jeudi 25 juillet 2013

SARLAT 62ÈME

En ce temps-là (dans les années 70), la Place de la Liberté s'appelait Place Royale et la plupart des pièces s'y déroulaient, paralysant le tourisme dans la ville pendant près d'un mois.Cette année,  seules deux pièces ont lieu au centre de Sarlat : les autres sont aux Enfeus ou à Sainte Claire.

Vous pensiez en avoir terminé avec le théâtre !? C'était compter sans le Festival des Jeux du Théâtre de Sarlat, 62ème du nom, et qui, pour nous, a des relents de jeunesse !! Pensez donc, Alter, il y a fort longtemps, y fut le deuxième garde de La Reine Morte et le hallebardier d'Henri IV de Pirandello... à moins que ce ne soit le contraire ! C'est aussi là qu'enfant, je découvris (je ne connaissais pourtant pas encore Alter) les plaisirs du théâtre lors de brèves mais mémorables vacances sarladaises. Autant dire que, nostalgie aidant,  nous y allons toujours avec un réel plaisir. La programmation, assurée par Jean-Paul Tribout, y est de qualité, et on y assiste à un "vrai" théâtre, moderne certes, mais sachant respecter les textes et les auteurs. Tribout a des audaces et des courages qui méritent d'être salués : comme celui de faire une "journée des auteurs", qui permet chaque année de découvrir et d'apprécier des textes forts et qui font réfléchir. On a ainsi passé une soirée délicieuse dans la cour de l'Abbaye Sainte Claire : pour commencer ...



MONTAIGNE ET LA BOETIE : L'ENQUÊTE 
de Jean-Claude Idée
Texte lu par Katia Miran, Emmanuel Dechartre et Dominique Rongvaux.
Sarlat se targue, et c'est un des hauts lieux touristiques de la ville, de posséder la maison d'Etienne de la Boétie. Logique alors de consacrer un spectacle à la lecture du récent texte que Jean-Claude Idée, metteur en scène belge, a écrit à propos de l'amitié de ces deux écrivains incontournables. J.C. Idée part de ce paradoxe selon lequel Montaigne, qui a écrit les Essais essentiellement pour promouvoir, tel un "modeste écrin", le Discours de la servitude volontaire, n'a jamais publié ce texte dans ses Essais. Pourquoi cette abstention, Idée parle de "trahison", fort intrigante alors qu'il avait promis à son ami de le faire et proclame à qui veut l'entendre sa passion pour le jeune disparu ? Présentée par l'auteur lors de l'Université Populaire du Théâtre au Centre Culturel d'Uccle, le texte mène l'enquête par l'intermédiaire de Marie de Gournay, sa "fille d'alliance", sa "secrétaire", son dernier amour. Lecture enlevée et pleine de charme qui donne envie d'en savoir plus !

Après un petit vin de noix, une assiette périgourdine et une tarte tatin, partagés autour de grandes tables dressées dans la cour de l'abbaye, une deuxième lecture, mais plus "jouée" puisque l'acteur n'avait pas le manuscrit et, accompagné d'un violoncelle, il déclamait le texte avec toute la fougue et les nuances nécessaires pour le rendre vivant. Il s'agissait de ...



LE CONTRAIRE DE L'AMOUR : journal de Mouloud Feraoun
Mise en scène : Dominique Lurcel.   Avec Samuel Churin et Marc Lauras au violoncelle. Compagnie Passeurs de Mémoires
Le premier roman de ce fils de paysans kabyles, né en 1913, devenu élève de l'école normale d’instituteurs d'Alger, à une époque où seuls 5% des enfants algériens étaient scolarisés, est paru en 1954 sous le titre "Fils du pauvre". L'année suivante, il commence un journal, qui reste intime. Mouloud Feraoun devient rapidement directeur d'école, puis inspecteur des centres sociaux à Château Royal. C'est là qu'il est assassiné par l'OAS en 1962, quelques jours seulement avant le cesse-le-feu. Son journal, qu'il a tenu presque jusqu'à la fin, raconte l'évolution du mouvement d'indépendance et, à l'intérieur de ce mouvement, sa propre évolution, son cheminement intérieur, sa conscience déchirée.



C'est ce parcours difficile, intelligent et amer, que l'acteur Samuel Churin joue pour nous, accompagné par un violoncelle qui décrit ses états d'âme changeants, son incompréhension, sa colère, et sa révolte. La violence, la mort et la déchirure sont présents à chacune de ces pages qui vont de 58 à 62 : le journal, écrit en français, dans une langue élégante et précise, s'interroge sur les raisons de l'insurrection, dit, sans emphase, la guerre au jour le jour, la peur, les exactions, dans les deux camps, les petites lâchetés et les tortures... et la mort, qui approche inexorablement.



Cet homme, dont l’administration française avait changé le nom (dans son village natal, Tizi Hibel, il appartenait à la famille Aït Chabaâne), était ami de d'Albert Camus et d'Emmanuel Roblès. Déchiré entre ses racines kabyles et sa culture française, entre la haine de toute violence et son adhésion progressive aux idées nationalistes, il nous offre, à travers ces lignes pures et honnêtes, d'une stupéfiante lucidité, une merveilleuse leçon de courage intellectuel, une superbe réflexion sur l'engagement intellectuel et l'attachement à sa terre. Un superbe spectacle, tout en nuances et en réflexions fondamentales, qui donne envie, là encore, de lire "le fils du pauvre", "La terre et le sang" et, bien sûr, son journal, publié après sa mort.  


UN SONGE D'UNE NUIT D’ÉTÉ d'après Shakespeare, mêlé à The Fairy Queen de Purcell
Mise en scène : Antoine Herbez
Avec Ariane Brousse, Ronan Debois, Jules Dousset, Ivan Herbez, Orianne Moretti, Benjamin Narvey, Alice Picaud, Gaëlle Pinheiro, Marie Salvat et Maxime de Toledo. Compagnie Ah !
"Un" songe au lieu de "Le" songe, nous étions un peu réticents ! Ces "d'après" sont souvent l'occasion pour des metteurs en scène un peu trop égocentriques, plus soucieux de se faire plaisir en réinventant tout que de servir un auteur, et nous avons appris à nous en méfier. Mais avec Antoine Herbez et la Compagnie Ah, pas de souci de cette espèce ! 


Le texte de Shakespeare, certes, est épuré, le Songe en une heure trente, avec des extraits de The Fairy Queen en sus, forcément, tout n'y est pas. Mais l'ensemble est parfaitement lisible, l'esprit de la pièce n'est nullement dénaturé et, en contrepartie, on a un spectacle totalement réjouissant ! 


Les acteurs sont parfaits, certains parlent et font des acrobaties pleines de vie, d'autres chantent (fort bien), font de la magie, jouent de la musique avec beaucoup de précision ... tous "jouent" à merveille, les costumes sont absolument magnifiques, le rythme est enlevé, l'ensemble est gai, drôle, de très bon goût et sans une minute de répit. 


Le public ne s'y est pas trompé qui a fait à la Compagnie Ah un vrai triomphe : alors n’hésitez surtout pas, si cela passe près de chez vous*, allez voir ce Songe, spectacle complet et excellent divertissement. 


Bravo à Jean-Paul Tribout pour cette programmation qui a l'audace d'être simple, le courage d'être intelligente, et l'habileté d'être classique sans être ennuyeuse ni difficile : c'est un talent aussi d'être directeur artistique, et les sarladais peuvent être fiers du leur ! On y donnait aussi "La Guerre de Troie n'aura pas lieu", et je suis persuadée que la version de Sarlat sera plus au point que celle d'Angers, et que la troupe de Francis Huster sera nettement plus à l'aise en Périgord ! Si vous êtes en vacances dans le coin, allez au Jeux du Théâtre 62ème édition, longue vie à ce Festival de qualité. 

* spectacles programmés (en espérant que d'autres scènes le programmeront sous peu):
Jeudi 8 août - 21H45
STE SUZANNE (53) Festival des Nuits de la Mayenne
Dimanche 17 (17H) et lundi 18 (14H) novembre 
BONNEUIL (94) Théâtre Gérard Philippe
Vendredi 22 novembre (20H30)
LE PERREUX (94) Centre des Bords de Marne
Vendredi 13 décembre (20H30)
ARRADON (56) Théâtre La Lucarne

4 commentaires:

  1. Si Montaigne n'a pas publié le Discours sur la servitude volontaire de la Boétie au chapitre 29 du livre I des Essais, c'est parce qu'il s'était rendu compte que les têtes éclairées du parti huguenot en faisaient... comment dire?... un usage pas très catholique! Ils se servaient de ce texte pour justifier la désobéissance civile, ce que le conservateur Montaigne jugeait tout à fait retors et scandaleux! Mais à la place du Discours, Montaigne a inséré 29 sonnets de la Boétie, et je ne vois pas en quoi on peut parler de trahison, ça me semble vraiment très exagéré!

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  2. oui bien sûr c'est l'argument "officiel" ... mais l'auteur de la pièce y ajoute des problèmes de conscience de Montaigne, qui a, tout de même, trahi la parole donnée à son ami mourant. Et surtout, la pièce développe le thème, intéressant, du vieillissement des idéaux : La Boétie a toujours 33 ans, alors que Montaigne a vieilli, il a 58 ans au moment de la pièce et, forcément, pas mal de compromis avec ses idéaux de jeunesse : c'est une sorte de bilan de vie, de retour en arrière !! L'homme vieillissant n'est plus le jeune enthousiaste qui s'est enflammé pour les idées qu'il partageait avec la Boétie et c'est cette prise de conscience que la vie s'est écoulée et qu'on en a fait autre chose que ce qu'on rêvait qui constitue la trame de cette pièce.

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  3. rien que pour le lieu et la programmation cela avait l'air très attirant, une belle escapade!

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    1. Si tu ne connais pas Sarlat, c'est vrai que c'est une destination qui a du charme ... surtout hors saison, mais ajouter cela, c'est un truisme !!!

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