vendredi 14 juin 2013

MONSELICE


Monselice est une délicieuse ville des Monts Euganéens, qui s'étendent au sud-ouest de Padoue, surgissant comme des taupinières d'un joli vert sapin sur la triste horizontalité de la plaine vénète. Ces reliefs d'origine volcanique ponctuent, comme des îlots de verdure, le paysage trop plat qui vous mène de Bologne à Venise. C'est dans cette région que le poète Pétrarque finit ses jours, dans la jolie petite ville rebaptisée en son honneur, en 1868, Arquà Petrarca... Nom qui se révèle d'une grande efficacité promotionnelle : tant et si bien que nous l'avons, c'était un dimanche, soigneusement contournée en voyant les parkings "blindés" de monde.


Monselice, par contre était d'un calme idéal, et cette cité qui appelle de loin le visiteur, en l'attirant par son château planté en haut de la colline et précédé par un intrigant chemin de petites constructions qui ponctuent la colline en ligne de mire.


                                                                  Un jour de soleil !

Nous étions déjà venus plusieurs fois à Monselice, mais il est impossible d'y résister : même si l'on connait déjà la ville, on a envie d'aller voir de plus près. Et l'endroit regorge de monuments et de richesses artistiques.

Documents pris sur le net : l'église Saint Joseph charpentier, et l'équipe de maçons et de prêtres attendant que l'évêque bénisse la première pierre, en 1955.

Dès qu'on a quitté la grande place moderne qui s'étale au pied de butte, et son assez massive église San Guiseppe Lavoratore (de 1957, par Bonato), en croix latine, on franchit les remparts du XVème siècle et on part à l'assaut de la colline : on entre dans la vieille ville et , sur la gauche une autre église attire le regard.




Pas tant par le bâtiment lui-même - l'église San Paolo, sans caractère et transformée en centre culturel est assez banale - que du fait de l'étrange construction, très moderne, qui la précède. Comme il fallait monter vers l'église par un vaste escalier, les édiles ont construit une fontaine surélevée sur le parvis : l'effet est d'autant plus étrange que nous l'avons vue sans eau !


Plus haut, on croise le château Cini, qui regroupe des bâtiments du XIème au XIVème : la maison romane (XIème), le Castelletto (XIIème), la Tour Ezzaliniana (XIIIème) et enfin la demeure seigneuriale des Carrara, du XIVème.


Un peu plus loin, la villa Nani-Mocenigo (fin XVIème début XVIIème), somptueux édifice Renaissance tardive, qui s'étage sur la pente grâce à une remarquable scénographie d'escaliers mettant en valeur des jardins en terrasses. Sur le mur d'enceinte sont plantés quelques nains, aussi laids que nos nains de jardin, qui font allusion au nom de la famille qui fit construire l'édifice.


On monte encore, et, un peu avant d'atteindre le sommet, on fait halte à l'église Sainte Justine, construite en 1256 par décision du Cardinal Simone Paltanieri, sur les restes d'une église plus ancienne. Elle est donc de style roman tardif, avec quelques éléments décoratifs gothiques, en particulier au niveau des éléments de décor, en terre cuite, qui ornent la façade.

L'intérieur à large nef unique abrite quelques œuvres d'art intéressantes (urne funéraire du 1er siècle après J-C, retable d'Antonio da Verona (copie) statue de pierre du XVIème, fresques médiévales ...) et quatre bas reliefs de Giovanni Marchiori (1696-1778).

 G.Marchiori (1696-1778) - Pieve di Santa Giustina di Monselice (Duomo vecchio)
Saint Augustin rencontre un ange sous l'aspect d'un jeune enfant, sur une plage. On raconte que l'évêque d'Hippone, un jour qu'il marchait le long de la mer, rencontra un enfant qui avait entrepris de verser de l'eau de mer avec une coquille, dans un trou qu'il avait creusé dans le sable. Saint Augustin le regarda gentiment et lui demanda :
 "Enfant ? Que fais-tu ?". 
Le petit, sans interrompre son jeu, lui répondit 
"Je veux enfermer la mer dans ce trou"
"Mais comment peux-tu imaginer mettre la mer, qui est si grande, dans un si petit trou ?"
L'enfant leva les yeux, le regarda fixement et lui répondit
"Et toi, comment peux-tu prétendre comprendre Dieu, qui est infini, avec ton esprit, qui est si limité ??" Cela dit, il sourit et disparut. 


G. Marchiori (1696-1778) - Pieve di Santa Giustina di Monselice (Duomo vecchio)
Saint Augustin lisant dans son bureau
Cette scène est souvent celle de la représentation traditionnelle de St Augustin, évêque et docteur de l'Eglise, qui écrivit un grand nombre d'ouvrages. Mais ici, Marchiori semble l'avoir entremêlée avec celle du songe de St Augustin, que Carpaccio peignit de façon tellement frappante à la Scuola San Giorgio. À complies, donc juste au lever du jour, Jérôme meurt à Jérusalem. Au même instant, dans sa cellule d’Hippone, Augustin médite sur la nature de la béatitude des saints ravis en Jésus-Christ, avant de rédiger un court exposé à l’intention de Sulpice Sévère. Comme il souhaite demander à Jérôme son avis sur cette question ardue, il prend une feuille de papier, une plume et un encrier pour lui écrire une lettre. À peine a-t-il tracé quelques mots qu’une lumière ineffable accompagnée d’un parfum indiciblement suave, pénètre dans sa cellule. Bien entendu, il ignore la mort de Jérôme. Grande est sa surprise quand une voix portée par cette lumière lui dit qu’il est plus facile de mettre l’océan dans un petit récipient, de serrer la terre dans sa main ou d’arrêter les étoiles que de décrire la béatitude quand on ne l’a pas éprouvée, car celui qui parle la connaît actuellement. Augustin demande en tremblant qui vient de parler et la voix lui répond que c’est Jérôme. »* Marchiori l'a voulue complémentaire de la première, reprenant le thème de l'intervention surnaturelle symbolisée par ce jeune garçon qui écarte le rideau pour observer le saint. 


G. Marchiori (1696-1778) - Pieve di Santa Giustina di Monselice (Duomo vecchio)
L'illumination de Saint Augustin, dite aussi "Tolle, lege"
Saint Augustin était chez un ami,Ponticianus, à Milan et cet homme pieux lui parla avec enthousiasme de la vie chaste des moines et de cette de saint Antoine Abbé. Pour étayer son propos, Ponticianus lui donna le livre des Lettres de saint Paul. Augustin, retourné chez lui,  était un peu perturbé au souvenir de cette conversation  Il se retira dans son jardin, et là, alors qu'il pleurait sur son désarroi,il entendit une voix qui lui disait "Tolle, lege, tolle, lege" (prends et lis). On distingue nettement le message en haut à gauche du bas relief. Il ouvrit alors au hasard le livre des lettres de saint Paul et lut ceci : " Conduisez-vous honnêtement, comme on le fait en plein jour, sans ripailles ni beuveries, sans orgies ni débauches, sans dispute ni jalousie, mais revêtez le Seigneur Jésus Christ ; ne vous abandonnez pas aux préoccupations de la chair pour satisfaire ses tendances égoïstes.** Après avoir médité cet enseignement, Augustin quitta tout, se retirant avec sa mère, son fils et quelques amis, à Cassiacum, près de Milan, pour méditer et mener avec sa mère des conversations philosophiques et spirituelles.




G. Marchiori (1696-1778) - Pieve di Santa Giustina di Monselice (Duomo vecchio)
Saint Jérôme au désert
Le dernier bas-relief de Marchiori présent dans l'église, met en scène Saint Jérôme, dans la célèbre scène d'ascétisme au désert. Normalement, devraient y figurer, pour identifier Jérôme, le livre (la Vulgate, sa traduction de la Bible en langue vulgaire), le Lion, fidèle compagnon dans le désert auquel il avait enlevé une épine, son chapeau de cardinal... Ici, seuls deux éléments traditionnels de l'iconographie de Jérôme sont présents : le Crucifix et le crâne, signe de la finitude humaine. La scène est représentée devant un mur sommaire, sensé symboliser la grotte de Bethléem, où Jérôme s'était retiré : il tient à la main la pierre dont il va se frapper la poitrine en signe de pénitence.



Vous savez combien j'aime parler des œuvres les plus modestes, et je me suis donc intéressée à Giovanni Marchiori, pour apprendre qu'après avoir été "garçon" (apprenti) chez Guiseppe Fanoli, il commença la carrière en étant sculpteur sur bois. Il devint ensuite l'élève d'Andrea Brustolon, et, en 1735, passa à la sculpture sur marbre. Il fut surtout actif à Venise***, où l'on trouve de nombreuses œuvres de lui, et à Trévise*.

Un petit montage de photos ensoleillées, montrant la villa Duodo telle qu'on ne la voit pas depuis le portail : les deux "leoni comitali" qui précèdent l'entrée pourraient être dits "en congrès" : ils se regardent et se complètent, chargés d’accueillir le visiteur et d'exalter la gloire des Duodo . Chacun tient, sous sa patte levée, les armes de la famille " de gueules, à la bande d'argent chargée de trois lys d'azur placés dans le sens de la pièce" : l'un est pourvu d'une couronne, l'autre d'un mortier peut-être couvre-chef des procurateurs de Saint-Marc, charge que les Duodo se virent confier après les exploits de Francesco à Lépante.

Enfin, on arrive à un portail majestueux, précédée de deux lions "terribles" (admirez leur air "bonhomme"!), qui ouvrent le chemin vers la villa Duodo. Ce portail, pompeusement nommé la Porta Romana, débute  une "voie sacrée" : promenade des 7 petites églises, celles-là même qu'on aperçoit de loin sur la colline. Construites entre 1605 et 1615 par Scamozzi, elles reproduisent le parcours sacré des 7 basiliques de Rome (le nom de chacune est noté sur le linteau de l'entrée et porte une dédicace au sanctuaire romain correspondant). ****


Très classiques et fort sobres, elles offrent pour tout décor des corniches et architraves en trachyte et sont ornées de toiles de Palma le Jeune, presque à l'air libre !! Le parcours, susceptible de gagner à celui qui l'exécute en entier et avec piété, une indulgence plénière, se termine par une dernière chapelle, un peu plus grande, ancien oratoire de la famille et annexe de la villa. Décorée avec soin, elle était destinée à exposer à la vénération des pélerins les nombreuses reliques reçues par la famille Duodo de la part de différents papes.


C'est le même architecte, Scamozzi qui, en 1593, construisit, au bout de l'éperon, la belle demeure de cette famille patricienne.


La villa fut agrandie en 1740, par un corps construit perpendiculairement au premier, en L, alors qu'au XVIIème siècle, on ajoutait sur le côté gauche de la villa, avec un sens aigu de la mise en scène, un immense escalier menant à un petit oratoire dédié à San Francesco Saverio : impressionnant belvédère qui offre une vue saisissante de la ville et de la villa en contrebas. 


Tout aussi théâtral bien que moins orné, un autre escalier plus récent, situé à l'entrée de l'esplanade, conduit à la Rocca, le "mastio Federiciano", une structure militaire aujourd'hui en ruines, entourée de fortifications dont les plus anciennes remontent au VIème siècle.





NOTES
* D'après Ronald Lightbown, Botticelli, trad. fr., Paris, 1990, p. 76-77. Cité dans ce superbe article sur la fresque de Carpaccio. Détails sur les bas-reliefs du Monselice, expliqués par un site augustinien, ici.

** Lettre de Saint Paul aux Romains chapitre 13, versets 13 et 14

*** Eglise San Rocco (Venise) deux statues de femmes sur la façade, San Pietro Orseolo et San Gherardo Sagredo ; dans deux niches de la contre-façade statues de David avec la tête de Goliath et de Sainte Cécile; dans la chapelle de droite, lunette en marbre avec San Rocco en gloire- Eglise de San Simeon Piccolo, à Venise, dans l'abside, Cruxifix en marbre, dans la sacristie au dessus du lavabo, petit relief - Eglise de San Geremia et Santa Lucia, à Venise, L'immaculée Conception - A la Scuola Grande di San Rocco, toujours à Venise, Histoire de Saint Roch en bois sculpté - L'autel de Santa Maria della Visitazione : St Pierre et St Marc - et d'autres sculptures à Trévise, église Sainte Marie Madeleine (autel majeur, la Foi et l'Espérance et un christ Rédempteur), à la galerie communale d'art moderne et au musée civique, tête de Flore)

**** Saint-Jean de Latran, cathédrale de Rome et du monde, Saint-Pierre , au tombeau de saint Pierre, Saint-Paul-hors-les-murs, sur la via Ostia, tombeau de Saint Paul ;Sainte-Marie-Majeure, la plus ancienne église consacrée à la Vierge ; Sainte-Croix-de-Jérusalem, qui garde les reliques de la Passion ; Saint-Laurent hors les murs, tombe de saints Étienne et Laurent et enfin Saint-Sébastien-hors-les-Murs, sur la via Appia, au-dessus des catacombes.

8 commentaires:

  1. J'ai un délicieux souvenir de la villa Duodo Balbi Valier,même si c'est un peu vague car cela remonte à des années en arrière de belles images surgissent ,ensoleillées pour moi ce qui ne semble pas le cas lors de votre passage

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    1. Non en effet, le temps était lourd de nuages gris !!

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  2. y a t il un Cm2 d’Italie que tu ne connaisses pas ?
    ces billets sont pour moi une chronique attendue,j'ai l'impression d'être présente !
    quel beau voyage à chaque fois...
    bonne fin de semaine Michelaise

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    1. Oh que oui Josette l'Italie a encore, Dieu merci, de nombreux secrets pour nous ! D'autant que nous y progressons toujours comme de bonnes cagouilles charentaises que nous sommes, il y a tant à voir, partout !! avec sans cesse l'envie d'y retourner, pour voir, et revoir !

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  3. Il me semble bien, qu'autrefois...
    Ton blog est toujours aussi passionnant.
    Amitiés.

    Roger

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    1. Merci Roger, alors autrefois donc, une autre fois disons, tu as visité Monselice et parcouru sa voie sacrée, qui attire irrésistiblement le visiteur de loin !!

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  4. escarpée mais pleine de trésors! Encore une ville que j'ajoute à ma liste "un jour"!

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    1. Entre un jour et autrefois, nous en sommes bien tous au même point, de rêves en projets, de souvenirs en nostalgies !! vive l'Italie !

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