mardi 3 septembre 2013

INVITÉS PAR WILLIAM CHRISTIE


Il sait vivre le grand Bill !! C'est vraiment un "grand" monsieur cet homme-là ... Depuis l'année dernière (c'était cette année la deuxième édition) il organise dans son logis vendéen, perdu au fond d'une improbable campagne de bocages et de prés jaunis par l'été, un extraordinaire "Festival dans les jardins de William Christie", qui est, pour ses "invités", un moment d'extraordinaire félicité musicale. Imaginez un peu : en 1985 le déjà célèbre chef des Arts Florissants, acquiert (après un échange !!) une demeure abandonnée datant de la fin de XVIème siècle, située à Thiré, dans le canton de Sainte-Hermine en Vendée. William Christie est fils d'architecte et fort cultivé : il est titulaire d'un diplôme d'histoire de l'art à Harvard, qui complète fort judicieusement son master musical de Yale. Toujours est-il qu'immédiatement, et réalisant sans doute un rêve profond, il se prend de passion pour cette sévère demeure et surtout, pour les jardins qu'il décide de créer de toutes pièces autour. Des jardins savants, délicats et empreints d'un charme à la fois personnel et éclectique, particulièrement attachant. Alain Delaval, dans son mémoire de présentation pour l'inscription des jardins de Thiré au Patrimoine, nous explique tout cela fort bien (1). Nous les avions d'ailleurs visités il y a peu à l'occasion de la journée des jardins.


Toujours est-il que, dans ce paradis de verdure aux inspirations complexes et foisonnantes, monsieur Christie a décidé de créer, avec l'aide de riches mécènes américains, un festival à la mesure de l'endroit : luxuriant, généreux et passionné. Une journée au Festival de William Christie, c'est un voyage poétique, un peu utopiste et totalement enivrant. C'est aussi une invitation royale, où rien n'est laissé au hasard pour assurer le confort et le plaisir des hôtes. Je vous raconte.


L'après-midi commence par un concert "Nouveaux talents" : on sait combien monsieur Christie aime à découvrir des jeunes prometteurs, et combien parmi ceux qu'il a ainsi poussés sur le devant de la scène, ont fait carrière. Le 31 août, nous avons ainsi entendu un jeune claveciniste sarde, élève de Paola Erdas (de Trieste), Paolo Zanzu, qui accompagnait Tiam Goudarzi, à la flûte à bec. Pas un instrument facile la flûte à bec, mais il faut reconnaître en l'espère que cet iranien, philosophe et titulaire d'un master d'esthétique de surcroît, en joue avec une agilité, une virtuosité, en un mot une maîtrise et un esprit tout à fait remarquables.

 Près du Pont Chinois, après quelques pièces pour le luth de Johannes Hieronymus Kapsberger, interprétées avec une virtuosité élégante par Thomas Dunford, l'émouvante prière berceuse de Tarquinio Merula, Ninna nanna, chantée par la mezzo Anna Reinhold.

Ensuite, on se dirige vers la propriété du maître des Arts Florissants, pour, entre bosquets et charmilles, au bord de l'eau ou dans les recoins les plus secrets de ce jardin des merveilles, une promenade musicale qui pourrait fort bien durer des jours. Jugez-en plutôt : les lieux d'abord... tous aux noms imagés et poétiques : les Terrasses, le Pont chinois, le Mur des Cyclopes, le Jardin Rouge, le Théâtre de verdure... entendez, différents recoins du jardin à découvrir, assis dans l'herbe, en écoutant la rivière chanter, et en contemplant les tourterelles.

Toujours près du pont chinois, où chante la rivière, et toujours secondée par le luth attentif de Thomas Dunford, la très jolie Rachel Redmond, au timbre précis et à la voix pleine et chaude, nous chante quelques airs de cour de Lully, "Dans ces déserts paisibles", et de Michel Lambert ... des textes désuets et gracieux qui s'accordent parfaitement à la sérénité du lieu. 

Là, le temps d'une émotion, d'un éclat de rire ou d'une découverte, on s'offre un petit tour d'Europe au temps de François 1er, on s'amuse de quelques chants de Purcell ou de Charpentier, on s'extasie à l'écoute d'une cantate d’Élisabeth Jacquet de la Guerre, on déguste quelques airs de cour de Lully ou de Michel Lambert...

Au Théâtre de Verdure, une "folie" d'ifs taillés en chapeaux chinois, l'aurore de la musique moderne : des madrigaux de Giaches de Wert, sur un poème de Pietro Bembo, chantés par Maud Gnidzaz, Anna Reinhold, Chirstophe Gautier et sous la direction très sensible de Paul Agnew. 

... on s'attarde à l'aube de la musique moderne avec un poème de Pietro Bembo mis en musique par Giaches de Wert ...
Trois voix d'hommes : installés au pied du mur des cyclopdes, au bord de la rivière et accompagnés par Jonathan Rubin au théorbe, Zachary Wilder, Cyril Costanzo et le désopilant Victor Sicard nous interprètent, avec une bonne humeur communicative "Fenchon, la gentille Fenchon" et Charmantes fleurs naissez" de Charpentier, "Qui veut chasser une migraine" de Gabriel Bataille, "Lovely Selina" de Blow et "Once, twice, I Julia tried" de Purcell

...on s'amuse de quelques chansons à boire, et on muse, le nez au vent, l'oreille aux aguets, totalement sous le charme de ces surprises, brèves, mais intenses. L'après-midi s'écoule à tout allure, et c'est déjà le soir qui commence à faire fraîchir la brise.


Après quelques extraits de l'Ode pour la reine Mary, de Purcell, exécutés par la troupe des "voix du Jardin" sur les Terrasses, devant la file bien alignée des pigeons du domaine, qui la ponctuent parfois d'un envol parfaitement synchronisé, on va déguster quelques douceurs dans la Pépinière, en buvant des Bourgogne de chez Jadot, spécialement choisis pour nous par l'hôte des lieux.


Car Monsieur Christie pousse le raffinement jusqu’à choisir pour ses invités des vins de qualité : un hôte parfait, vous disais-je !! Puis, on se promène un peu dans les allées, en attendant l'heure du concert sur le Miroir d'eau. Sous les charmilles, les chanteurs vocalisent, font les cent pas, rient un peu nerveusement : tout est calme mais la tension est extrême.

 On attend patiemment qu'un vilain coucou pétaradant ait fini de traverser le ciel de Thiré pour commencer !

Face au logis, devant lequel s'étend un superbe jardin à l'italienne cerné de tilleuls et d'ils rigoureusement taillés, on descend quelques marches pour se retrouver devant une vaste pièce d'eau rectangulaire : longue de 70 mètres, elle est close, au fond, par une évocation de nymphée en rocailles baroques. Plus loin, la perspective continue, ouverte vers la colline par une colonnade discrète, et se terminant au loin par la suggestion d'un lointain accessible, là-haut, dans les bois alentour. Sur le bassin, est installée une estrade où se dérouler le concert, admirablement éclairé par des lumières qui se jouent de l'eau et des reflets, créant ombres et mystère, comme un décor naturel et pourtant fort savant !


Lors du second week-end, car cette manifestation magique s'étend sur deux week-ends, nous avions la chance d'entendre Didon et Enée, après une fort allègre interprétation de l'Ode pour la Reine Marie, en entier cette fois-ci ! Certes c'est une version de concert, certes les voix sont jeunes, certes nous sommes en plein air, mais quel bonheur que ce chef d'oeuvre lyrique dirigé avec fougue et un respect absolu des sonorités baroques par le maître de Thiré. La nuit tombe doucement sur le bassin illuminé, les reflets sur l'eau chatoient de plus en plus, la parole est à Purcell, brillamment servi par les jeunes solistes du Jardin des voix, par les musiciens des Arts Florissants et ceux la Julliard Scholl.


C'est puissant, précis, violent parfois, jeune et palpitant, superbement enlevé. On en oublie même que, brusquement, une panne de courant nous prive de la magie du lieu : quelques flambeaux posés autour de la scène prennent le relais des éclairages sophistiqués. L'alchimie de la musique, interprétée avec une énergie et une poésie parfaitement dosées, remplace l’électricité défaillante pour nous transporter et nous émouvoir. Il suffit de contempler le ciel, sans lune mais pailleté d'étoiles : nos yeux habitués à l'obscurité captent les ombres mouvantes qui nous charment de sonorités irréelles, et cette version réinventée pour nous est simplement idéale.

J'ai osé, malgré la solennité de l'instant, en essayant de me faire la plus discrète possible, fixer cet instant intense et superbe.

Mais, le croirez-vous, la soirée n'est pas terminée. Le meilleur, en tout cas le plus émouvant, nous attend. Par un chemin de bougies vacillantes, on se dirige doucement vers l'église du village, située aux deux pas du manoir. Et là, dans une église éclairée par de lourds chandeliers, et dans le silence le plus absolu car nous sommes priés de ne pas applaudir pour favoriser le recueillement et l'intériorisation de la musique, nous assistons au dernier concert de la journée, les Méditations de l'Aube à la Nuit. Sous la direction précise et ciselée de Paul Agnew, nous écoutons quelques œuvres religieuses d'Henry Purcell, a capella ou avec basse continue. Les dernières notes s'éteignent doucement dans l'ombre incertaine et nous quittons l'église, dans le plus grand silence, comme après un office de nuit. C'est prenant, inspiré et très émouvant.


Sur les terrasses du logis, quelques verres nous attendent pour un pot de séparation, car tous ces magiciens de la musique sont là depuis une dizaine de jours, et c'est, en même temps que la fin du Festival, la clôture du Jardin de voix. Monsieur Christie égrène de longs et sincères remerciements : c'est fou le nombre de personnes qui ont participé à la réussite de cet événement. Et, comme toujours, je repars éblouie, en m’émerveillant, une fois encore, de la générosité de ceux qui nous offrent, comme les frères Boutinet à Fontdouce, comme Yann le Calvé à Royan, et comme William Christie, dans son propre domaine, des instants de pur bonheur musical. Qu'il en soit chaleureusement remercié, et nous sommes sur les starting-blocks pour le prochain "Festival dans les jardins", qu'il nous a annoncé pour 2014 ! Un rendez-vous à ne manquer sous aucun prétexte... C'est vraiment un secret de happy few que je vous livre là : la manifestation n'a rien de mondain, le parking est envahi d'immatriculations locales, quasiment aucun 75, les spectateurs sont simples, heureux, personne ne fait de chichis, tout est admirablement organisé, bref, une journée dont nous nous souviendrons longtemps avec des étoiles dans les yeux.


(1) "Cet ensemble de jardins, par-delà son caractère formel et très structuré, reflète un éclectisme voulu par son créateur. Il apparaît non comme un pastiche ou une simulation de jardin Renaissance, mais comme une interprétation du site tel qu’il aurait pu évoluer s’il avait connu une continuité historique, et comme une imitation au sens classique du terme.
Les influences dont il est porteur, de l’intention même de ses concepteurs, sont tout à la fois celles des jardins maniéristes de Toscane, comme l’arbre-parasol du théâtre de verdure, inspiré d’une gravure du Songe de Poliphile, du jardin formel de la Renaissance en France, notamment pour le parterre du jardin haut, mêlant des éléments d’inspiration anglaise et hollandaise.
D’autres éléments d’inspiration ont également guidé William Christie, notamment les rapports symboliques avec son métier de musicien; un symbole sonore particulièrement fort est celui du carillon hollandais installé sur les communs qui sonne les heures pour tout le voisinage. Certaines parties du jardin portent, dans la correspondance échangée entre William Christie et ses collaborateurs, Mary Keen notamment, des noms puisés directement dans l’opéra baroque dont le musicien s’est fait une spécialité (“jardin d’Atys” par exemple). Mais l’influence la plus marquante, semble-t-il, est celle du jardin anglais du style “Arts and Crafts” des années 1890, par sa conception de base d’abord, chaque ligne structurante de ce jardin étant soumise à la perspective des ouvertures de la maison, par son caractère très clos et compartimenté comme autant de lieux de retraite très marqués par un souci d’intimité. 
Surtout, William Christie a cherché à travers la création de cet ensemble à utiliser une démarche analogue à celle de son approche de la musique ancienne, et à retrouver un esprit des lieux et de l’époque ; il a ainsi voulu être fidèle à une conception artistique et hédoniste à laquelle il s’est toujours attaché dans sa démarche de musicien. Dans ce sens, on peut considérer les Jardins du Bâtiment comme un exemple d’anti passéisme, dans la mesure où il ne prétend pas plaquer artificiellement un objet factice purement extérieur aux formes servilement copiées sur des références de catalogue, mais au contraire donner forme à un sentiment de la nature traduisant un imaginaire des lieux comme de celui qui l’habite, c’est-à dire l’expression la plus haute de la mise en représentation du monde que constitue toute démarche artistique. 
Les jardins de William Christie, en démontrant que la création d’une œuvre d’art qui assure à la tradition ancienne une place possible dans la sculpture du paysage contemporain en refusant la brutalité de l’idéologie dominante de “rupture” trop souvent à l’œuvre dans l’aménagement du territoire, peuvent peut-être être regardés comme l’un des premiers jardins d’art postmodernes."

16 commentaires:

  1. Un régal de lecture que ce papier...
    Bonheur que celui du droit à l'image des jardins!!!
    Belle semaine à vous deux
    M de S

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    1. Question droit à l'image, si monsieur Christie voulait pinailler, il pourrait y trouver à redire : mais ce n'est vraiment pas le genre de la maison ! Ce qui fut un régal, et je suis ravie que tu l'aies senti à travers ce billet, ce fut la façon royale dont il reçoit : avec panache. Avec, cerise sur le gâteau, rien que des talents et de la qualité musicale...

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  2. quel beau moment cela devait être!

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    1. Oh oui, un vrai bonheur !!! ce n'est pas si loin de chez toi ...

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  3. Il ne manque que le son ! Tu fais trop d'envieux là !

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    1. J'espère que quelques uns pourront en profiter l'an prochain !!

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    2. J'espère que quelques uns pourront en profiter l'an prochain !!

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  4. Souvenir d'un beau week-end, l'année passée dans ce lieu magique quand il reçoit tous ces beaux talents d'une jeunesse et d'un talent magnifiques !!!
    Cette année nous étions au Mont...
    Tu as dû effectivement te régaler !!!
    http://enitram-cheminfaisant.blogspot.fr/2012/09/une-escale-dans-de-merveilleux-jardins.html

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    1. Ah Enitram, dès lors qu'il s'agit de William, tu es partante !! et tu as eu la chance d'y aller l'an passé toi aussi ? c'est vraiment magnifique en effet ! Ton article ressemble étrangement au mieux, même lieux, même émerveillement, même magie conjuguée de la nature et de la musique ! Alors on s'y retrouve l'an prochain ???!!!

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  5. Quel contraste incroyable entre ce personnage qui se met ici délicieusement en scène et l'homme tel qu'il est vraiment dans les intéractions quotidiennes avec les musiciens!

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    1. Toi tu sais des choses !!! que tu tais pudiquement !! en tout cas, chez lui, il est charmant, plein d'attention pour tous et toujours plein de talent. Qu'il soit exigeant au quotidien peut-être la cause du talent de ceux qui l'entourent ???

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    2. Je crois qu'à ce niveau-là, ce n'est même plus de l'exigence, mais de la perversion. Mais je préfère évoquer cela avec toi en effet en privé...

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  6. Wouuaah quelle chance!
    Ici Sceaux et les Solistes se terminent cette fin de semaine mais je ne pourrai y assister devant me rendre à des obsèques en Lorraine, le père d'un de nos amis suite à un accident de montgolfière

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    1. En fait, c'est après avoir tenté de réserver un jour où tu venais pour t'emmener visiter ces jardins , que j'ai découvert ce Festival !!
      Désolée pour la pénible tache qui t'attend, mais un accident de montgolfière, voilà qui est peu banal, je ne croyais, quand il m'est arrivé d'en faire, que cela put être mortel : risqué, oui, mais mortel !! Pourtant il y a eu un autre accident qui a fait grand bruit il y a quelques mois, en effet.

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