Un sentiment que tous ceux qui sont passés très près de la grande faucheuse, et ont eu l'immense chance de lui échapper, ont ressenti !
- C'était moins deux, nous dit-il, j'ai eu une chance incroyable et j'ai décidé de changer de vie.
Installé à la terrasse d'une brasserie bordelaise - il a bien fallu trouver une alternative à "notre" institution le Régent, transformé il y a maintenant deux ans en pizzaïolo de pacotille - nous venons d'entamer la conversation avec le serveur. Très pro, le serveur... tellement même qu'on l'a pris pour le patron. Du coup, on lui a demandé si la fermeture du Régent, justement, avait boosté sa clientèle. Il n'en sait rien, il n'est là que depuis un an, mais il considère que la clientèle n'a certainement pas eu besoin de cela pour se développer.
Il a des références notre serveur ! Donc, il vient d'arriver. Pas bordelais ?
- Non, je suis de Brive moi, et j'avais de Bordeaux une image terriblement négative ! D'abord c'était la ville où l'on a soigné ma mère, que j'ai perdue jeune. On venait toutes les semaines à l'hôpital Saint André, alors vous pensez ... et puis c'était noir, gris, triste, sans vie. Ma femme n'aurait pas eu une opportunité professionnelle telle qu'il était impossible de la refuser, je n'aurais jamais envisagé d'y revenir. Mais c'est devenu une ville merveilleuse, sûre, calme, belle !
- Alors vous venez de Brive ?
L'homme a manifestement beaucoup roulé sa bosse, un peu partout en France, à l'étranger ...
- Et puis, finalement, j'ai été patron d'un bar à Paris.
Voilà pourquoi nous l'avons pris pour le propriétaire du lieu, il a une attitude de patron. C'est indéniable. Imaginant quelque bistrot d'arrondissement périphérique, voire de banlieue, je demande avec légèreté :
- Ah oui ? où cela ?
Et il s'avère qu'il était sur un boulevard du 6ème arrondissement, et que son "bar" était une "institution" du quartier. Un truc énorme, 17 personnes dans l'établissement, de l'argent qui rentrait à la pelle, une vie de fou, sans alcool, sans drogue, précise-t-il, mais avec 50 cafés par jour (ses garçons lui filaient du déca en douce pour le ménager un peu) et presque pas de sommeil. Jusqu'au jour où ...
Et de nous raconter comment il a été sauvé par la présence d'esprit et l'audace de l'oncle du gardien du parking où il garait sa moto. Les deux hommes parlaient de lui dans la guérite de surveillance, quand le jeune se détournant, l'aperçoit et dit à son oncle :
- Tiens, justement, c'est lui là, sur sa moto.
- Ouh là, là, tu as vu, il est couché sur son siège, ça n'a pas l'air d'aller, il est beurré ton copain !
Les deux hommes se précipitent, relèvent l'homme effondré, lui enlève son casque. L'oncle, médecin à la retraite, repère sur sa tempe, heureusement fort dégarnie, une énorme veine qui gonfle dangereusement. Et, encore un coup de la providence, il a un Opinel dans sa poche, le sort et tranche, évitant à notre interlocuteur le pire. Samu, pompiers, tout le reste est du ressort de la médecine et d'un très long traitement.
Et là, ayant vu le danger d'un peu trop près, il décide de tout plaquer. Et de vivre. Normalement. On le sent à la fois immensément reconnaissant à l'homme qui l'a sauvé, persuadé qu'il ne faut plus vivre à deux cents à l'heure, mais impatient, toujours aussi énergique. Sa place de serveur ne lui conviendra pas longtemps, c'est évident, pourtant il affirme haut et fort qu'il ne se remettra jamais à son compte. Et il tient... jusques à quand ?
Car, c'est sûr que lorsqu'on a frôlé la catastrophe, on voit la vie d'un autre œil. On envisage de se réformer, on n'a plus les mêmes priorités, on oublie les folies au vestiaire et l'on jure, puisque ce n'était pas trop tard, qu'on ne vous y prendra plus. Pendant un temps - qui peut durer - les priorités changent, on porte sur la vie et ses tracas un regard apaisé, serein, reconnaissant... L’expérience d'avoir frôlé la mort modifie durablement les comportements. On sait mieux se détacher des contingences matérielles : la vie prend vraiment un sens, et souvent on développe à l'extrême le don de soi et l'altruisme.
Pourtant, les meilleures choses ont une fin : petit à petit, on oublie sa bonne fortune, les broutilles reprennent le dessus, le quotidien l'emporte et les bonnes résolutions se délavent au soleil. On redevient "normal", banal dirais-je. Même si, de temps à autre, on se dit qu'on a eu un sacré rab, on ajoute que finalement c'est déjà énorme comme cadeau de la providence... alors advienne que pourra. Et cette deuxième chance qui vous a été donnée et qu'au début on avait trouvée si merveilleuse, on finit par la galvauder comme la première, même plus étonné du sursis obtenu. Car finalement, "Qui a frôlé l'irréversible découvre, dans le futile, merveilles", comme le dit Paul Carvel dans Jets d'Encre. Et l'on a vite tendance à se noyer dans le futile !
Car, c'est sûr que lorsqu'on a frôlé la catastrophe, on voit la vie d'un autre œil. On envisage de se réformer, on n'a plus les mêmes priorités, on oublie les folies au vestiaire et l'on jure, puisque ce n'était pas trop tard, qu'on ne vous y prendra plus. Pendant un temps - qui peut durer - les priorités changent, on porte sur la vie et ses tracas un regard apaisé, serein, reconnaissant... L’expérience d'avoir frôlé la mort modifie durablement les comportements. On sait mieux se détacher des contingences matérielles : la vie prend vraiment un sens, et souvent on développe à l'extrême le don de soi et l'altruisme.
Pourtant, les meilleures choses ont une fin : petit à petit, on oublie sa bonne fortune, les broutilles reprennent le dessus, le quotidien l'emporte et les bonnes résolutions se délavent au soleil. On redevient "normal", banal dirais-je. Même si, de temps à autre, on se dit qu'on a eu un sacré rab, on ajoute que finalement c'est déjà énorme comme cadeau de la providence... alors advienne que pourra. Et cette deuxième chance qui vous a été donnée et qu'au début on avait trouvée si merveilleuse, on finit par la galvauder comme la première, même plus étonné du sursis obtenu. Car finalement, "Qui a frôlé l'irréversible découvre, dans le futile, merveilles", comme le dit Paul Carvel dans Jets d'Encre. Et l'on a vite tendance à se noyer dans le futile !
Très intéressant ton article qui me rappelle quelques souvenir de bientôt 5 ans.
RépondreSupprimerLes réactions sont différentes selon l'âge du capitaine !
Je retiens ta dernier phrase... en fait tout es question de mesure.
En avant la musique et bon dimanche à vous deux.
T que j'ai oublié comme tarte aux fraises crème chiboust qu'il fallait finir.
RépondreSupprimercrème chiboust !! tu m'en diras tant !! pas de quoi s'attarder aux "t" alors ! Bonne fin de we à toi aussi !
RépondreSupprimerC'est pas beau la VIE (même en images) malgré les "embiernes" comme on dit en vieux lyonnais... C'est tout de même plus joli qu’un 'gros mot' !
RépondreSupprimerBonne semaine....
AH les embiernes, je connais bien, Camilleri aidant !! un mot qui pose des problèmes au correcteur orthographique mais qui est drôlement évocateur et très joli !!
SupprimerOui c'est BEAU la vie !!!!
oh que oui et pour l'entourage aussi le regard change ! et chaque matin on croise les doigts !
RépondreSupprimerbonne journée Michelaise
... jusqu'au jour où on oublie !! Cela rend la vie plus précieuse mais il faudrait garder cette attitude ... et ne pas se laisser re-prendre par le quotidien
SupprimerJ'ai de la chance ! Je n'ai pas eu à vivre le frôlement de la mort pour avoir le goût de vivre, il m'est venu tout seul, en vivant ma vie et celles des autres, ça fait du monde et beaucoup d'émotions :-) des bonnes et des mauvaises, ça bouge beaucoup et chaque détail compte...
RépondreSupprimerEncore un jour et encore un et encore un, quel bonheur d'y être encore, tout simplement.
Grosses bises Michelaise (tes ciels sont superbes)
Tu as en toi une force qui fait que tu n'as pas besoin de coups de Trafalgar pour apprécier la vie au jour le jour... ton blog le prouve largement Danielle
SupprimerLa résilience et ses multiples facettes et étapes, en brêve de comptoir, j’adore ! L'oubli est une capacité au moins aussi importante que la mémoire. Certains médecins sont catégoriques, on n'oublie pas, pas vraiment, le vent de la faucheuse (remarque comme ça tu peux passer à autre chose qu’à chercher à oublier). Ton article le montre, ainsi que les résonances qu'il suscite en certains. Oublier le vent de la faux, dépend aussi des traces qu'elle laisse, ici une cicatrice, là une incertitude statistique, ailleurs un rêve brisé. Il y a des miraculés qui se sentent investis d'une mission, il y en a qui marchent, il y en a qui militent, il y en a d'autres qui profitent de l'extraordinaire banalité du bonheur de la confiture qui dégouline dans les trous d’la tartine. D’autres restent sidérés, prêts à se battre de nouveau, si tu veux la paix, prépare la guerre comme dirait l’autre. Et certains heureusement moins nombreux retournent l’arme contre eux, au bout parfois d’un long combat contre l’angoisse. Rien n'est jamais acquis sur la durée, une rencontre, une lecture et paf. Mais avec le temps, si l’émotion se maintient à distance, enfin, c’est déjà ça ! Et la leçon, en effet, est d’apprendre, que la maladie, la catastrophe évitée est une raison parfois, mais une excuse jamais.
RépondreSupprimerJe trouve très réconfortant que tout ça ne rende ni pire ni meilleur, le plus souvent. Ça prouve l’inutilité de la souffrance, ce qui est un bon argument pour encourager la recherche !
Bises Madame !
Ma brève de comptoir (tu as raison, cela en était bien une !!) t'a inspiré Sorcière et j'avoue que ton commentaire serait mieux à sa place dans mon billet ... il l'enrichit vraiment. Merci de cette participation vibrante !!
SupprimerOui, cela ne rend ni pire ni meilleur, mais j'avoue que la conclusion que tu en tires me souffle ! certes la souffrance est inutile mais c'est déprimant que rien, pas même le souffle de la faucheuse ne nous permette de nous améliorer ...
Bonsoir Michelaise. Quel article ! Tu as su mêler le bonheur et le malheur en un article et tu as illustré tes mots de façon merveilleuse avec ces ciels spectaculaires. J'ai été très émue par le témoignage de de jeune homme et je dois t'avouer avoir eu en te lisant les larmes aux yeux. Tout ce que tu dis est si vrai. Comme on oublie certaines douleurs on oublie vite aussi certaines bonnes résolutions...
RépondreSupprimerJe souhaite longue vie à ce jeune serveur et j'espère qu'il n'aura plus jamais d'épisode à risque comme celui qu'il a vécu. Quant à savoir s'il saura vivre raisonnablement, il y a de quoi en douter, hélas... Quel dommage de ne pas savoir tirer les leçons d'un épisode qui aurait pu se terminer tragiquement et dont il a eu la chance de s'en sortir...
Ça fait réfléchir en tout cas...
Je te souhaite une très bonne soirée et une bonne semaine :-)
Merci Oxy de ta lecture attentive et indulgente... l'article a été écrit il y a quelques temps, et, depuis, je suis retournée au resto en question : le serveur n'était plus là et je n'ai pu m'empêcher de craindre qu'il n'ait eu envie de relancer sa propre affaire. Pas simple de redevenir exécutant après avoir été patron. Mais alors, ses bonnes résolutions ?? Et sa santé ??
RépondreSupprimerAh ça rappelle de mauvais souvenirs qui vous font "ordonner vos affaires" un peu plus tôt que prévu...et puis ensuite on n'oublie? non, on prend du recul et certaines futilités comme tu le notes si joliment, là où il y avait stress et inquiétude, te font sourire !
RépondreSupprimerQuelle belle histoire!
RépondreSupprimerMerci de l'avoir attrapée au vol et retranscrite.