Petit retour à Rome en attendant les agapes de fin d'année !!
Non, nous n'avons pas profité de notre séjour romain pour tenter une escapade en Calabre... Je veux simplement vous inviter aujourd'hui à "visiter en images" une fresque hors du commun, qui décrit, avec moult détails, le petit port de Paola, sur la côte Tyrrhénienne, tout proche de Cosenza. Encombré de marinas et autres plages aménagées aux odeurs d'ambre solaire (oui, JE SAIS, c'est démodé, mais j'aime bien !!), envahi de touristes, pèlerins et autres voyageurs des temps modernes, bordé de faux lagons et de vraies piscines, ce petit bout de côte calabraise ne semble pas, aujourd'hui, déborder de charme. Mais tel que le décrit Emmanuel Maignan, auteur de la fresque en question, l’endroit est, encore, délicieux.
Dans un paysage assez fortement vallonné, parsemé de chemins qui parcourent la campagne en tous sens, on découvre sur le mur une vraie "vue aérienne", qui dessine une baie maritime entourée de montagnes et de plaines pelées, une immensité un peu abrupte mais très évocatrice. A gauche, les côtes imaginaires de Sicile, car bien que fort éloignée de Paola, nous verrons que cette dernière joue un rôle dans l'histoire.
A droite, le port de Paola ...
... môles, remparts, églises bien détaillées, tours de défense, viaduc, clochers ... tout y est, minutieusement décrit.
Les barques de pêche mouillent dans la rade et, au loin une forêt de mâts nous dit que le port est prospère et actif.
Sur une sorte de jetée, qui semble naturelle, des hommes tirent une petite embarcation pendant que, derrière eux, les spectateurs commentent, donnant sans doute de précieux conseils !!
Au centre de la baie, un peu éloigné du rivage, une scène étrange attire notre attention : un bateau, toutes voiles dehors, semble cingler vers le large, tandis que non loin deux personnages sont littéralement "posés" sur la mer. Étrange tout de même : pas de doute, ils sont bien sur l'eau ces deux-là ...
En y regardant de plus près, une mélodie de Liszt vous revient à l'esprit... mais oui, mais c'est bien sûr... c'est saint François de Paule marchant sur les eaux. A ceci près qu'il ne marche pas, mais qu'il est installé sur son manteau qu'il a étendu sur l'onde et qu'il flotte, tel un surfeur, guidé par un personnage divin qui, lui, marche carrément sur les flots agités d'une légère houle. Un ange ? Le Christ lui-même ? En tout cas sa nature divine est indiscutablement affirmée par le geste qu'il ébauche vers le ciel où, dans les nuées, un rayon céleste se dirige sans l'ombre d'une hésitation vers le bienheureux François. Ce dernier voulait prendre la mer et la nef que nous voyons s'éloigner, à gauche de la scène, refusa de le prendre à son bord. Qu'à cela ne tienne, une intervention miraculeuse lui permit de traverser tout de même le détroit de Messine, guidé par la main de Dieu et, si l'on en croit Liszt, bravant sans encombre flots impétueux et tempêtes.
En fait, nous sommes à la Trinité des Monts (1), sans doute est-ce là la scène principale de cette fresque, exécutée en 1642 par le révérend père Maignan, professeur du théologie dudit couvent et peintre à ses heures. Pas mal ce paysage, conçu pour magnifier la narration d'un miracle, important pour l'ordre des Minimes dont François était le fondateur et qui occupait alors le couvent ... et si nous reculions un peu pour en avoir une meilleure vision ??
Un paysage tout en longueur, animé de vagues et de plis, ponctué de scansions horizontales... Reculons encore un peu pour mieux l'embrasser du regard dans son entier.
Mais que se passe-t-il ?? le paysage s'estompe et change de forme au fur et à mesure qu'on s'éloigne ??? On distingue bien encore les scènes précédentes mais elles se fondent dans autre chose ...
... une silhouette se dessine... un vieillard barbu et encapuchonné, le front dégarni, l'air extatique... encore quelques pas en arrière... tout change sous nos yeux ébahis : le paysage est oublié et le moine en prière devient le sujet de cette fresque !!
Mais c'est Saint François de Paule, auréole au vent, mains jointes, en extase et en prière ! En effet, le père Maignan était aussi, et avant tout, un scientifique, passionné de géométrie et d'optique. Auteur d'un important traité sur les horloges solaires, il se piquait aussi de perspective et réalisa pour son couvent cette superbe anamorphose qui occupe tout un mur du cloître, pas moins de 20 mètres de longueur, et se révèle une véritable prouesse technique, qui nous émerveille encore aujourd'hui. C'est avec des fils matérialisant les rayons visuels qui sortent de l’œil qu'il ordonna, nous dit-on (2), l'image entière, telle qu'elle apparaît au visiteur lorsqu'il pénètre dans la galerie.
Un simple exemple de l'étonnement que l'on éprouve devant cette réalisation : le petit paysage ci-dessus, anodin mais fort explicite - une demeure près d'une bosquet ou d'un lac, un arbre solitaire, quelques personnes égayées sur le chemin - est en fait l’œil de Saint François de Paule quand on voit la fresque depuis l'entrée du cloître.
De même, si vous regardez attentivement les photos du port de Paola, vous y distinguerez, comme un étang en forme de croix, au bord duquel, en regardant attentivement, on aperçoit même 2 ou 3 pêcheurs : et pourtant, vu de loin, c'est la croix du chapelet du Saint !
La présence et l'hommage au Saint fondateur de l'Ordre des Minimes s'explique, quant à elle, de bien plus simple manière : après des années de désert et de prière, François Martolilla fut convié à venir résider à la cour de Naples où il se fit rapidement une réputation de thaumaturge. Tant et si bien que sa renommée se répandit dans l'Europe entière et que Louis XI étant gravement malade, et espérant prolonger ses jours, le fit mander à sa cour de France. Un peu poussé par le roi de Naples qui souhaitait ainsi renforcer ses rapports fragiles avec la grande puissance qu'était la France, François se rendit à Marseille où il parvint malgré une tempête importante et surtout une attaque de pirates. Ne pouvant débarquer car la Provence était alors ravagée par le peste, il fut refoulé vers Toulon où il put tout à loisir exercer ses talents de guérisseur, et créa même un couvent. Mais il fallait rejoindre Louis XI, il remonta le Rhône en bateau, fut accueilli avec pompe à Lyon et, passant par Roanne puis Tours, finit par atteindre le chateau de Plessis-lez-Tours où il ne put que préparer le roi à mourir le plus pieusement possible.
Mais c'en était fini pour le saint homme de l'Italie et de la Calabre : il passa en effet le reste de sa vie, plus d'un quart de siècle, à la cour de France, protégé et admiré par Charles VIII puis par Louis XII et gouvernant la vie spirituelle des rois, des évêques et des grands. C'est ainsi que, pour lui manifester sa gratitude, Charles VIII acquit en 1494 un terrain sur le Monte Pincio, et y ordonna la construction d'un important couvent de l'ordre que François de Paule avait fondé, l'ordre des Minimes. Des sortes de franciscains de la première heure, soucieux de revenir aux valeurs fondamentales du christianisme.
L'auteur de l'anamorphose, réalisée plus d'un siècle après la finition du couvent, était un moine qui, nous l'avons vu, comptait parmi les savants et hommes cultivés de son siècle. En relations épistolaires avec les plus grands de son temps, Torricelli, Fermat, Mersenne, il réalisa aussi pour l'autre branche du cloître, celle située au midi, un extraordinaire astrolabe catroptique, dont je n'ai pas compris grand chose quant à sa conception (3) mais dont je puis vous assurer qu'il donne toujours l'heure avec la plus grande précision et ce, de façon spectaculaire.
Article dédié à Koka, qui aime les anamorphoses
(1) La visite du couvent de la Trinité des Monts se fait sur rendez-vous, à prendre, non par téléphone comme l'indiquent les guides, mais plutôt par mail à l'adresse suivante : maison.accueil.tdm@libero.it . Autant indiquer les dates de votre séjour, on vous répond très vite et, après fixation de votre venue, vous pouvez y aller tranquille, vous êtes bien attendu à l'heure dite ! Il faut bien sûr accepter de suivre une visite guidée mais le lieu en vaut la peine, et c'est un faible inconvénient. D'autant que, bien sûr, la visite est en français. Et le prix est modeste, 5 euros par personne.
(2) L'affaire, assez compliquée, est expliquée dans un brillant article sur les anamorphoses et les différentes techniques utilisées par les peintres pour les réaliser. "Le système est mécanique, avec un appareil spécial pareil à une, potence, fixé perpendiculairement au mur, à une certaine distance du point de vue. Sur la barre horizontale DE est ajusté, avec un noeud coulant, un fil mobile FH qui peut changer de position et dont la verticalité est assurée par un poids. Une « gemme » y est enfilée de manière qu'elle puisse glisser et s'arrêter à la hauteur voulue. Un volet LK, à deux charnières, sur lequel on fixe l'image à projeter est accroché à la branche verticale de la « potence ». Enfin, un très long fil, NP, qui peut aller d'un bout à l'autre de la galerie, est attaché par une extrémité devant la porte d'entrée, à la hauteur de l'oeil. C'est toute l'installation. Son fonctionnement est à trois temps : 1" Le volet avec l'image est rabattu contre le fil avec la gemme que l'on ajuste à un point précis de la figure. 2" On ouvre le volet. La gemme se trouve alors en J'air, à l'endroit correspondant au point qu'elle a marqué sur le tableau. C'est un « guidon » pour le viseur. " On tend le fil du rayon visuel de sorte qu'il touche d'abord la gemme et frappe ensuite le mur en situant exactement sa projection. En répétant l'opération le long du linéament, on obtient la transposition rallongée de la figure entière."
(3) D'après Paul Gagnaire : Son cadran de La Trinité des Monts, appelé aussi "l'Astrolabe" ou "l'Astrolabe catoptrique", se déployait sur les murs et la voûte cylindrique de "la partie centrale de la galerie supérieure regardant le midi", dite "Galerie de l'Astrolabe". En réalité, cette galerie a son axe dans un azimut proche de -30° vers le Sud-Est, ou, si l'on compte depuis le Nord, en sens horloge, comme les marins, "dans le 150". La fenêtre que traversent les rayons du Soleil se ferme par un volet en bois à deux battants dont chacun est entaillé, à sa base, au ras de l'appui de la fenêtre, et le long de son bord opposé aux gonds, d'un portillon arrondi en forme de quart de cercle. Ainsi, le volet fermé, il subsiste une petite "chatière" semi-circulaire, qu'une planchette, aux bonnes dimensions, permet de clore, mais qu'on retire pour laisser fonctionner le cadran.
Une anamorphose très habile, que vous présentez en maintenant vos lecteurs en haleine. Merci, Michelaise, pour votre publication passionnante. Passez un beau dimanche !
RépondreSupprimerMerci Anne d'avoir joué le jeu : en effet j'essaie de la révéler petit à petit, pour que la surprise soit complète, au moins pour ceux qui ne connaissent pas la Trinité de Monts
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