mardi 12 mars 2013

EFFEUILLAGE



Le 19ème triomphant était prude et vaguement bégueule. Il parait de linges pudiques et abondants les nudités choquantes et les restaurateurs du 21ème siècle ont fort à faire pour nettoyer, quand on peut le faire sans abimer la couche originelle de peinture, les repeints intempestifs que nos aïeux avaient jugé utiles pour couvrir toutes ces chairs tentatrices. L'affaire est récurrente, qu'on pense aux drapés et aux branches ajoutés dès le 16ème siècle, à la demande du pape Paul IV sur le Jugement Dernier de Michel-Ange, par Daniele da Volterra, surnommé du coup, il Braghettone. Au XVIIe siècle, Clément XII fera ajouter d'autres voiles, et l'entreprise de rhabillage se poursuivra encore en plein XXe siècle, sous le pontificat de Pie XI.
On connait les renaissances célèbres, comme celles des fresques de Masaccio, mais le travail est considérable et la Galerie Colonna de Rome présente, dans sa première salle, quatre superbes "découvertes" dont je vais vous dévoiler les secrets.

Trois d'entre elles sont l'oeuvre de Michele di Ridolfo del Ghirlandaio (1503-1577), un florentin du nom de Michele Tosini qui était le collaborateur, puis l'héritier, de Ridolfo del Ghirlandaio (1483 - 1561), lui-même fils du grand Domenico (1449-1494). Fortement influencé par Fra Bartolomeo puis par Andrea del Sarto dans sa jeunesse, il collabora ensuite avec Vasari, découvrant et approfondissant une approche maniériste qui va devenir ensuite son style définitif. Adopté par Ridolfo, il devint rapidement aussi un portraitiste recherché, proche de Pontormo, de Salviati et de Bronzino.


L'Aurore s'est vue, en 1840*, affublée d'un linge jaune rayé, coincé sous la ceinture bleu ciel soulignant la poitrine discrète du modèle, tandis que le peintre continuait en plis gracieux l'étoffe rouge sur laquelle reposait la jeune femme afin de cacher au mieux le bas du corps.


Rendue à sa splendeur première, la femme étale maintenant largement sa nudité tranquille et qu'on dirait taillée dans le marbre. Débarrassé de ses vernis jaunis, le paysage du fond scintille aux lueurs d'un levant oranger et tout le chromatisme savant de cette toile a retrouvé sa superbe.


C'est sans doute le même barbouilleur qui avait habillé le pendant de l'Aurore, la Nuit, car il a utilisé à peu près la même garde-robe  ! Ici encore, le rouge du drap qui orne la partie gauche du tableau est repris en larges pans plissés pour cacher cuisses et ventre, pendant qu'un étrange soutien-gorge, dont on se demande comment il remplit son rôle, pare la poitrine de la brune endormie.


Pas de doute, la belle est plus à l'aise sans ces chiffons disgracieux et si son sein gauche semble étonnamment déformé, il faut bien avouer que l'ensemble est, du point de vue des couleurs et de la composition, nettement plus équilibré. L'approche sculpturale de l'artiste, soucieux comme ceux de son temps de démontrer que la peinture rend mieux que la sculpture la vérité des formes, prend ici tout son sens. On y retrouve, intacte, l'influence michelangelesque, puisque, comme l'Aurore, la toile s'inspire sans détour du tombeau de la basilique San Lorenzo à Florence. Illustration qui n'a rien de théorique de la Querelle du Paragone.


Toujours du même artiste, Vénus et Amour fut réalisé aux alentours de 1555, et commandée par Alamanno Salviati en même temps que celle de Bronzino, que nous verrons après. Habillée au milieu du XIXème d'une tunique blanche rayée de jaune, retenue par une fleurette sur l'épaule, la déesse s'est trouvé transformée en paysanne à la position étrangement contournée. Là encore, une tentative de continuation du drap bleu sur lequel elle reposait, permit de cacher aux yeux des contemporains luxurieux les formes trop suggestives de la belle.


Michele Torsini s'était inspiré, pour cette composition, d'un dessin de Michelange, datant d'une vingtaine d'années, dessin disparu depuis mais sur lequel de nombreux peintres se sont appuyés, jusqu'à en faire une icône. D'après Vasari, le dessin dont il reste une esquisse au British Museum, aurait plu à Alexandre de Médicis qui en voulut une composition peinte, et Buonarroti se serait alors adressé à Pontormo pour la réaliser.


Toujours est-il que le thème fit fortune et que de nombreux artistes le reprirent. Ci-dessus la version "inspirée de Michelange", par Alessandro Allori que conserve le cabinet des dessins du Louvre.On y retrouve cette figure puissante, presque masculine, étendue de biais presque en déséquilibre, l'ange bouclé au pied coquin et la mise en scène théâtrale propre à exalter le goût maniériste qui plaisait tant en cette deuxième partie de 16ème siècle. Cette beauté musclée, aux seins petits et aux cuisses trop larges continue à vous fasciner d'autant que sa carnation d'albâtre est d'une sensualité indémodable. Il était nécessaire de lui rendre sa nudité première pour en raviver la beauté.


Mais la plus belle de ces quatre femmes enfin déshabillées est celle du Bronzino. Un peintre fascinat que cet Agnolo di Cosimo dont on ne peut oublier le trait, quand on a admiré ses portraits hiératiques, presque froids et d'une sophistication très aristocratique. Elève de Pontormo, qui l'adopta, il doit semble-t-il son surnom à son teint sombre et à ses cheveux très foncés. Son disciple et fils adoptif, décidément l'adoption se portait bien dans les ateliers florentins, Alessandro Allori recevra d'ailleurs le même surnom.
Réalisée pour Antonio Salviati, praticien lié à la famille Médicis, cette composition mythologique développe un thème - Vénus et Cupidon - maintes fois traité par l'artiste et auquel il adjoignit ici un satyre concupiscent particulièrement alléché par le spectacle. Son air émoustillé perdit tout sens en 1840 quand on couvrit ce corps langoureux, mais on n'en était pas à une hérésie près ! Le costumier de Vénus s'est montré en l'espèce plus inventif et surtout plus élégant que dans les autres toiles : il a soigné les plis du bustier de mousseline jaune tenu par une broche entre les seins, et le linge bleu qui ceint les hanches de la déesse est plus léger que sur les autres toiles.


Mais avouez que la composition est nettement plus belle débarrassée de ces longes intempestifs. Et l'air alléché du satyre qui s'introduit dans cette scène intime sans qu'on l'ait encore remarqué, se comprend mieux. Il semble ivre de désir et de convoitise, fébrile et complétement déséquilibré par cette apparition d'une beauté éblouissante.


Cette toile est très caractéristique de ce qui fait le charme du style de Bronzino : on y retrouve une dimension érotique évidente, l'opposition entre la figure très idéalisée des dieux et le réalisme grossier du satyre, rougeaud, bavant de désir. On y admire son goût pour des compositions parfaitement mises en scène, équilibrées et pourtant originales. Enfin, sa palette de couleurs claires et acidulées s'y déploie avec bonheur. La restauration, longue et angoissante, lui a rendu ce chromatisme très particulier, froid et pourtant très chatoyant, qui fait la griffe d'Agnolo di Cosimo. Il a une manière de faire chanter les bleus, les roses et le vert qui est vraiment inimitable.



Toutes ces toiles se trouvent, je l'ai déjà dit, au Palazzo Colonna qui abrite, outre des salons magnifiques, une collection très riche de peintures à partir du XVème siècle, de statues élégantes et de meubles superbes. C'est ce palais dont on admire, de l'extérieur, les arcades qui, passant au dessus de la via delle Pilotta, permettent de joindre les jardins situés de l'autre côté de la rue.



On y découvre aussi, un peu honteux, le boulet fiché dans une des marches du grand salon d’apparat, tiré par les troupes françaises qui assiégèrent Rome en 1849 pour rétablir Pie IX sur son trône. On peut enfin en visiter les appartements privés, sur rendez-vous, où l'on conserve pieusement la partie droite du retable de Cosme Tura (polyptyque Roverella) dont on admire l'inoubliable lunette au Louvre. Mais attention, pour voir la Galleria un seul jour de visite, le samedi matin, et pour les appartements de la princesse Isabelle, il faut absolument réserver par téléphone avant de venir. L'ambiance très suggestive du lieu, aristocratique mais pourtant très accueillant, est vraiment à découvrir.


Pour finir, je vous propose une petite énigme : à votre avis, de quel peintre est ce goulu ? Ou tout au moins, de quelle époque ?? Et, question subsidiaire, ou alternative si l'identification du peintre ou de son siècle ne vous inspirent pas, que mange-t-il ??


Note :
Je suis désolée mais les photos des versions "habillées" sont des clichés des reproductions présentées sous les tableaux, donc pas forcément très nettes ou très fidèles, mais cela donne une idée de l'état des lieux avant restauration.


4 commentaires:

  1. Je lirai ton article avec tout le temps et l'attention qu'il mérite, mais je ne résiste pas à m'exclamer, pour une fois, je le sais, je le sais !! Nous, on l'appelle "il mangiafagioli", et donc celui qui mange les haricots. Mais de là à savoir qui en est l'auteur, hum... j'avoue que là tu me demandes déjà trop. Bien sur je pourrais chercher sur Google, mais comme je n'aime pas tricher je préfère céder la place, et passe à l'anecdote : il y a quelques années au cours d'un voyage en Allemagne j'envisageais de faire un saut à Dresde chez un vieux ami, qu'ignorait surement que j'étais devenue végétarienne ou presque. L'idée m'était alors venue de lui envoyer la carte postale avec la reproduction de ce tableau, que je ne sais plus pour quelle raison j'avais chez moi, avec un texte qui sonnait "voilà le mangeur d'haricots, tout à fait comme moi, qui ne mange pas de viande...", quelque chose comme ça. Résultat ? Comme sa femme avait oublié de lui donner ladite carte, le soir de mon arrivée il avait prévu un délicieux diner sur l'herbe, au bord de l'Elbe et bien sur à base de charcuterie (et de vin). Rien de grave, heureusement il y avait aussi de l'excellent fromage et bien sur tout c'est très bien passé. Meme si le pauvre mangeur d'haricots s'était révélé inutile.

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    1. Allons bon, encore un couple qui avait tant à se dire qu'ils n'avaient pas le temps de se transmettre les informations !! Quant à toi, tu avais pourtant trouvé la solution idéale pour signaler que tu aurais préféré éviter la viande ou au moins, les mets carnés ! Bref, tu t'es gavée de fromage, mais bon, le fromage en Allemagne, cela ne doit pas être terrible terrible ...
      Bravo donc pour le mangeur de haricots (nous dirions de fayots !!) même si certains veulent y voir des fèves, pas de doute ce sont bien des haricots. Et bravo aussi pour ta sportivité, trop facile d'aller voir sur Google, et puis ainsi cela laisse aux autres la possibilité de faire des suggestions, au moins pour l'époque... peut-être ??!!

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  2. Je peux plus que très bien comprendre qu'en tant que française tu es un tout petit peu... hésitante sur la qualité des fromages allemands, et pourtant je me rappelle que non seulement ils étaient exquis, mais en plus, ce que ce soir-là j'ignorais encore, ils venaient rien moins que de "la crémerie la plus belle du monde", car c'est comme ça qu'ils l'appellent, et si sur Google Images tu cherches Pfunds Molkerei Dresden tu verras qu'ils n'ont peut-etre meme pas tort... ;-)

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    1. Ah oui, elle est superbe la crèmerie !!! et j'ai regardé de près, les fromages ont l'air d'être très respectables !!!

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