lundi 31 mars 2014

BERNIN À BORDEAUX


Bordeaux a la chance, rare en France, de posséder deux Bernin, de qualité de surcroît. Grâce au Cardinal François de Sourdis qui, ayant vécu en Italie, en rapporta ces témoignages insignes d'un goût baroque fort peu connu à Bordeaux, ville classique s'il en est !

François d'Escoubleau de Sourdis est né en 1574 dans le Bas Poitou, d'une famille noble, dont le père s'était, durant tout le XVIe siècle, illustré par sa bravoure. Fils aîné, il n'était nullement destiné à la prêtrise, et héritier du titre de comte de La Chapelle, il semblait promis à une brillante carrière militaire. Après des humanités effectuées au Collège de Navarre à Paris, il commença à guerroyer et participa ainsi à au siège de Chartres en 1591. Il était même fiancé à Catherine Hurault de Cheverny, fille du chancelier royal. Pourtant, lors d'un premier voyage à Rome, la rencontre avec deux personnalités d'envergure, le cardinal Frédéric Borromée (Federico Borromeo) et Filippo Neri (saint Philippe Néri, fondateur des Oratoriens), le décide à entrer dans les Ordres. Il est rapidement, noblesse oblige, nommé abbé commendataire de Preuilly, de Montréal, et d'Aubrac (1597-1600), puis nommé cardinal le 3 mars 1599 par le pape Clément VIII. Trop jeune, il doit  bénéficier d'une dispense pour être nommé archevêque de Bordeaux et primat d'Aquitaine le 5 juillet 1599. Il est consacré le 21 décembre 1599, à Saint-Germain-des-Prés à Paris, par le cardinal François de Joyeuse, archevêque de Toulouse, et reçoit la barrette de cardinal un an plus tard le 20 décembre 1600. 

À Bordeaux, le cardinal de Sourdis s'implique dans un certain nombre d'améliorations urbaines en faisant assainir les sites marécageux des faubourgs de la ville, en rénovant le palais archiépiscopal datant du Moyen Âge, en faisant restaurer la basilique Saint-Michel, et finalement en construisant   l'église Saint-Bruno (1611-1620). Fort engagé dans les travaux d'assèchement du palus du nord de la ville, traversé par la rivière de la Jale, il peut être considéré comme un des précurseurs des grands intendants du XVIIème et comme un des fondateurs de la ville moderne. C'était encore un marécage quand le cardinal fonda, en ces lieux, le couvent de la Chartreuse. En 1608 Blaise de Gascq, en religion frère Ambroise, fils d'un conseiller et trésorier général du roi dans le bazadais, léguait sa fortune au couvent des Chartreux installé dans le faubourg des Chartrons, à condition qu'ils construisent au nord une église et un couvent placés sous le vocable de Saint Bruno. Le cardinal de Sourdis aida alors les religieux à accomplir la fondation projetée et éleva, sur ses propres deniers, un hôpital contigu au monastère. Il leur donna 40 000 livres pour leurs aumônes et 10 000 livres pour l'entretien des bâtiments et l'achat des biens. Le 13 janvier 1609, il acheta un vaste terrain où le supérieur des Chartreux put édifier son nouveau monastère, le terrain étant carrément donné à l'ordre dès le 16 mars. 

La ville de Bordeaux contribua d'ailleurs aussi aux frais de fondation du couvent, et le 22 juillet 1611, Henri II, prince de Condé, posait la première pierre du monastère. En 1618, les cellules de religieux étaient déjà construites, et en 1620, on en était à la charpente. Pendant tout le chantier, le cardinal de Sourdis, pour relier l'église des Chartreux à son palais épiscopal, s'attacha à assécher les marais qui les séparaient. Ces lieux inaccessibles, "pleins de fossés et abismes d'eau, où on ne pouvait aller ny à pieds ni à cheval, exhalant tous les matins et les soirs de vapeurs expesses", selon un chroniqueur du temps, furent creusés de canaux, assainis, on y traça de belles allées qui traversaient prairies et aubarèdes. Ces lieux, réputés jusqu'alors comme les plus insalubres de France, devinrent, selon le même chroniqueur "plus beaux que les Tuileries de Paris". Le sol, exhaussé, était d'une extrême fertilité et se couvrit rapidement de "récréatifs ombrages". La Fronde faillit détruire l'oeuvre du cardinal de Sourdis : les eaux ne s'écoulant plus, les fossés n'étant plus curés, le marais menaçait de se reformer, mais les lieux furent réhabilités à la fin du XVIIème siècle. Malheureusement, le couvent fut démoli en 1790 et il ne reste plus de cette entreprise ambitieuse que l'église Saint Bruno.


François de Sourdis fit beaucoup pour développer la vie religieuse de la capitale de l'Aquitaine.  En 1603, il accueille l'abbé Dermit MacCarthy, prêtre du diocèse de Cork, avec ses quarante compagnons, qui forment le noyau de la nouvelle Université irlandaise à l'Université de Bordeaux. Il installe aussi en ville de nombreuses congrégations et fait approuver la Compagnie des filles de Notre Dame, fondée par sainte Jeanne de Lestonnac. En 1605, il devient coadjuteur, avec les droits de succession de son oncle Henri d'Escoubleau de Sourdis, évêque de Mallezais, et en 1607 il baptise le duc d'Orléans, second fils d'Henri IV. En 1615, il célèbre lors de la même cérémonie, en la cathédrale Saint-André, les mariages d'Élisabeth de France, sœur de Louis XIII, et de l'Infant Philippe (futur Philippe IV d'Espagne), ainsi que celui de Louis XIII et de l'Infante Anne d'Autriche, sœur de Philippe.

Amateur d'art, il rapporta de ses séjours romains de nombreuses peintures italiennes qui faisaient la gloire de sa collection, malheureusement dispersée en 1680. Le site "Patrimoine et inventaire d'Aquitaine" reconstitue une partie de cette collection, en proposant de visiter dans la ville les toiles acquises par le Cardinal et encore visibles dans certains églises de la ville.


Parmi ses acquisitions de prestige, figurent donc deux Bernin, rapportés de son dernier séjour romain de 1622-23. L'un est encore en place à gauche du maître-autel de l'église Saint Bruno, pour lequel il fut conçu. Il s'agit d'un ange de l'Annonciation, auquel fait face une Vierge, exécutée par Pietro Bernin, le père de Gian Lorenzo, de moindre facture. Les deux statues ne furent installées dans l'église qu'en 1638, après la mort de leur commanditaire, son frère, archevêque à son tour, lui ayant succédé. En 1838, Stendhal passant par là, et semblant ignorer l'identité des illustres sculpteurs, jugea que l'ange avait "une assez jolie tête", mais "un corps pitoyable". Par contre, le buste du Cardinal, exécuté à l'occasion du même voyage à Rome, fut jugé "excellent ou du moins fort bon, mais placé trop haut" ! 


Cette admirable tête, jaillissant avec sérénité au-dessus du buste conique de la chape pastorale du pluvial pastoral, est en effet restée longtemps à l'église Saint Bruno où Stendhal la remarqua, et ce n'est qu'au XXème siècle qu'elle trouva refuge au musée des Beaux-Arts, avant d'être remise au musée d'Aquitaine où elle est présentée maintenant. Le portrait est inhabituel, l'homme esquisse un sourire discret qui plisse ses yeux et lui donne un air presque moqueur. On a l'impression d'une complicité entre l'artiste et son modèle dont le visage lisse et intelligent surgit au-dessus d'une accumulation élégante d’habits sacerdotaux.


La chasuble, qu'on devine richement brodée de silhouettes de saints (on identifie parfaitement à droite Saint Jean, en train de rédiger l’Évangile, avec à ses pieds son aigle symbolique... on peut donc imaginer qu'à gauche ce serait Saint Jean le Baptiste, avec sa traditionnelle allure de hippie) et de motifs en arabesques, est tenue par un fermail orné d'une tête d'ange au sourire largement épanoui, posé entre deux ailes séraphiques.


En-dessous, l'aube plissée est plus légère, et la distinction des textures des tissus est parfaite. On ne peut s'empêcher de s'étonner de ces deux sourires juxtaposés, comme si celui de l'ange, franc, était là pour saluer le tempérament aimable du prélat. Mais il s'agit, vous vous en doutez, d'une pure spéculation de ma part !!

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Les information sur François de Sourdis sont extraites de l'ouvrage Évocation du vieux Bordeaux par Louis Desgraves, Les Editions de Minuit, 1989

vendredi 28 mars 2014

MUSEE DE ROUEN : IMPRESSIONISME

suite de

Parler du musée de Rouen sans évoquer l'Impressionnisme serait, à l'aune actuelle, une hérésie ! Et bien que ce blog se veuille consacré aux sujets les moins médiatisés, je ne peux faire l'impasse sur la section impressionniste, même si mes remarques doivent constituer des redites, le sujet étant déjà largement couvert sur la toile. Ce billet sera donc ma façon de dire adieu à ce musée de province dont les quelques billets que je lui ai consacré révèlent une richesse vraiment exceptionnelle.


Jeune femme lisant ou La Dame au balcon est le portrait de l'épouse de l'artiste : Henry Ottman (1877-1927). Quoique né en France, Ottman s'installe au début du XXe siècle à Bruxelles où il fonde, avec d'autres peintres, l'Effort, un "atelier libre" pour artistes établis en Belgique. C'est à Bruxelles qu'il expose pour la première fois, en 1903, 3 vues de la gare du Luwembourg, exécutées sous le vent, le gel et le brouillard.


Une de ces toiles, étonnantes, est aujourd'hui au musée d'Orsay : il s'agit manifestement d'une toile réalisée ou au moins commencée, en plein air. Le peintre s'est placé sur un pont qui enjambe les voies et cette vue plongeante, où l'artiste joue avec la répétition du motif des rails, fait penser à Monet. Il participa d'ailleurs au Salon des Indépendants à Paris de 1905, au Salon d’Automne, au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts et exposa aussi au Salon des Tuileries à Paris.


C'est à Ixelles qu'il s'unit, le 22 octobre 1902 avec Marie Céline André Capron, dont il nous offre ici le grand portrait en pied, presque grandeur nature. Appuyée au balcon de fer forgé d'un élégant mais discret appartement bourgeois, la jeune femme est plongée dans son livre et ne regarde ni le peintre ni le spectateur. Le thème de la femme absorbée par la lecture est très prisé depuis le XVIIIe siècle et Ottman s’inscrit, par le choix de ce sujet dans une tradition classique qu'il revisite selon les critères de la jeune génération.


La porte-fenêtre est très largement ouverte sur un bouquet d'arbres aux teintes douces et printanières de jeunes pousses à peine écloses. La silhouette sobrement vêtue de blanc se découpe à contre-jour sur ce fond ensoleillé et le reflet de la jeune femme, visible dans la vitre de gauche, offre un "double portrait" de la jeune femme : celui du sujet est de face, alors que l'autre nous présente son joli profil.


Mais ce qui est intéressant dans cette toile, qui tient à la fois de la scène de genre, du portrait, du paysage tant l'extérieur entre dans la pièce, et de la nature morte, c'est justement la place très important réservée à cette dernière. Occupant une partie majeure de la composition, en fait toute la moitié basse du tableau, elle s'organise sur une table d'amoureux, où la serviette négligemment posée sur le rebord de la nappe, évoque le repas qui se termine. Deux tasses à café, une assiette de fruits confirment ce moment du repas : le peintre, saisi par la beauté de son épouse dans cette lumière vibrante, a jeté sa serviette, poussé sa chaise, abandonné son café et, installant Marie Céline sur le balcon, il s'est emparé de ses pinceaux pour brosser à grands traits ce délicieux instant d'intimité.


Et pourtant, cette nature morte à la coupe de fruits, n'a rien d'improvisé : elle se présente selon un schéma très étudié, travaillé et peut se lire comme un hommage à un confrère admiré, Cézanne. Tout y est : les couleurs, plus franches que le reste du tableau, font des taches vives qui isolent le sujet comme pour une mise en abyme ! La perspective relevée, tout à fait dans l'esprit du maître d'Aix, met en valeur ces objets qui accrochent la lumière. Au fond, la composition est fermée par un bouquet de lilas, dont le feuillage se confond avec la ramure extérieure. Au centre, le compotier est empli de fruits mûrs, aux formes indécises : pommes ou pêches selon la saison. Sur l'assiette, quelques fruits éclatés, qu'on peut imaginer être des figues.


A droite, une bouteille de vin à moitié vide, se cache à moitié derrière une petit bouquet de roses pompon, aux teintes douces. Le traditionnel couteau propre à tout nature morte XVIIe qui se respecte, est posé bien en évidence près de la miche de pain aux reflets dorés. Le soleil joue sur les objets, en en faisant jouer la transparence et leur donnant un relief décidé.


Un vrai tableau dans le tableau que cette nature-morte très vivante, tant on y sent encor la présence des convives. A l'instar des objets abandonnés qui évoque encore la main des dîneurs qui les maniaient il y a un instant, à peine.


Mais le plus "impressionniste" de tout est la gamme chromatique subtile élaborée par le peintre : alors que tous les éléments représentés ici sont, par nature, blancs, la robe, la nappe, la vaisselle, et même le bouquet de lilas, l'artiste joue pour les rendre sur toute une palette de nuances tendres, du vert au bleu, avec des traces mauves ou roses par endroit, transformant cet univers immaculé en une joyeuse et tendre symphonie pastel.



Il y a aussi,  bien sûr, plusieurs toiles importantes de Monet, qui fut un hôte des lieux et un fidèle de la région. Judicieusement disposées autour de la toile emblématique du musée, une des multiples cathédrales du maître, on admire une jolie collection de Renoir, Sisley, Pissaro, Caillebotte et  autres représentants éminents du mouvement impressionniste français.







FIN DU MUSÉE DE ROUEN


mardi 25 mars 2014

OUEST ? FAR OUEST !!


J'étais ce matin aux prises avec mon traditionnel bulletin d'infos - je vous passe le cadre, vous commencez à le connaître - et un peu soulée par les commentaires des journalistes concernant les raz de marée marine, Berezina rose et autres avatars aux couleurs contrastées, je n'ai pu m'empêcher de faire part de mes réflexions à Alter.
- Il y a vraiment deux France, en ce qui concerne ces municipales, et les journalistes ne nous parlent jamais que d'une et une seule, celle des grandes villes.
- Que veux-tu dire exactement ??
- Et bien, il y a les villes, où le vote est politique, et partant, médiatisé. Et puis il y a nous, la "France profonde", les 36 000 communes : on vote pour des personnalités locales et la couleur politique, on n'en parle même pas.
- Mais que veux-tu qu'ils en disent les journalistes, c'est pas intéressant...
- Mais si c'est intéressant, c'est la vie de nombre d'entre nous !!
- Je veux dire que cela ne fournit pas des "titres spectaculaires", comme l'analyse des villes politisées le permet. 

Regardez-moi ça, le cœur votant de la France, c'est la France profonde : on vote : faut dire que c'est un peu une fête : tout le monde se retrouve en fin de matinée, surtout, autour des bureaux de vote, on achète son pain, on bavarde, on suppute, on jette des regards en coin aux candidats stressés... et puis le soir, tout le monde se presse à la mairie pour le dépouillement, et ça jase en coulisses !! Et on ne fait "rien quà" nous parler de ces taches rouges où il y a eu plus de 40% d’abstention (jusqu'à 68% non, mais, je rêve)

- Je ne sais pas moi, on pourrait dire que dans les petites communes l'abstention a été nettement plus faible qu'ailleurs, qu'on se mobilise, que parfois c'est clochemerle mais qu'au final soit on favorise les sortants, quelque soit leurs opinions politiques dont on se fiche du premier comme du cent... ou qu'au contraire, ailleurs, on les sanctionne car ils n'ont pas bien entretenu la voirie ou qu'ils ont arraché un chêne centenaire, abandonné le cimetière ou pavé la place de la mairie. Il y aurait forcément plein de trucs marrants à raconter...

Ah la sanction des urnes !! Ici par exemple, la liste en place a pris un revers. Faut dire qu'elle avait supplanté par surprise la précédente liste en place dès le premier tour en 2008, et que cette dernière est revenue en force. Et bien, vous me croirez ou non, mais nous n'avions pas d'éclairage public dans mon quartier depuis deux mois ! Un four d'une noirceur à vous mettre des frissons dans le dos ... D'accord, dans mon quartier, en cette saison, y a personne, mais tout de même ! Et bien, ce matin on est venu réparer nos réverbères !! Avec moins de 30% au premier tour, la liste sortante s'est posé des questions, forcément. Mais oui, ça a du bon les municipales. Bon, je m'égare, comme d’habitude !


- Oui, mais tes histoires de réverbères cela ne fait pas des titres à sensation !! Tiens à propos, je regardais les résultats sur Paris centre : c'est impressionnant, la césure géographique : toute la moitié ouest a voté à droite, et la moitié est, à gauche. Et le deuxième, écolo !!
- Allons bon, y a des moutons et des p'tites fleurs dans le deuxième arrondissement ??
- Mais non, c'est l'effet "pic pollution" !!
- Ben voyons, j'avais raison, après le pic pollution dont on nous bassiné pendant des jours et des jours, au point qu'on se prenait à tousser quand le fumier du voisin sentait un peu trop fort, on se demandait si c'était pas le nuage de particules fines qui nous avaient rattrapés; nous voilà avec le clivage bleu-rose à coeur vert. Mais dis-moi, à ton avis, pourquoi ce clivage traditionnel ??
- Ben, les beaux quartiers à l'ouest, et à l'est les quartiers dits populaires.
- Oui, si on veut !! Mais justement, pourquoi cette géographie qu'on retrouve partout ? d'ailleurs, est-ce bien vrai, la retrouve-t-on partout ?? ou seulement à Paris et sur les villes de la façade atlantique ... 
- J'avoue que je n'en sais rien...


Que faire sinon aller voir si d'autres villes obéissent au même schéma politique... D'abord la région parisienne... Pas mal de bleu à l'ouest, c'est vrai mais l'est n'est pas franchement rose !! Et dire que la seule tache verte reste, dans cet océan multicolore, le 75 002 !!


Marseille alors ?? Tout le bleu est à l'est... franchement pas convaincant pour la géographie des tendances !


Toulouse ?? bleue, pas banal ça Toulouse la bleue, même si la ceinture reste bien rose, avec des taches divers droite, de-ci, de-là !!


Lyon ?? on dirait un papillon !! deux ailes roses, et une épine dorsale bleue !


Bordeaux ? Bleue nous le savons, les bordelais adorent Juppé depuis qu'il a fait de leur ville "la ville préférée des français" (faut dire que c'était pas gagné) et l'ouest de la ville est aussi rose que l'est !

Bon, Paris serait donc une exception ? Manifestement, on n'y comprend plus rien quant à l'organisation territoriale des opinions politiques et il règne un sacré désordre dans les idées reçues. Pourtant, le fait semble avérer, le CNRS lui-même l'affirme : les riches à l'ouest, les pauvres à l'est. Certains ont prétendu que c'était dû aux vents dominants qui souffleraient de l'ouest et ainsi, rabattraient les « miasmes des nantis » sur les défavorisés ! D'autres ont prétendu qu'il s'agissait, à l'inverse, en s'installant à l'ouest d'éviter les fumées d'usine qui, elles, étaient installées à l'est. Justement, pourquoi les usines à l'est ... c'est un serpent qui se mord la queue et toutes ces assertions sont, semble-t-il, fantaisistes.
 « Cette répartition physique des catégories sociales dans l'espace parisien, qui se prolonge d'ailleurs en banlieue (les communes bourgeoises sont essentiellement à l'ouest et les villes ouvrières forment un arc de cercle qui va du nord au sud en passant par l'est), tient au fait que le flanc occidental de la capitale a été tardivement urbanisé", expliquent Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon. Oui mais, pourquoi ?? Constater que des quartiers étaient chics au XIXème siècle et qu'ils sont devenus de plus en plus chics depuis ne résoud rien ! Pourquoi est-ce que cela a commencé ainsi ??
Nous avons bien tenté avec Alter d'avancer quelques fumeuses hypothèses : de ceux qui se lèvent tôt à l'est à ceux qui regardent le soleil couchant à l'ouest, en passant par l'emplacement des gares (à Paris, vous voyez si c'est convaincant), mais franchement on n'a toujours pas compris pourquoi on était plus riche à l'ouest. D'autant que ma maman disait "la fortune appartient à ceux qui se lèvent tôt" !!


Tenez, autour de Royan, les villes "chics" sont toutes à l'ouest : Saint Palais, la Palmyre, Vaux, les endroits où l'on se montre et où l'on est fier d'habiter, c'est là-bas ... ce n'est quand même pas une histoire de vents dominants, parce que les usines, ici, il n'y en a pas une seule. Et du coup, on vote comment aux alentours de Royan ? Côté ouest, divers droite sur la côte et rose à l'intérieur, et ailleurs, et bien ailleurs les listes sont sans étiquette !!


Sauf à Meschers, qui est rose : faut dire qu'il n'y avait que des listes divers gauche ici (je vous rappelle cet article hallucinant qui titrait que Meschers était une des plus riches villes de France, suite selon tout vraisemblance à une erreur de saisie des services fiscaux) !!


Et vous me croirez ou non, je n'ai découvert que nos listes avaient des étiquettes politiques qu'en faisant cet article : vous dire si je me suis préoccupée de leur coloration quand j'ai mis mon bulletin dans l'urne : je ne savais même pas qu'elles étaient politisées. Autant vous dire que les municipales, en campagne, c'est plus une affaire d'évaluation des compétences supposées de ceux qui se proposent pour gérer notre ville durant les années à venir, qu'une bataille pour des idées. Quand je vous disais que la France des municipales est coupée en deux !! 

samedi 22 mars 2014

MUSEE DE ROUEN : XVIIIème et XIXème siècles

Deux siècles dont il n'est pas de bon ton d'aimer les réalisations. Pourtant, ayant appris depuis peu à mieux les apprécier, j'avoue qu'on trouve là, comme en d'autres temps plus "tendance", de vrais chefs d'oeuvre qui méritent la halte.


Le XVIIIe finissant, ou triomphant c'est selon, est idéalement représenté par cette délicate petite toile de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), dont le titre à lui seul est à la hauteur des idéaux de l'époque : Caprice architectural, villa italienne avec terrasse et jardin. Le capriccio, représentation d'un paysage imaginaire ou partiellement imaginaire, s'oppose au registre des vedute et trahit des utopies sociales et esthétiques dont le peintre de Grasse s'était fait l'aimable interprète. D'autres paysages rêvés, en particulier une assez jolie collection d'Hubert Robert, se déclinent, pour notre plus grand plaisir, dans les salles XVIIIe du musée de Rouen.


La manière lisse d'Ingres (1780-1867), son étiquette par trop réductrice de néoclassique, son art "bourgeois" ne doivent en aucun cas faire oublier qu'il est un virtuose de dessin et un maître hors pair du portrait. Ce buste lumineux, surnommé avec une légère pointe d'insolence "La Belle Zélie", est là pour le prouver. L'art de la ligne, l'épure au service de l'harmonie trahissent, il est vrai, un certain idéal au service de la beauté, pour la plus grande joie du spectateur.


Le personnage longtemps identifié à tort comme Madame Aymon, a reçu le surnom irrévérencieux de "Belle Zélie", en référence à une chanson à la mode dans les ateliers de peintres à l’époque de David. La femme est jeune, les traits un peu mous, toute en rondeurs encore très fraîches, et d’une heureuse sensualité,
Le format du tableau, en mandorle, est déjà en soi au service de cette représentation, toute en courbes et en arrondis voluptueux. L'ovale de la toile, repris dans les épaules un peu affaissées à la mode à l'époque, souligne l'ovale du visage, qui introduit aux arasbesques sombres des accroche-coeur , qui évoquent le sein rond de la belle ! L'ensemble fait penser aux miniatures portées en médaillon pour garder avec soi le visage de l'être aimé. La position de trois-quart, le visage presque de face, accentue le port de tête majestueux du modèle.


Comme souvent chez Ingres (qu'on pense aux vertèbres supplémentaires de la Grande Odalisque(1), la précision anatomique est sacrifiée à la recherche d'harmonie des lignes : le cou est en effet déformé de façon assez nette, tordu vers l’avant, presque goitreux, car le peintre a plié la réalité à ses exigences de mise en page ! On a voulu, à cause de cette propension à déformer ses modèles, l'annonce d'une modernité impulsée par le peintre : c'est aussi et surtout la recherche d'un idéal esthétique qui semble guider son pinceau, plus qu'un rejet des conventions !


La gamme chromatique de cette représentation idéale, enfin, est superbe ! Aucun décor de fond, la silhouette se découpe sur un ciel pastel et cette teinte très douce met en valeur le jeu subtil sur les rouges, qui magnifie le sujet. Le rosé subtil des pommettes est repris dans un ton légèrement plus soutenu et brillant sur les lèvres entrouvertes. Tandis que le manteau qui couvre les épaules voluptueuses de la femme consacre cette teinte en majeur ! On reconnaît ici la musicalité propre au peintre, qui joue de sa palette comme il devait manier son archet, avec maestria !


Plus avant dans le XIXe, on tombe en arrêt devant une toute petite toile intimiste d'un peintre plus connu pour son académisme : Jean-Léon Gérôme (1824-1904) : une étonnante composition d'une sobriété parfaite chez ce maître de l'emphase ! La  peinture est partagée en trois zones presque indépendantes : en haut à gauche, le petit pan de mur jaune qui n'a rien à envier à celui de Vermeer, entièrement nu et seulement animé de quelques branches de lierre, présente l'aïeul, assis sur un sobre banc de bois et appuyé sur sa canne. A droit, la béance obscure d'une porte largement ouverte, laisse deviner, à moitié cachée par le partie fixe du montant de bois, une petite silhouette d'enfant, vêtu de bleu. Il est là, curieux, coquin, mais n'ose pas s'avancer vers nous. Ce sont "le père et le fils de l'artiste", autrement une scène strictement familiale. Au premier plan, occupant tout le tiers inférieur du tableau, un large perron de pierre grimpe vers une demeure qu'on devine cossue mais qu'on ne voit pas. Un lévrier nez au vent, élégant et racé, équilibre la composition vers la gauche et anime par sa truffe frémissante cette scène statique.


Tout près de cette petite toile domestique, un peinture extraordinaire de Vallotton (1865-1625) : au Français, 3ème balcon, la Loge. Auteur de théâtre, il écrivit lui-même une pièce, Un rien, qui fut montée au théâtre de l'Oeuvre en 1907, et fut un échec. On ne peut s'empêcher de regarder cette peinture, réalisée en 1909, avec l'oeil aigu de celui que le monde du spectacle a déçu. La composition, terriblement audacieuse, conjugue le vide et l'ombre, donnant un côté presque vertigineux à ce 3ème balcon sur lequel se penchent quelques têtes curieuses. Une harmonie de noir, de rouge et de blanc résume en quelques tons essentiels les couleurs du théâtre : velours écarlate et habits de soirée.


La brochette de spectateurs, uniquement des hommes, déclinent tous les âges et tous les styles : le moustachu curieux, le jeune hirsute, le barbus qui n'écoute pas, le gros chauve qui rêvasse, le curieux du fond, timide, qui essaie de voir en se levant de son siège, tous sont individualisés et pourtant ils forment une ligne compacte et presque menaçante au-dessus de la scène.


On ne peut s'empêcher d'évoquer une autre toile de Vallotton, autrement célèbre, vue à l'exposition du Grand Palais : ici, une femme, cachée sous un immense chapeau, avance sur la rambarde une main nerveuse, gantée de blanc, tandis que dans le fond de la loge un homme en retrait n'a d'yeux que pour elle. Cette loge là est certainement au premier balcon, l'ambiance est plus calme mais l'effet tout aussi  menaçant : car le point de vue est le même, depuis la scène et les spectateurs, ces censeurs que l'on craint, sont rejetés dans l'ombre.


Dans la même salle, écrasante par son thème et sa dimension, une grande toile d'Alfred Agache (1843-1915) est admirablement mise en scène, et offre au promeneur étonné son Énigme (1888). Une hiératique femme voilée de noir, se dresse en haut de quelques marches d'un blanc immaculé, sur un fond de mur rouge, uni.


Les yeux mi-clos, elle tourne son profil altier vers un ailleurs dont on ne peut rien deviner. Elle est pâle et hautaine, et quelques taches d'une chemise blanche viennent animer son sévère vêtement de Parque ou de vestale. Elle tient dans sa main droite un masque qu'elle vient d'ôter. Et dans sa main gauche, une énorme fleur d'un rouge écarlate, très vif, sorte d'énorme pavot repris en échos posés au bas de sa robe et, abandonnés comme des gouttes de sang sur la plus basse marche de son podium improvisé.




Au salon de 1888 où elle est présentée, Alfred Agache accompagne sa toile d’un cartel reproduisant un poème d’Edmond Haraucourt (1856-1941) qui éclaire sur l'intention de l'artiste :
Prêtresse de l’énigme et fille du mystère 
Je garde sous le ciel les secrets qu’il veut faire 
Et je sais l’avenir comme un fait accompli. 
Mais j’ai fermé mon âme austère 
Dans l’orgueil du silence et la paix de l’oubli.


Autant dire que le cartel conserve à l'oeuvre son hermétisme ! En haut à gauche, un motif égyptien semble devoir nous donner une indication : ce serait un hiéroglyphe signifiant Isis. Malgré son côté "symbolisme fin de siècle", l'oeuvre est puissante : la force de cette scène lui ôte tout maniérisme démodé.


Les plans sont brossés à large traits, et leur articulation anguleuse donne à cette toile un allant étonnant. Le traitement contrasté des couleurs, la lumière irréelle qui baigne la scène, la sévérité élégante de la composition en font une oeuvre d'une étonnante modernité.

A SUIVRE
Musée de Rouen : l'Impressionnisme



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(1) Selon de très sérieux chercheurs, "Les proportions de la Grande Odalisque font causer depuis fort longtemps. L’hypothèse de trois vertèbres de trop avait déjà été émise. Pour en avoir le cœur net, Jean-Yves Maigne, de l’Hôtel-Dieu, aidé de Gilles Chatelier de l'hôpital Georges Pompidou, et de l’historienne de l’art Hélène Norlöff, ont pris des mesures sur neuf modèles vivants. La taille de leur tête et la longueur de leur dos ont été mesurées dans la même position que celle de l’odalisque d’Ingres, en tenant compte de la perspective adoptée par le peintre. 
 Résultat : la Grande Odalisque a subi une élongation du dos de plus de 8 cm et du bassin de presque 7 cm. Ces 15 cm correspondent à trois lombaires et deux vertèbres sacrées (constituant le sacrum), expliquent les auteurs de l’étude. Leur article doit bientôt être publié outre-Manche dans le Journal of the Royal Society of Medecine, selon l’Agence France-Presse."

mercredi 19 mars 2014

LE MARIAGE DES P'TITS Z'OISEAUX



J'aime bien le 19 mars, j'en ai déjà parlé,* mais je ne peux m'empêcher de fêter de nouveau cette fête simili-païenne... Car cette année (mon premier article a déjà 4 ans !!) les palombes et autres tourterelles qui vivent à hauteur de notre terrasse, n'ont pas attendu la date fixée par le calendrier ornithologique pour s'ébattre et se battre tendrement. Voilà presque un mois qu'elles roucoulent, marivaudent et batifolent, rivalisant de courbettes et de révérences pleines de sous-entendus. Nous les surveillons sévèrement, mais sommes surtout inquiets de voir les nids se peupler alors que les risques de gel ne sont pas encore définitivement éloignés. On envisage déjà de badigeonner le pied des arbres de répulsifs à chats, avant qu'il ne soit trop tard et que ces perfides félins n'aillent y faire des ravages.

Il n'y a plus de saison, ma brave dame !! Et comme le souligne plaisamment Alter :
"Le changement climatique entraîne une certaine licence dans la gent ailée" 

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* article joyeusement repris in extenso, sans me citer, sans même changer la photo, ici !! Le manque de courtoisie est de plus en plus fréquent sur les blogs !!
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