition en oblique accentué et fortement ascendant, l'Assomption; où l'ange prévenant les apôtres tient plus de place que Marie elle-même et enfin, dessous, l'Annonciation.

Les détails méritent largement qu'on s'y arrête car, même si Gherardi n'est pas un peintre de tout premier plan, son style est élégant et maitrisé, sa palette séduisante et il pratique un art de la composition équilibrée qui révèle ses talents d'architecte. L'espace de chacun des écoinçons est parfaitement rempli, sans surcharge, sans vide disgracieux, et les scènes s'y déploient avec une lisibilité parfaite, pas toujours évidente dans les peintures de plafond. Une façon originale et fort passionnante de fuir quelques instants la presse de la Fontaine Trévi.


NOTES
* On ne l'aperçoit même pas sur ma photo, car elle est dans le renfoncement, juste à droite de l'immeuble jaune qu'on distingue sur la gauche de la fontaine)

**Gaspard del Bufalo est né à Rome, le 6 janvier 1786. Fils du cuisinier employé par la famille Altieri, dont le palais était voisin de l'Église du Gesù, il développa une grande dévotion pour saint François Xavier, dont l'Église du Gesù possédait une relique. Ordonné prêtre en 1808, il fonda une société de prêtres qui prit le nom de Missionnaires du Précieux-Sang. Jusqu'à sa mort, il fut, dans tout le centre de l'Italie, particulièrement dans les États pontificaux, un évangélisateur infatigable, réputé pour sa foi et son éloquence, sa dévotion pour les pauvres, et sa compassion pour les brigands. On disait de ses homélies qu'elles étaient comme un tremblement de terre spirituel.  (source)

*** Filippo Titi, dans Descrizione delle pitture, sculture e architetture esposte al pubblico in Roma de 1763
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